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Gares routières: de l’indigence à la renaissance?

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Répartition des gares routières en France

Crédit photo Shahinez Benabed

Longue distance Alors que le projet de loi Macron prévoit la libéralisation des lignes d’autocar longue distance en France, la question des gares routières, jusque-là laissées à l’abandon, se fait plus prégnante. Quelles améliorations doit-on apporter à la situation actuelle? Quels changements peut-on espérer au niveau réglementaire? Quels écueils devra-t-on éviter? Décryptage.

Une nouvelle ère pour le transport longue distance en autocar semble se dessiner en France. Le projet de loi Macron pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, qui prévoit la libéralisation de ce type de ligne, est en effet examiné au Sénat depuis le 7 avril. Après un passage compliqué à l’Assemblée nationale, et bien qu’il ne soit pas à l’abri d’un détricotage de la part des parlementaires du palais du Luxembourg, le texte suit pourtant coûte que coûte son chemin législatif. Si le rythme reste soutenu, dès l’été prochain, il pourrait permettre à l’autocar d’assurer en France des liaisons longue distance sans se limiter au cabotage (cf. Bus & Car no 970). De bon augure donc pour les autocaristes désireux de se lancer sur ce segment.

Mais avec l’ouverture des lignes d’autocar, la question des gares routières se fait plus prégnante. En effet, elles jouent un rôle « essentiel dans les politiques de déplacement en tant qu’interface dans la chaîne des transports », considère la Fédération nationale des transports de voyageurs (FNTV). Et avec les nouvelles opportunités de transport que pourrait engendrer la loi Macron, « la gare routière serait un des éléments qui ferait que la loi aboutisse à un réseau longue distance efficace, qui maille tout le territoire », considère Ingrid Mareschal, nouvelle secrétaire générale de la Fédération.

La France à la traîne

Seulement voilà, contrairement à des pays tels que le Royaume-Uni, et quelques beaux exemples récents en France comme Aix-en-Provence (cf. photo), l’Hexagone part de loin en matière de gares routières. De très loin, même.

Pour preuve, une étude de la FNTV réalisée en 2012, intitulée « Gares routières: des infrastructures au cœur du débat », a tenté de définir le nombre de gares routières dignes de ce nom dans les villes préfectures du territoire métropolitain. Dans l’enquête, pour prétendre au titre de gare routière, il fallait répondre à cinq caractéristiques de base: disposer d’une infrastructure hors voirie et identifiée dans le paysage (panneau de signalisation et/ou plan de ville), intégrer de l’information voyageurs théorique et en temps réel, proposer un espace d’accueil fermé et disposer de quais affectés de manière permanente ou en temps réel. Avec ces critères, la fédération est ainsi arrivée à un constat sans appel: seules 50 % des villes préfectures de France sont équipées de gares routières.

Un constat qui est loin d’étonner Jean Sivardière, président de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut): « C’est un fait, beaucoup de voyageurs se plaignent des gares routières. Il y a un très gros effort d’équipement à fournir, et ce, sur plusieurs aspects. Au niveau de la proximité avec d’autres modes de transport par exemple, elles sont parfois proches de gares SNCF, ce qui est très bien. Mais en général, elles sont éloignées, difficiles à trouver. Dans certains cas, il n’y a aucune information en temps réel, aucune information sur les droits des voyageurs, etc. Parfois même, il existe une complète inexistence d’infrastructure. Par exemple à Digne-les-Bains, ce qui est présenté comme une gare routière consiste en une guérite pour l’information voyageurs et un parking. C’est tout. Et ce cas de gare indigente est loin d’être isolé. »

