Innovation Et si la route interagissait avec les véhicules? De projets en expérimentations, les routes européennes pourraient bientôt quitter leur traditionnelle inertie pour devenir autonomes, voire source d’énergie durable pour les véhicules.
Une route qui s’éclaire toute seule, capable de s’autodiagnostiquer, de s’autoréparer, d’alerter les chauffeurs en cas de danger, et même de fournir de l’énergie aux véhicules, est-ce si étrange? Pour certains chercheurs, ingénieurs, décideurs publics, ou pour quelques esprits créatifs, les routes dites intelligentes quittent la science-fiction pour s’installer dans les perspectives de mobilité durable.
La chaussée est constamment exposée à de potentielles sources d’énergies naturelles: le vent, l’eau, le soleil. Les routes de cinquième génération, ou R5G, regroupent des réseaux de voirie qui pourraient jouer un véritable rôle pour et auprès des véhicules. Selon Nicolas Hautière, ingénieur des Ponts, des Eaux, et des Forêts et directeur de projet pour les R5G à l’Ifsttar (Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux), il s’agit d’« une route qui prend en compte les enjeux sociétaux renouvelés en matière de mobilité, c’est-à-dire une route fiable, faiblement émettrice, toujours disponible, décarbonée, sobre au plan énergétique. Bref, en phase avec les nouveaux véhicules qui la parcourent. »
Aux Pays-Bas, la première route portant un marquage phosphorescent a vu le jour, ou plutôt la nuit, en avril dernier. Grâce à une peinture modifiée, la signalétique capte la lumière durant la journée pour la restituer pendant une durée maximale de dix heures après le coucher du soleil, permettant d’économiser l’énergie consommée par les candélabres publics. Baptisé Glowing Lines (lignes brillantes), ce projet est le fruit d’une collaboration atypique entre le designer néerlandais Daan Roosegaarde et la société de construction Heijmans. L’expérimentation, effectuée sur un tronçon de 500 mètres sur l’autoroute N329, a déjà conquis de nombreux usagers par son attrait- esthétique. Dans les semaines à venir, cette portion d’autoroute insolite sera soumise à une série de tests pour étudier sa viabilité et les économies qu’elle pourrait engendrer en remplaçant l’éclairage classique.
En matière de routes lumineuses, la France n’est pas en reste. À la suite d’un appel à projets lancé en 2011 par le ministère de l’Écologie, le consortium lauréat mené par l’entreprise Malet développe le projet Lumiroute à Limoges. En décembre dernier, deux zones ont été équipées de revêtements tests contrôlés tous les six mois pendant trois ans. « Limoges Métropole a toujours manifesté une grande volonté d’être à la pointe en matière d’économie d’énergie, explique Gilles Begout, vice-président de Limoges Métropole, le but du jeu, c’est de voir si un revêtement de la chaussée différent peut nous faire réduire notre consommation électrique par rapport au revêtement classique ». Pour économiser 30 à 40 % sur la (lourde) facture de l’éclairage public, deux modulations de la voirie sont mises à l’essai. Un enrobé clair, accompagné de luminaires utilisant seulement 75 watts, et une installation de candélabres modulables à base de LED qui consomment 105 watts. « À première vue, l’enrobé clair est plus efficace, mais il est aussi plus cher. Il y a encore un certain nombre de calculs à faire pour voir si à terme il serait plus rentable », explique Gilles Begout. Il précise: « Cet équipement reste expérimental, même si nous aimerions que toute la métropole de Limoges soit équipée, et, pourquoi pas, que d’autres villes en France s’en inspirent ».
Une autre perspective pour les routes, et non des moindres: alimenter directement les véhicules. La route vectrice d’énergie permettrait de « recharger en mouvement et sans contact les véhicules électriques », explique Nicolas Hautière. En France, l’Ifsttar travaille notamment avec l’Institut du véhicule décarboné et communicant et sa mobilité (VeDeCoM) sur un projet européen, Fabric, qui vise à tester des technologies de transfert d’énergie par induction.
Ce dispositif, d’ores et déjà présent en Belgique et au Canada sur les réseaux de tramways, gagne le marché routier du transport de voyageurs. Le 27 mars dernier, le constructeur Bombardier a lancé en service payant le premier autobus équipé de la technologie Primove sur le réseau public de Braunschweig, dans le nord de l’Allemagne. Les véhicules électriques se rechargent en quelques minutes aux arrêts qu’ils desservent grâce à un dispositif noyé dans la chaussée. Les autobus Primove de 12 mètres de long se chargent pendant une dizaine de minutes aux terminus, ce qui leur permet de boucler un circuit de 12 kilomètres.
Pour l’Ifsttar, soutenu par l’Institut des routes, des rues, et des infrastructures pour la mobilité (Idrrim), l’objectif est d’étendre ce concept à l’ensemble des véhicules, ils se rechargeraient sans même s’arrêter grâce à des technologies WiFi. « Il s’agit de trouver le meilleur compromis entre le temps de passage dans la zone de recharge, quelques millisecondes, et l’énergie susceptible d’être transmise en ce laps de temps », explique Marc Tassone, directeur général de l’Idrrim. « Quand on sait que le prix d’un véhicule électrique est constitué à 50 % par celui des batteries, on voit immédiatement les avantages d’un tel système », poursuit-il.
