Modes alternatifs Tombés en désuétude, négligés des statistiques, parfois sans existence légale, de nombreux modes de transports non polluants peinent à se faire une place dans le paysage de la mobilité durable. Pourtant, certains d’entre eux pourraient, à leur échelle, favoriser le report modal. Retour sur ces “parias” des politiques de déplacement, avec leurs potentiels, leurs limites, et les freins à lever pour les encourager.
Patchwork de mobilité, intermodalité, palette de l’offre diversifiée, etc. Dans le discours ambiant des acteurs du transport public, les expressions ne manquent pas pour insister sur l’idée qu’il est nécessaire de proposer un large choix de solutions de déplacements pour inciter au report modal. Ainsi, l’époque où l’on encourageait la voiture reine semble révolue, vive l’ère de l’Homo Mobilis et de la multimodalité! Cependant, si ce cocktail de mobilité est souvent préconisé, force est de constater que les différents modes mis en avant dans les politiques publiques se limitent le plus souvent aux transports en commun classiques (métro, bus, tramway, train), aux modes doux classiques (vélo, marche à pied) et aux modes alternatifs devenus classiques (covoiturage, autopartage). Et cela, alors que de nombreux autres moyens de déplacement non polluants, pouvant apporter leur pierre à l’édifice de la mobilité durable, sont parfois complètement oubliés.
Ainsi, dans la série modes doux invisibles on trouve par exemple les trottinettes, rollers, gyropodes et skateboards. De plus en plus présents sur les trottoirs des grandes villes, et des moins grandes, ils restent cependant discrets et souffrent d’une réputation pour le moins stigmatisante: celle de n’être considérés que comme des jouets: « Aucun texte national ne réglemente spécifiquement la circulation des engins à roulettes. Cette activité n’est pas assimilée à un moyen de transport, mais à un jeu, y compris [ceux fonctionnant à] l’énergie électrique. », indique ainsi le site officiel de l’administration française, service-public.fr. Assimilés au mode piéton, ils ont obligation de circuler sur le trottoir, de respecter les feux tricolores et d’aller à une vitesse de 12 km/h. À cette inexistence légale s’ajoutent deux autres manques de considération: celui de ne pas être comptabilisé dans les enquêtes déplacements, et celui d’être complètement oublié des politiques publiques.
Autre cas de figure, les modes de transport ayant été remplacés par d’autres, plus modernes, au point d’avoir quasiment disparu du paysage des transports de voyageurs. Le plus emblématique pourrait être l’utilisation du cheval (via la charrette par exemple). Si certaines zones rurales ont réintroduit le transport scolaire ou de personnes âgées par ce biais, comme à Lampertheim en Alsace, force est de constater que l’utilisation de cette solution non polluante – et fort sympathique – est au mieux perçue comme une activité touristique. Au pire, elle n’est même pas envisagée.
D’autres modes plus chanceux, tombés eux aussi en désuétude, commencent cependant à revenir doucement au goût du jour. C’est le cas des navettes fluviales et des transports par câble. Dans le cas des navettes, « les collectivités ont longtemps donné la place des rives et des berges à la voiture, explique Cécile Clément, directrice d’études au Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema). Cela s’est traduit par la construction de grands parkings, de routes, etc. Mais aujourd’hui, on assiste à un retour des villes vers leur cours d’eau, lié à une volonté d’encourager le report modal. »
Du côté des transports par câble, comme le téléphérique, « certaines collectivités se retrouvent avec des restrictions budgétaires et des espaces urbains à reconquérir. Il faut franchir des coupures urbaines, telles que les grandes autoroutes, dans le but de désenclaver certaines zones ou de les réinvestir. À ce niveau, le transport par câble trouve toute sa pertinence », ajoute Cécile Clément.
En revanche, même si quelques projets de transport par voie d’eau ou par câble voient le jour à certains endroits, force est de constater qu’ils sont encore loin d’avoir toute leur place au sein de nombreux réseaux. Pourtant, comme leurs voisins à roulettes ou à cheval, ces modes ont de nombreux avantages.
Le premier des atouts de ces oubliés du transport est de pouvoir participer à la multiplication des modes alternatifs à la voiture. Au niveau des transports par câble ou des navettes fluviales par exemple, Cécile Clément considère qu’ils sont « un maillon des transports publics. Ils permettent de faire des liens entre les modes. » Cet avantage vaut aussi pour certains engins à roulette qui « peuvent être d’une grande efficacité, considère Benoît Hiron, chercheur au Cerema, notamment sur les réseaux urbains. Ils peuvent aussi être une véritable alternative à un usage de la voiture qui ne devrait plus exister, à savoir sur les déplacements de courte distance. » Et cela, tout en étant imbattables, pour certains d’entre eux, en termes d’intermodalité avec les modes plus lourds ou la marche: « La trottinette, par exemple, se plie facilement et elle est parfaitement adaptée à des déplacements multimodaux ». Un avantage qui prévaut aussi pour le skateboard et le roller.