Un cadre juridique touffu et ancien

Comment expliquer cette situation? La raison, aux yeux des acteurs du transport, est avant tout liée au cadre juridique ancien et peu précis auquel sont soumises les gares routières. L’ordonnance du 24 octobre 1945 à leur propos pose quelques jalons de définition et de structuration en les désignant comme étant des « installations dont l’objet est de faciliter au public l’usage des services de transport publics automobiles routiers de voyageurs desservant une localité, en liaison éventuelle avec les autres modes de transport. » (cf. Bus & Car no 926). En revanche, le texte, qui fêtera tout de même ses 70 ans cette année, « ne désigne pas de collectivité publique compétente pour l’octroi de droits en gare. Ainsi par exemple, concernant les gares publiques, l’article 24 renvoie à l’autorité qui a concédé ou affermé une gare publique de voyageurs. » C’est ce qu’indique l’autorité de la concurrence dans un avis du 27 février 2014 « relatif au fonctionnement concurrentiel du marché du transport interrégional régulier par autocar ». La Loi d’orientation des transports intérieurs (Loti) de 1982, qui aborde elle aussi la question des gares, n’est pas beaucoup plus précise. Si le texte fait des gares routières « une composante du service public des transports », il n’empêche que les autorités compétentes à ce niveau peuvent être à la fois les communes et leurs groupements, les syndicats mixtes de transport, les départements, ou l’État. Ces acteurs peuvent ensuite déléguer la gestion ou concéder les droits à ce niveau.

Ce cadre flou entraîne plusieurs effets. Le plus important est lié à la gouvernance et au nombre impressionnant d’acteurs susceptibles d’intervenir à différents niveaux en ce qui concerne les gares. Comme l’explique l’autorité de la concurrence dans son avis, « Il y a en effet lieu de souligner la très grande variété des entités impliquées dans la construction, l’exploitation et la gestion de ces structures: les différentes collectivités locales, leurs divers groupements et émanations, sans oublier notamment l’implication possible de la SNCF (détention des emprises, exploitation de la gare routière ou gestion de son accès, etc.). Certaines responsabilités ou certains droits sur l’infrastructure peuvent également faire l’objet de délégations, parfois accordées à des acteurs privés. » Résultat, outre la difficulté pour les autocaristes de savoir ne serait-ce qu’à qui s’adresser pour accéder aux infrastructures, « cela empêche d’avoir des critères d’harmonisation à l’échelle du territoire », explique Ingrid Mareschal (FNTV). « En somme, chacun fait comme il l’entend. Si la gouvernance n’est pas confiée à une collectivité bien déterminée, il n’y a pas de vision d’ensemble. »

Des éclaircies à venir

Cette situation peu glorieuse de la France pourrait cependant bientôt changer avec la libéralisation de l’autocar. D’abord, et grâce au projet de loi Macron, plusieurs modifications du régime actuel sont prévues qui devraient faciliter le développement de ces infrastructures et leurs accès. Ainsi, l’Autorité de régulation des activités ferroviaires (Araf), transformée en Arafer (pour inclure désormais les activités routières), devrait avoir, parmi ses nouvelles missions, celle de contrôler l’accès aux gares pour faciliter l’accès aux infrastructures à tous les transporteurs, en évitant le risque de distorsion de la concurrence avec la SNCF (cf. Bus & Car no 948).

Autre grande modification, les gares routières sont désormais incluses dans les schémas régionaux de l’intermodalité, qui coordonnent « à l’échelle régionale, en l’absence d’une autorité organisatrice de transport unique […] les politiques conduites en matière de mobilité », indique l’article 6 de la loi Maptam(1). L’objectif est de permettre d’élaborer, à l’échelle régionale, une vision cohérente de développement des gares routières en les pensant de manière globale et harmonisée, en complémentarité avec les autres modes de transport.

Enfin, deux autres évolutions majeures ont été ajoutées au texte initial par les parlementaires, notamment celles de Fabienne Keller (sénatrice du Bas-Rhin), via un amendement adopté le 17 mars 2015 par la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi. La première consiste à situer les gares à proximité des gares ferroviaires pour favoriser l’interconnexion entre les modes de transports et éviter ainsi l’isolement et l’inaccessibilité de certaines infrastructures. La seconde consiste à faire que les régions, « et sur les territoires où elles existent, les métropoles et les communautés urbaines soient compétentes en matière de coordination des actions d’aménagement des gares routières », indique Fabienne Keller sur son site internet.

