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La taxe de transit poids lourds, une nouvelle arlésienne?

Économie Le péage de transit poids lourds fonctionne à blanc sur le périphérique parisien depuis le 1er octobre dernier.

Son entrée en vigueur effective repoussée, selon le gouvernement, de quelques semaines inquiète les acteurs du transport public qui attendent le produit financier de cette taxe.

Le 1er octobre, le péage de transit poids lourds (PTPL) entrait en marche à blanc sur le périphérique parisien. Si sa mise en œuvre définitive au niveau national devait, à l’origine, débuter le 1er janvier prochain, c’est désormais sur les « tout premiers mois de l’année 2015 » que table Alain Vidalies, secrétaire d’État aux Transports. D’ici là, les poids lourds de plus de 3,5 t auront tout le loisir de tester la connectivité de leur boîtier avec les quatre portiques installés depuis 2013 aux abords des portes de Clignancourt, Dauphine, Brancion et Bagnolet qui les identifieront grâce à des détecteurs de forme et de volume.

Durant cette phase de test, les enregistrements réalisés ne déclencheront pas le paiement de la taxe, mais fourniront une analyse détaillée de ses effets et ses conséquences sur un panel d’entreprises pilotes. En parallèle, cette démarche permettra aussi de vérifier l’adéquation des taux de majoration forfaitaire envisagés avec la redevance réellement prélevée, et de détecter en amont les secteurs d’activité ou les filières directement menacées par l’application de cette taxe.

Si les entreprises de transport de marchandises manifestent depuis des années leur mécontentement de voir imputer cette charge supplémentaire à leurs comptes d’exploitation, le secteur du transport de voyageurs trépigne d’impatience. « Voilà deux ans qu’on tergiverse, la mise en œuvre de cette expérimentation devenait urgente », estime Claude Faucher, délégué général de l’Union des transports publics et ferroviaires (UTP). Un empressement qui traduit surtout une réalité comptable pour la profession: celle du financement des projets hiérarchisés fin juin 2013 par la commission Mobilité 21, de ceux du IIIe appel à projets de transport en commun en site propre (TCSP), lancé mi-mai 2013, et des projets de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF).

Une source de division

Sur ce sujet, le Groupement interprofessionnel du transport et de la logistique (GITL) peine à parler d’une seule voix. D’un côté, celle des représentants du transport de marchandises dénonce une taxe pénalisante pour des sociétés déjà étouffées par une activité jugée atone, un alourdissement régulier des charges structurelles, une distorsion de concurrence agressive et une exigence accrue des chargeurs. « Le transport routier est déjà un contributeur important du financement des infrastructures. La part des poids lourds dans le montant des péages d’autoroutes s’élève déjà à plus de 1,8 milliard d’euros par an. À cela s’ajoutent les 2,5 milliards d’euros de la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers (TIPCE) et les 200 millions d’euros de taxe à l’essieu acquittés chaque année par le secteur », dénonçait Claude Blot, vice-président du GITL et vice-président de Transport et logistique de France (TLF), à l’occasion d’une conférence de presse le 25 septembre dernier à Paris.

À la même table, la voix des représentants du transport de voyageurs osait timidement exprimer sa hâte de voir cette nouvelle taxe s’appliquer. « S’il existe des points de divergence entre nous, nous avons tous besoin d’infrastructures », soulignait Bruno Gazeau, secrétaire général de l’UTP lors de cette même conférence de presse. Une position d’autant plus inconfortable pour le segment voyageurs que la branche francilienne du Medef, organe de rattachement du GITL, demandait quelques jours plus tard l’abrogation du PTPL, considérant qu’il déboucherait notamment sur un détournement des poids lourds vers les routes non taxées.

Une insécurité contractuelle

Si le PTPL crée des divergences au sein de la famille du transport routier, elle confronte également d’autres acteurs de la chaîne à une dangereuse insécurité. En effet, le contrat signé en 2011 entre l’État et Ecomouv’ prévoit que « le paiement des loyers, trimestriel, est conditionné à la mise à disposition du dispositif qui correspond à la réception de celui-ci par l’État – étape qui n’a toujours pas été franchie à ce jour. Jusqu’à ce que la mise à disposition ait lieu, l’État ne garantit pas les emprunts contractés par Ecomouv’ », rappelait Jean-Paul Chanteguet dans son rapport d’information remis au gouvernement mi-mai dernier. Sauf que, pour l’heure, Ecomouv’ n’a encore perçu ni rémunération ni loyer.

Autre problème: sa suspension n’était pas prévue dans le dispositif contractuel. La mise en veille du projet a donc créé une situation d’incertitude juridique pour tous les acteurs impliqués, que ce soit la direction d’Ecomouv’ ou les représentants des sociétés habilitées au télépéage (SHT), pourvoyeuses des services embarqués, qui ont recruté des collaborateurs et réalisé d’importants investissements préalables.

Au final, selon le rapport, la résiliation du contrat décidée à l’automne 2013 aurait coûté à l’État entre 400 et 500 millions d’euros d’indemnités en faveur d’Ecomouv’, correspondant aux investissements dégagés par celui-ci à ce stade. Une addition qui ne cesse de croître, puisque « compte tenu du déploiement des portiques de contrôle et des frais de fonctionnement engagés, notamment pour l’enregistrement des véhicules, les indemnités de résiliation s’élèveraient aujourd’hui à plus de 800 millions d’euros », relève le rapport.

Des projets suspendus

Dans la sphère des transports publics, le début de cette expérimentation est accueilli favorablement, mais l’absence de date d’entrée en vigueur ferme et définitive laisse comme un arrière-goût de déjà-vu. « Telle que décidée dans le cadre du Grenelle de l’environnement en 2007, la taxe sur les poids lourds visait déjà à financer de nouvelles infrastructures de transport », se souvient Jean Sivardière, président de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (FNAUT). De son côté, le Groupement des autorités responsables de transport (Gart) réclame des actes, « le gouvernement doit prendre ses responsabilités et faire des propositions », estime Louis Nègre, son président.

Alors que l’écotaxe de 2013 devait abonder le budget transport d’environ 800 millions d’euros, le PTPL affiche des ambitions plus modestes du fait de son dimensionnement revu à la baisse. « Le produit du péage, de l’ordre de 400 millions d’euros par an, soit 300 millions d’euros après les frais de collecte, ne permettra pas à lui seul d’assurer un financement durable des infrastructures de transport », constate Claude Faucher. Seul hic: les projets des trois destinataires de cette taxe semblent comme suspendus en plein vol. « Certains projets priorisés dans le cadre des travaux de la commission Mobilité 21 sont prévus au sein de contrats de projets État-Régions mais restent bloqués dans l’attente de financement », regrette Claude Faucher.

Même problématique pour l’AFIFT dont les ressources reposaient à l’origine sur les dividendes des participations de l’État dans les sociétés d’autoroutes et qui dispose depuis leur privatisation de trois sources de revenus: le produit de la taxe d’aménagement du territoire (TAT) due par les concessionnaires d’autoroutes (540 millions d’euros en 2014), le produit de la redevance domaniale, également due par les concessionnaires d’autoroutes (305 millions d’euros cette année) et une part du produit des amendes forfaitaires des radars automatiques (230 millions d’euros en 2014). En outre, l’Agence bénéficie aussi d’une subvention d’équilibre, versée chaque année par l’État, qui a représenté un milliard d’euros en 2012, 700 millions en 2013, et qui devrait continuer à décroître au fur et à mesure de la montée en puissance de la taxe, pour enfin disparaître en 2016. Pour cette année, elle aurait dû s’élever à 334 millions d’euros, mais avoisinera en réalité 656 millions d’euros afin de compenser – partiellement – le manque à gagner engendré par le report. « L’écotaxe devait représenter en 2014, 20 % des ressources de l’AFITF. Son report sine die a remis directement en cause 500 millions d’euros de travaux prévus cette année dans le domaine des infrastructures », assure Claude Faucher. En effet, le budget 2014 de l’AFITF devrait être maintenu à son niveau de 2013 avec 1,9 milliard d’euros contre 1,8 milliard d’euros cette année, soit 450 millions d’euros de moins que si l’écotaxe avait été appliquée au 1er janvier 2014.

Des pistes encore floues

Si Ségolène Royal, ministre de l’Écologie, du développement durable et de l’énergie, a assuré que des ressources complémentaires seraient trouvées, peu d’informations circulent encore sur leur nature. « Il semblerait que le gouvernement envisage l’introduction, l’an prochain, d’une redevance de deux centimes d’euros par litre de la taxation du carburant pour remplacer le manque à gagner de l’écotaxe nouvelle version », glisse Claude Faucher. Vouée à vite devenir impopulaire auprès des automobilistes, cette hypothèse ne serait pas inscrite dans le dernier projet de loi de finances (PLF), mais pourrait être déposée par amendement parlementaire. « Nous attendons la proposition du gouvernement, puis la décision du Parlement », confie Claude Faucher. Une réserve également de mise pour le Gart sur cette décision du gouvernement: « selon la philosophie du Grenelle de l’environnement, le développement du parc routier n’est pas idéal, mais nous ne pouvons pas changer brutalement une orientation industrielle aussi lourde », reconnaît Louis Nègre. En revanche, pour la FNAUT, « cette taxation supplémentaire du gazole fournit à l’État une ressource nouvelle pour financer les transports collectifs urbains et ferroviaires qui souffrent de sous-investissement chronique. »

Autre piste envisagée un temps par le Gart, aujourd’hui relancée suite à un avis rendu par l’Autorité de la concurrence le 17 septembre dernier: la taxation des sociétés autoroutières. Une proposition qui semble arriver, aux yeux du Gart, un peu tard. « Sur le contrôle de la rente des péages autoroutiers, nous aurions pu être réactifs depuis plus longtemps. Il ne s’agit pas pour autant de spolier les actionnaires qui ont acheté ces concessions, mais de trouver un meilleur équilibre dans le partage de ces recettes très importantes », tranche Louis Nègre.

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Auteur

  • Diane-Isabelle Lautrédou
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