Un autre atout est, pour certains de ces modes, l’aspect économique. Il a son importance car ils coûtent parfois moins cher à développer que d’autres moyens plus classiques. Par exemple dans le cas des navettes fluviales: « Pendant longtemps, pour les traversées on optait le plus souvent pour l’ouvrage d’art, comme les ponts, qui coûtent très cher à réaliser. Beaucoup plus qu’une navette fluviale », explique Cécile Clément.
Autre intérêt de taille, l’aspect « ludique » de certaines de ces solutions oubliées peut aussi permettre à une collectivité d’attirer de nouveaux visiteurs et d’être un atout de communication en faveur des transports en commun: « Le téléphérique de Grenoble par exemple fait aussi la publicité de la ville, au même titre que le tramway historique de Lisbonne, on vient aussi pour les voir et les utiliser », ajoute la directrice. Même chose du côté des transports équestres.
Malgré ces multiples avantages, tout n’est cependant pas parfait dans le meilleur des modes. Comme leurs voisins plus classiques, chacun de ces modes oubliés a aussi des limites qu’il ne faut pas négliger. Ainsi, « ce ne sont pas forcément des modes capacitaires, il ne sera peut-être pas facile parfois d’atteindre un seuil de rentabilité rapidement, et ils ne vont pas forcément permettre à eux seuls le report modal », explique Cécile Clément à propos des navettes fluviales (cf. encadré). « Il faut donc voir les avantages que cela ramène au-delà de ces aspects », considère la chercheuse.
Le développement de ces oubliés doit aussi se faire en prenant bien en compte les aspects sécurité. La multiplication de skateboards sur la chaussée, en l’état actuel de la législation, peut par exemple s’avérer dangereuse, surtout si elle est pratiquée par des non-initiés. Il est donc nécessaire de « réfléchir au nombre d’accidents (blessés légers qui ont tout de même un coût global pour la société) qu’une augmentation du nombre d’utilisateurs de ces modes pourrait engendrer. Il est aussi important de prendre en compte que nous sommes dans une société vieillissante où, pour certaines personnes âgées, la difficulté dans la rue est de ne pas chuter car elles sont en équilibre précaire. Si elles croisent de plus en plus de modes plus rapides qu’elles sur le trottoir, comme les gyropodes ou les skates, il est probable que certaines d’entre elles n’oseront tout simplement pas sortir », explique Benoît Hiron.
Une minorité de ces modes peut aussi s’avérer chère à mettre en place. Si une ville souhaitait lancer des gyropodes en libre-service par exemple, il sera alors important de garder en tête que, sans même parler de la maintenance, un gyropode d’entrée de gamme coûte déjà « 8 000 euros à l’achat environ pour un particulier », indique la marque Segway. Cet investissement important concerne aussi, étonnamment, un autre mode beaucoup plus ancien: le transport à cheval. « Il ne faut pas oublier qu’un cheval se nourrit 7 jours sur 7, même en période scolaire, et qu’il faut une personne qui s’en occupe en permanence, ce qui peut engendrer des coûts non négligeables. », note Benoît Hiron.
Il y a d’autres barrières au développement de ces “parias” de la mobilité, mais elles sont cette fois liées au fait que la société n’a tout simplement pas été pensée pour eux, contrairement au vélo ou à la marche à pied. Du côté des trottinettes, rollers et autres skateboards, le frein principal à lever est avant tout leur inexistence légale. Malheureusement, il faut bien reconnaître au législateur que la tâche n’est pas aisée: « Nous sommes face à des catégories de modes différents les uns des autres, avec des usagers et usages différents, et il n’est pas évident de les définir de manière globale, estime Benoît Hiron. Autre difficulté, certains d’entre eux n’ont pas vraiment leur place sur le trottoir car ils peuvent être plus rapides que les piétons. Mais en même temps, ils n’ont rien à faire non plus, pour beaucoup, sur des aménagements cyclables ou sur la route, car ils ont des vitesses différentes qui risqueraient de gêner les vélos et les voitures, et ils sont utilisés par des publics différents: ainsi, on trouve autant d’usagers expérimentés de ces modes que d’enfants qui débutent et qui ne peuvent ni se retrouver sur la route, ni sur les voies cyclables. »
Autre frein: celui que « l’espace public qui n’a pas forcément été pensé pour eux, ajoute le chercheur. Dans le cas des engins à roulettes, les trottoirs sont riquiqui, la surface du sol n’est pas toujours adaptée, etc. […] Du côté des transports à cheval, les inconvénients existent aussi à ce niveau, car dans une ville avec des pavés par exemple, l’urine et la défécation de l’animal viennent se stocker dans le sol et dégagent une odeur très persistante. Par contre, l’asphalte ne pose aucun problème. »
Reste donc à savoir peser le pour et le contre pour que ces modes se développent, en prenant en compte que dans de nombreux cas, les avantages sont plus nombreux que les inconvénients. Reste aussi aux collectivités à tout simplement penser à ne plus les oublier, que ce soit « auniveau de leur propre communication, mais aussi lorsqu’elles réfléchissent à l’aménagement de leur espace public, considère Benoît Hiron. S’ils ne sont plus oubliés, peut-être que certaines choses seront faites différemment. Si certains ingénieurs chargés de la voirie réfléchissaient par exemple à rajouter quelques centimètres en plus sur le trottoir, pour que tout le monde ait sa place, l’inconvénient de la cohabitation ne se posera peut-être plus. »
Lille est l’une des (très) rares collectivités à avoir misé sur l’insolite gyropode. L’opérateur Transpole, filiale de Keolis, avait lancé en 2004 deux points de location, dont un dit Station Oxygène. Il abritait une quinzaine de ces engins électriques à deux roues, guidés par le poids du corps. Disponibles de 7 heures à 20 heures en semaine et sur réservation le week-end, les Segway coûtaient 4 euros pour 30 minutes de location, 20 euros la journée et 320 euros le mois. Faute de public et face à des problèmes de vols, les machines, qui se sont avérées plus ludiques que fonctionnelles, furent retirées progressivement jusqu’à l’arrêt pur et simple du service.
Le “tramway aérien” de New-York, tendu entre Roosevelt Island et Manhattan, surplombe l’East River depuis 1976. Il a transporté près de 2,7 millions de personnes l’an passé, dont 90 % de locaux selon l’exploitant Rioc. Il a été installé pour remplacer temporairement le métro, dont la construction prenait du retard. Lorsqu’en 1989, ce dernier ouvre enfin ses portes, les New-Yorkais refusent de se défaire du téléphérique de la Big Apple.
Depuis 2003, il est intégré au réseau de transport de la ville, accessible au prix d’un titre de transport classique (2,50 dollars). En 2010, le spécialiste du transport par câble français, Poma, remplace les cabines vétustes et installe un système de doubles câbles en voies larges, permettant d’effectuer un service aller et retour simultanément. Fait marquant: lors des deux derniers ouragans ayant frappé New-York, le téléphérique, conçu pour résister aux fortes bourrasques, est la dernière installation à avoir fermé ses portes, et la première à les avoir rouvertes.
En mars 2014, les transports faisaient figure de proue dans les programmes des candidats aux élections municipales. Dans celui d’Anne Hidalgo, actuelle maire de Paris, trônait notamment « l’idée d’un transport suspendu, comme un téléphérique, entre les gares de Lyon et d’Austerlitz », de part et d’autre de la Seine. Le projet, très contesté, notamment pour le risque de dégradation des bâtiments historiques, n’a plus été évoqué.
L’aventure avait mal commencé pour les deux catamarans hybrides. En juillet 2013, soit deux mois après leur lancement officiel, l’une des deux navettes fluviales BatCub, La Gondole, s’encastre sur la pile d’un pont suite à une panne de moteur. L’accident ne fait aucun blessé sur les 38 passagers à bord, mais moins d’un mois plus tard, sa jumelle, L’Hirondelle, subit le même sort.
Remises à flot sur la Garonne depuis avril 2014, les deux BatCub semblent désormais sur la bonne voie, avec 187 300 voyageurs recensés l’an passé, pour un objectif de 200 000 selon l’exploitant Keolis, dont 71 % sont des locaux. À l’issue d’une enquête réalisée en octobre, l’opérateur a conclu que les trajets domicile-travail, en augmentation, se concentraient notamment sur la liaison centrale du fleuve, entre les quartiers de la place des Quinconces et de la place Stalingrad.
Le concept était louable. En 2008, le Syndicat des transports d’Île-de-France (Stif) décide d’expérimenter un service de navettes publiques, desservant cinq arrêts sur les bords de la Seine, au prix d’un titre de transport francilien. Faute de public, le Stif interrompt le service en 2011 et décide de voir plus grand.
Il allonge le parcours des navettes à Vitry-sur-Seine et Maisons-Alfort dans le Val-de-Marne, et à Suresnes dans les Hauts-de-Seine. Une seule entreprise, Batobus, dépose un dossier suite à l’appel d’offres lancé en 2012, proposant un coût d’exploitation de 74 millions d’euros, soit trois fois le prix évalué par le Stif. Le projet est abandonné en 2013.
Parmi les quelque 130 communes françaises qui exploitent la traction animale dans un service public, Vendargues (Hérault) est l’une des plus équipées. Avec quatre chevaux de trait (en plus d’un âne utilisé pour l’entretien de la ville) et deux attelages, la commune transporte 130 élèves deux fois par jour en semaine. Depuis quatre ans, les calèches effectuent 1,6 km de trajet pour desservir quatre écoles. « D’un point de vue écologique, nous faisons d’énormes économies de CO2. Sans les attelages, il y aurait 130 voitures devant les écoles! », défend Pierre Dudieuzère, maire de cette commune de 6 002 habitants. Et d’ajouter que « les enfants et les parents sont ravis ». Le service, gratuit pour les usagers, a coûté 5 000 euros à la collectivité pour l’achat de chaque cheval, 15 000 euros pour la calèche, « amortis dans une dizaine d’années », et 60 000 euros pour la construction des écuries. L’entretien des chevaux revient à près de 200 euros par mois, selon le maire. « En tout, c’est à peu près le même prix que pour un autobus », compare-t-il, même si pour lui, « ce service n’en a pas », de prix.
Exploitées par le groupe Transdev via sa filiale CPPMSM (Compagnie des parcs et des passeurs du Mont-Saint-Michel), les voitures hippomobiles dites maringottes effectuent des trajets de quatre kilomètres entre le parking du Mont-Saint-Michel et la célèbre abbaye. En juillet dernier, Norbert Coulon, éleveur normand de chevaux de trait, attaque Transdev en justice pour « manquements commis par la compagnie, au titre de son obligation de recruter des meneurs et de les former correctement de manière à assurer la sécurité des personnes et la sauvegarde des chevaux ». Transdev dès lors est condamné à verser une amende de 1,1 million d’euros par le tribunal de commerce de Paris. Souhaitant obtenir la réformation du jugement, le groupe précise que l’expertise devrait prendre fin d’ici la fin de l’année.
En 2009, Anton Grimes, un étudiant de l’université de Nouvelle-Galles du Sud à Sydney, proposait un prototype de trottinettes électriques en libre-service. Avec son Link Urban Scooter, le jeune homme a imaginé une borne centrale, comme un tronc, autour de laquelle des trottinettes électriques pliables seraient accrochées. Nominé aux James Dyson Awards la même année, un concours de design pour étudiants, le projet n’a cependant laissé aucune trace par la suite.
La catastrophe date, mais elle a suffisamment marqué les esprits pour écarter les dirigeables du transport commercial de personnes. En 1937, quatre ans après l’arrivée d’Hitler au pouvoir, le plus grand dirigeable jamais construit sur une ligne transatlantique, et baptisé Hindenburg, s’embrase en atterrissant à Lakehurst dans le New Jersey. L’aéronef de 45 mètres de haut, construit par la société allemande Zeppelin, a brûlé en une trentaine de secondes seulement. Depuis cette catastrophe ayant coûté la vie à 35 personnes sur 97 à bord, les dirigeables sont utilisés pour des opérations de surveillance, du transport de fret ou de la maintenance.
Et si les skateboards étaient, eux aussi, en libre-service? C’est ce que le New-Yorkais Adam Padilla, fondateur de l’agence de création BrandFire, a imaginé avec son équipe. Avec un peu de fantaisie et beaucoup de Photoshop, le graphiste a détourné une photo des vélos en libre-service de la société CitiBike à New-York pour en faire un CitiBoard, en remplaçant les deux-roues par des planches à roulettes. La photo trafiquée, postée sur les réseaux sociaux pour tenter de faire le buzz en a berné plus d’un. Pour l’heure, le projet n’a pas été concrétisé. « Il n’a jamais été question de donner vie à ce projet. Dans la vraie vie, ça serait un désastre. Les gens se casseraient tout le temps les jambes », tranche Adam Padilla dans une interview pour le journal anglophone Digiday.
