Le Pdg de la SNCF était auditionné le 4 juin dernier par la commission du développement durable du Sénat, en ce qui concerne la réforme ferroviaire prévue pour le 1er janvier 2015.
Une réforme ferroviaire qui « sera créatrice d’emplois » et qui encouragera « la dimension offensive de champion industriel en France et à l’étranger de la SNCF ». Rien à dire, aux yeux de Guillaume Pepy, le projet de loi visant à réorganiser SNCF et RFF (Réseau ferré de France), à réduire la dette abyssale des deux entités (de l’ordre de 44 milliards d’euros) et à préparer l’ouverture à la concurrence, est une bonne chose. C’est du moins ce qu’a affirmé le Pdg de la SNCF, lors de son audition par la commission du développement durable du Sénat le 4 juin, alors que le texte sera discuté en 1re lecture les 17,18 et 19 juin prochains à l’Assemblée nationale.
Au cours de sa rencontre avec les sénateurs, le premier cheminot de France ne s’est pas contenté de louer la réforme. Il a aussi clairement détaillé, en tant qu’opérateur, ce que la SNCF s’engageait à faire si la réforme était votée par le parlement: « D’abord, nous organiserons mieux les travaux. Et tout le monde sait qu’il y a un mur de rénovations à faire sur le réseau. Ensuite, nous aurons une vraie cohérence système, c’est-à-dire une préoccupation constante de réaliser le lien entre l’infrastructure et le, ou les, transporteurs. Enfin, nous améliorerons l’utilisation du réseau qui doit se partager entre des travaux et des circulations. Car ce dernier est sous-utilisé, faute de coordination entre celui qui a la charge du réseau et ceux qui ont la charge du transport ». Dans ce sens, il a même pris un engagement chiffré: « Si la réforme est votée, je m’engagerai à ce que la régularité des trains augmente d’un point supplémentaire tous les deux ans. C’est-à-dire un demi point par an sur les quatre à cinq ans qui viennent. C’est un pari audacieux parce que nous sommes dans une période de travaux tous azimuts, mais je suis tellement convaincu qu’on peut vraiment faire mieux fonctionner ce système, que je prendrai cet engagement ».
Guillaume Pepy a aussi tenu à faire amende honorable auprès des élus, alors que les annonces de suspension de paiement de régions, l’affaire des quais trop larges, etc., ont quelque peu égratigné les relations déjà tendues entre les régions et l’opérateur ferroviaire en 2014. « Les élus de France ont vécu ces dernières années l’incroyable complexité du système ferroviaire dans lequel les élus sont ballotés. Renvoyés de gares et connexions vers l’infrastructrure et de l’infrastructure vers les transporteurs. Ce n’est pas décent, ce n’est pas efficace, ça a bloqué un nombre considérable de projets d’aménagement urbains et fonciers », a-t-il reconnu.
Ces belles paroles se sont aussi accompagnées d’un engagement: « Si la réforme est votée, nous unifierons la gestion du patrimoine foncier et immobilier immédiatement. C’est-à-dire qu’au-delà du régime juridique, nous allons faire avec Jacques Rapoport [Pdg de RFF, ndlr], un plateau commun qui sera l’interlocuteur unique de tous les élus au plan local et national pour simplifier les problèmes de foncier et d’immobilier ». Autre promesse, celle de traiter les « délaissés ferroviaires, qui sont dans un état pas possible et qui posent des problèmes incroyables ». S’adressant aux sénateurs, Guillaume Pepy s’est aussi fait le premier défenseur des régions: « J’espère que dans votre sagesse, vous ferez des autorités organisatrices de transport, notamment des régions, des AOT de plein exercice et qu’on sortira du milieu du gué actuel, où on ne peut pas vraiment dire que celui qui paie, décide ».
Enfin, autour de l’opacité contestée des comptes de la SNCF par les AOT, le Pdg a là aussi rappelé qu’il n’oubliait pas ces dernières: « Je suis favorable à ce que les comptes TER de la SNCF soient certifiés. Ce sera, pour les autorités organisatrices, une façon d’avoir la certitude qu’il n’y a pas de surpaiement. La certification pourrait se faire par exemple par une validation de l’Araf [L’Autorité de régulation des activités ferroviaires, ndlr]. Cette proposition est déjà incluse dans les amendements qui vous seront soumis. Je suis favorable à ce que les régions soient sûres et certaines qu’elles ne sont en aucune manière surchargées de paiements ».
Guillaume Pepy est aussi revenu sur la dette colossale des deux entreprises publiques, dont la réforme a pour but d’éviter la dérive actuelle, qui est de l’ordre de 1,5 milliard d’euros par an, voire trois milliards si l’on inclut certains projets de trains à grande vitesse. « Avec Jacques Rapoport, nous partageons la même analyse. Le projet de loi tel qu’il est conçu permet aux deux établissements publics de stabiliser leur dette à une échéance qui est probablement de l’ordre de 2020 », a-t-il indiqué. Sur cette question, les deux compagnies publiques s’engageront, toujours si la loi est votée, « à faire un milliard d’euros d’économies sur la facture ferroviaire de la France d’ici trois à cinq ans. Nous nous engagerons par un contrat de performance signé avec l’État à faire 500 millions d’économies du côté du réseau et 500 du côté de l’entreprise de mobilité ».
Le Pdg a toutefois tenu à préciser que ces économies ne concerneraient pas les travaux nécessaires à la modernisation du réseau: « Pour les travaux, nous avons les moyens. Les 500 millions de RFF sont des économies, non pas sur la modernisation et la maintenance, mais essentiellement sur nos achats, nos frais de structure et sur les duplications ». De même, la dette pourra être stabilisée à condition de « réduire la voilure sur la construction de nouvelles lignes […], et faire grandir les recettes ». La vente du patrimoine foncier de la compagnie publique, pourrait elle aussi apporter sa pierre à l’édifice, de l’ordre de 150 à 200 millions par an, « mais en gardant en tête que certaines cessions se feront à des tarifs préférentiels pour les logements sociaux », a-t-il précisé.
Invité par les sénateurs à donner son point de vue sur les sujets que devrait aborder la réforme, Guillaume Pepy s’est enfin lancé à quelques préconisations: « Je pense que le degré d’intégration entre RFF et SNCF peut être renforcé, sans porter atteinte à l’indépendance des fonctions essentielles. Deuxièmement, je pense que le volet financier du projet peut être rendu plus robuste par des mesures complémentaires qui vont permettre de stabiliser la dette. Je pense que le volet social se nourrira en revanche de vos travaux en commission à l’Assemblée nationale et au Sénat. Je pense enfin que sur les responsabilités des autorités organisatrices de plein exercice, le Sénat et l’Assemblée nationale peuvent clarifier et aller plus loin sur les responsabilités de ces dernières. Autre chose, je considère qu’il faudra un jour que les régions aient une ressource propre pour financer les TER ».
Le Pdg est aussi revenu sur l’importance de faire de l’Araf « un régulateur fort, juridiquement et économiquement », cela bien entendu en restant en accord avec le projet de loi. Au niveau des compétences de l’Epic (établissement public à caractère industriel et commercial) de tête (baptisé SNCF) qui devrait chapoter les deux Epic filles, SNCF Mobilités et SNCF Réseau (qui regroupera RFF et l’actuel SNCF Infra), Guillaume Pepy a considéré « qu’il faudrait établir une “muraille de chine” adéquate pour assurer son indépendance. On pourrait aussi lui donner une compétence sécurité, toujours dans le respect de cette indépendance ».
Le Pdg de la SNCF n’a pas non plus oublié l’ouverture à la concurrence dans ses recommandations. Cette dernière, que la réforme doit théoriquement favoriser, était initialement prévue pour 2019, mais elle pourrait ne pas se faire avant 2023. « Le texte proposé par le gouvernement sur la réforme ne traite pas directement de la question de la préparation à la concurrence, mais moi, j’indique de mon point de vue d’opérateur qu’il faudra ultérieurement traiter de cette question. Car souvenez-vous, quand l’Union européenne a ouvert le fret à la concurrence en 2008, notre pays était malheureusement impréparé et le choc de l’ouverture a été massif. Il y a eu un vrai recul du transport de marchandises, une quasi-faillite de fret SNCF. Il sera donc nécessaire de se préparer activement à cela. Une chose est sûre, nous ne pouvons pas attendre tranquillement 2023 sans rien faire », a-t-il considéré.
À l’heure où sont écrites ces lignes (le 16 juin, ndlr), les cheminots de la CGT et de SUD-Rail maintiennent la pression sur le gouvernement.
Exigeant un retrait pur et simple du projet de réforme ferroviaire, ils sont en grève depuis le 11 juin. Deux rencontres avec le secrétaire d’État aux Transports, Frédéric Cuvillier, et un appel du président de François Hollande n’ont pas l’air d’avoir suffi à faire reculer le mouvement.
Si les deux syndicats ne semblent pas souhaiter un retour à la situation de 1997 (avant la création de RFF), SUD-Rail demande tout de même « une vraie réunification des deux groupes », voire que la dette actuelle de 44 milliards d’euros de RFF « soit reconnue comme dette publique », et la CGT appelle à la « réhumanisation » des gares et des trains.
Un ensemble parfois difficile à déchiffrer sur fond de guerre syndicale, la CFDT et l’UNSA ayant validé le projet débattu à l’Assemblée le 17 juin.