Par ailleurs, ce système par induction sur les réseaux de tramways permet de se passer de caténaires, « ce qui apporte une économie substantielle capable de compenser le surcoût de l’équipement des arrêts en systèmes de recharge », explique Marc Tassone, avant d’ajouter: « En plus, l’effet sur le paysage en ville rendra l’attractivité de ce mode de transport encore plus forte ».
Les variations climatiques sont l’une des bêtes noires de la voirie. Pour que les routes puissent rester praticables malgré les intempéries et résister aux aléas de la météo, l’Ifsttar développe la route solaire. L’objectif est de maintenir une température positive sur la chaussée via une technologie thermique pour éviter la formation de givre et de verglas. À l’aide de capteurs photovoltaïques enfouis sous la couche de roulement, la route peut également collecter de l’énergie électrique pour alimenter ses équipements de signalisation, « voire pour recharger partiellement les véhicules électriques », précise Nicolas Hautière.
Capable de se dégivrer et de s’autoalimenter, la route pourrait même interagir avec les usagers. La route dite coopérative est « équipée de dispositifs de télécommunications permettant de dialoguer avec les véhicules qui la parcourent », explique l’ingénieur. Dans le cadre du projet Scoop@f, piloté par le ministère des Transports, quelques milliers de véhicules équipés et plusieurs centaines d’unités communicantes en bordure de route devraient être déployés d’ici 2016.
En matière de signalisation dynamique, point clé de la communication interactive entre la route et ceux qui la parcourent, l’Ifsttar contribue au projet européen Inroads qui vise à développer « une nouvelle génération de plots lumineux intégrés dans la chaussée, autonomes en énergie et se déclenchant au passage des véhicules », indique Nicolas Hautière. Côté néerlandais, Daan Roosegaarde a même imaginé une peinture réagissant aux températures négatives. En dessous de moins 5 degrés, des flocons peints sur la chaussée apparaîtraient pour prévenir les automobilistes des risques de verglas, alliant ainsi l’utile au décoratif.
L’objectif ultime de l’Idrrim et de l’Ifsttar serait bien évidemment de voir cet ensemble de technologies rassemblé et généralisé sur toutes les routes. Mais quand roulerons-nous sur ces trésors de technologie? « On voit que les infrastructures, et surtout les véhicules qui les utilisent, évoluent à une vitesse inouïe », observe Marc Tassone, « il est probable que les démonstrateurs de routes captrices et vectrices d’énergie voient rapidement le jour », à savoir d’ici 2020 selon le calendrier de l’Ifsttar.
Pour Nicolas Hautière, « on peut ensuite envisager de rouler sur des routes de cinquième génération d’ici 2030 », même si certains projets pourraient être longs à mettre en place, et d’autres ne pas passer le cap de l’expérimentation. Marc Tassone imagine même qu’« avec un délai un peu plus long, les autoroutes automatisées sur lesquelles pourraient rouler des chaînes de camions, attelés ensemble par connexion électronique avec un seul conducteur en tête, ne sont peut-être pas très loin de nous. »
⇒ 1re génération: les chemins empruntés par les hommes préhistoriques.
⇒ 2e génération: dans l’Empire romain, les routes pavées permettant aux services de poste et à l’armée de voyager plus rapidement.
⇒ 3e génération: au début du XXe siècle, les routes revêtues de goudrons, de pavés bitumeux ou d’asphalte, adaptées à l’essor de l’automobile et de la bicyclette.
⇒ 4e génération: au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les autoroutes tracées pour répondre aux nouveaux besoins des voitures et des poids lourds qui continuaient à utiliser les chemins et les axes de transport hippomobiles.
⇒ 5e génération: une route fiable, faiblement émettrice, toujours disponible, décarbonée et sobre sur le plan énergétique.
Où expérimente-on ces routes?
Selon le type de réseau, les besoins ne sont pas les mêmes. Par conséquent, les technologies ne sont pas identiques. En milieu rural, on teste des technologies à bas coût, comme le recyclage intégral de la route. En milieu interurbain et périurbain, on peut tester les solutions liées à la route coopérative et au véhicule autonome.
En milieu urbain et périurbain, on testera davantage les solutions liées aux infrastructures pour les véhicules décarbonés.
Combien coûtent-elles par rapport aux routes classiques?
Faute de recul suffisant, il est aujourd’hui très difficile d’estimer combien va réellement coûter la mise en place de ces routes de nouvelle génération. Il est évident que si elles s’avéraient trop coûteuses, elles ne sauraient être déployées rapidement. Toutefois, les routes actuelles coûtent de plus en plus cher à entretenir.
Par conséquent, si l’investissement initial peut s’avérer supérieur, le surcoût lié au déploiement des routes de 5e génération pourrait largement être compensé par les économies réalisées, notamment sur le plan environnemental, lors de leur exploitation.
Faudra-t-il adapter les véhicules à ces nouvelles routes?
Ce déploiement des routes de 5e génération se fera de manière progressive et transparente. L’objectif est que les infrastructures soient adaptées aux véhicules qui y circulent, et non l’inverse.
C’est le cas des véhicules autonomes [sans chauffeur, ndlr] qui nécessiteront des infrastructures adaptées pour pouvoir circuler en toute sécurité. On peut toutefois envisager de développer des voies réservées à la recharge des véhicules électriques, de la même manière qu’aujourd’hui on teste des voies réservées aux taxis ou aux transports en commun.
*Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux
