Stratégie Il y a un peu moins de dix ans, l’offre de covoiturage de BlaBlaCar faisait figure d’ovni. Depuis, la start-up revendique une ascension insolente: dix millions d’inscrits, deux millions de voyageurs transportés par mois et 200 % de croissance annuelle. Son secret: lever des capitaux tous les deux ans pour “financer à blanc” son activité internationale.
Sous ses airs faussement décontractés, se niche une start-up à la mécanique bien huilée. Ici, pas de direction des ressources humaines mais un management transversal, pas de chiffre d’affaires communiqué mais un nombre d’inscrits surveillés à la loupe.
Bienvenue dans l’univers de BlaBlaCar. Imaginé en 2006 par Frédéric Mazzella, ex-scientifique à la NASA aux États-Unis et à NTT Communications (Nippon Telegraph and Telephone Corporation) au Japon, son concept consiste à construire un réseau de transport nouveau, en permettant aux conducteurs qui ont des places libres dans leur véhicule de trouver des passagers avec qui partager leurs frais sur des voyages communs.
À l’époque, le covoiturage est un marché embryonnaire, impulsé par des structures associatives engagées, et BlaBlaCar, alors Covoiturage.com, se démarque avec un modèle économique plus sophistiqué. En effet, dans un premier temps, l’idée est de combiner une offre de covoiturage et une expertise aux sociétés souhaitant se lancer dans cette aventure. Parmi ses partenaires, l’entreprise compte Ikea, MAIF, Carrefour ou Marmara, etc. Une stratégie payante, puisque la société ouvre un premier bureau en Espagne en 2009 et franchit le seuil de 500 000 membres dès 2010. Huit ans après sa création, la société a changé de nom pour asseoir sa présence dans douze pays européens et s’est recentrée sur son activité de covoiturage.
Au cours de son développement, BlaBlaCar s’est d’abord attelée à fiabiliser ses services. « Il fallait que l’expérience ne déçoive pas », explique Laure Wagner, membre de l’équipe fondatrice et directrice de la communication de BlaBlaCar. Ce n’était pourtant pas gagné d’avance. « Lorsque nous avons démarré, 35 % des usagers ne venaient pas ou annulaient la veille du départ. Au bout d’un an, la communauté râlait et nous avons revu nos process pour rendre le système fiable et organisé », se souvient-elle.
Loin d’être un simple lifting, cette démarche reposait sur le déploiement de nouvelles fonctionnalités qui visait à créer un cercle vertueux, destiné à renforcer la transparence entre les membres et ainsi gagner la confiance des utilisateurs. Conclusion: les données des inscrits sont vérifiées, les conducteurs évalués et les passagers engagés. Tant et si bien qu’« aujourd’hui, le taux d’annulation est compris entre 3 et 4 % », atteste Laure Wagner.
Un cercle vertueux dupliqué à l’organisation interne. En effet, la start-up applique la règle des trois tiers: un tiers des collaborateurs planchent sur le développement technique, un tiers sur la relation avec les membres et un tiers sur la communication. Ainsi, sur un total de 180 salariés, 120 collaborateurs travaillent au siège social à Paris et 60 autres au sein des 12 bureaux étrangers, essentiellement à des postes de communicants. « Lorsque nous nous implantons dans un pays, le challenge est souvent de faire connaître le covoiturage », soutient Laure Wagner. En recrutement permanent depuis sa création, la société entend doper ses troupes de pas moins de 1 000 nouveaux profils d’ici 2015…
De nouvelles recrues qui pourraient bien faire leurs premières armes à l’étranger, puisqu’aujourd’hui BlaBlaCar est présente en Espagne, Angleterre, Italie, Pologne, Allemagne, Portugal, Benelux, Ukraine et Turquie. Un réseau maillé en cinq ans, avec plus ou moins de difficultés selon les régions. Reconnaissant ne pas pousser à la communication sur la zone Ukraine/Russie, c’est en “rachetant”, en février dernier, un site et une équipe locale que BlaBlaCar est arrivée dans ce pays où elle reconnaît aujourd’hui une activité en suspend, même si elle juge que les besoins existent toujours.
Autre nouvelle implantation dans le giron de BlaBlaCar: la Turquie, depuis septembre dernier. « Dans ce pays, nous avons localement recruté et formé nos équipes », explique Laure Wagner. Dans un contexte où le covoiturage ne s’inscrit pas naturellement dans les mœurs turques, la start-up s’attelle actuellement à vulgariser le concept. L’offre déployée n’en est encore qu’à ses balbutiements. « Pour l’heure, le paiement en ligne n’est pas encore possible et les passagers règlent leur trajet directement au conducteur », détaille-t-elle. Comme plusieurs autres, cette implantation n’est actuellement pas rentable. Rien d’inquiétant pour la start-up. « Il faut plusieurs années avant de rentabiliser l’ouverture dans un nouveau pays », confie la directrice de la communication.
Pour assurer ses arrières, BlaBlaCar s’est livrée à plusieurs levées de capitaux ces quatre dernières années: 1,250 million d’euros en 2010, 10 millions de dollars (8 millions d’euros) en 2012 et 100 millions de dollars (80 millions d’euros) en juillet dernier. Un record historique pour une start-up, un joli coup de pub pour le service.
Son tour d’Europe terminé, du moins pour le moment, la société envisage de mettre le cap sur l’Amérique Latine, l’Inde et l’Asie. Leurs points communs: avoir une culture automobile de longue date, de lourds coûts de détention, notamment en termes de carburant, une infrastructure routière nationale fiable, une classe moyenne développée, une forte densité de population et une bonne connectivité.
Revendiquant aujourd’hui 10 millions de membres, 2 millions de voyageurs mensuels, 24,3 millions de sièges offerts depuis 2009 et un taux d’occupation moyen de trois personnes par voiture, BlaBlaCar cale sa stratégie sur une parfaite connaissance de son cœur de cible. Avec un âge moyen de la communauté qui avoisine 32 ans, soit trois ans de plus que l’âge moyen des salariés de la start-up, deux profils d’utilisateurs se dessinent: celui du conducteur, quelqu’un qui a quitté sa ville d’origine et rentre régulièrement, et celui de l’usager, un peu plus jeune et urbain. Alors qu’un tiers des membres ne possède pas de voiture, un tiers ne sévit que comme conducteur, un tiers que comme passager et un tiers « arbitre pour chaque trajet et situation », observe Laure Wagner.
Des usagers particulièrement actifs en périodes de pointe comme les fêtes de fin d’année, semaine au cours de la laquelle la start-up a enregistré quelques-unes de ses plus belles performances: 150 000 trajets en 2008, 450 000 en 2009 et 500 000 l’an dernier, l’équivalent de 1 250 TGV!
Côté concurrence, BlaBlaCar, s’est fixé une ligne de conduite stricte: ne pas marcher sur les plates-bandes de la concurrence. Sereine face à la libéralisation des lignes interrégionales, la société espère que chacun tiendra son rôle: « le covoiturage est moins cher et permet de trouver des trajets porte à porte, tandis que l’autocar offre plus de place pour les bagages », distingue Laure Wagner. Ses services feraient de l’ombre à la SNCF? Pas le moins du monde. « Si nos dix premières destinations ont leur équivalence en ligne TGV, elles ne représentent que 3 % des trajets les plus utilisés par nos membres. »