Par ailleurs, et au-delà de la loi Macron, « une étude exhaustive du ministère des Transports est en cours auprès des préfectures pour dresser un état des lieux actualisé et complet des gares routières en France. L’idée sera de définir précisément le concept de gare routière et d’actualiser l’ordonnance de 1945 », explique Ingrid Mareschal.

Des acteurs satisfaits

Le texte et la volonté de changement de la situation actuelle ont dans l’ensemble été bien perçus par les acteurs du transport. Claude Faucher, délégué général de l’Union des transports publics et ferroviaires (UTP), a ainsi résumé le point de vue de son syndicat professionnel: « Selon nous, le projet de loi va dans le bon sens et satisfait les attentes des opérateurs de l’UTP. D’autant plus que les propositions que nous avons faites, qui étaient consensuelles et sages, ont été largement reprises dans les discussions au Parlement. » Même son de cloche, moins enthousiaste cependant, du côté de la FNTV: « La loi Macron fixe une première avancée, ce qui n’est déjà pas mal. C’est un premier pas indispensable. À ce stade, il est suffisant, on part de très loin et la loi ne pouvait pas faire de miracle avant d’avoir développé les lignes longue distance », considère Ingrid Mareschal.

Aller plus loin

Si la loi est un bon début, il sera nécessaire d’aller plus loin, tant au niveau de la gouvernance que de l’offre proposée. Et les avis divergent sur certains points, notamment ceux introduits par Fabienne Keller. Au niveau de la nécessaire proximité de la gare routière et de sa voisine ferroviaire, si cette mesure est applaudie par la Fnaut, elle est en revanche jugée « pas toujours pertinente » par Ingrid Mareschal. La secrétaire générale de la FNTV considère en effet qu’« il y a des villes où il est indispensable que les liaisons longue distance soient au cœur de la ville, d’autres non. Également, il existe des situations du lieu proprement dit où il n’y a pas toujours la place pour accueillir les voyageurs. Par exemple à Paris, il y a un problème au niveau du foncier. Le manque d’espace empêche parfois de construire des gares routières ou des infrastructures pour les véhicules. »

Les avis divergent aussi sur l’idée de faire des régions, dans certains cas, les chefs de file. L’Association des régions de France (ARF), contactée par Bus & Car, indique que « Les régions défendent une cohérence entre les gares routières et les compétences des collectivités […]. Aujourd’hui, une majorité des autocars utilisant ces gares routières sont départementaux. Demain, ils deviendront des autocars régionaux et la logique voudrait que leur organisation passe alors sous la responsabilité des régions. » En revanche, la FNTV explique que certains conseils régionaux « sont un peu réticents à cette idée, car cette nouvelle compétence pourrait occasionner un coût supplémentaire (travaux d’aménagement, mises aux normes d’accessibilité, etc.) », ce qui serait peut-être difficile à gérer sans financements supplémentaires.

L’UTP pour sa part opte pour une autre solution: « En matière de gouvernance, nous recommandons que l’autorité organisatrice de la mobilité [AOM, ndlr] soit compétente dans la gestion des gares routières qui ne relèvent pas encore d’une autorité organisatrice. En effet, notre expérience montre qu’il faut insérer la gare routière dans l’intermodalité locale. La gestion de la circulation, très importante pour amener les cars dans la gare, ou encore les services de proximité (déneigement, ramassage des ordures, etc.) étant assurés à cet échelon et non au niveau régional », indique Claude Faucher. « Nous avons aussi l’expérience des gares ferroviaires, pour lesquelles les autorités organisatrices locales sont concernées par les conséquences de ce type d’infrastructure sur un quartier. Un maire ne peut pas se désintéresser d’une gare. Les AOM auront donc de l’intérêt à la desserte. Les régions, en revanche, pourraient peut-être être un peu juge et partie », étant donné qu’elles sont déjà compétentes pour la gestion des TER.

La question économique

Au-delà des aspects de gouvernance, il faudra aussi, et entre autres, se mettre d’accord sur les questions de financement pour développer les infrastructures, pour améliorer le confort et les services proposés. Faire payer un toucher de quai aux autocaristes (comme c’est le cas dans le ferroviaire), faire contribuer le secteur autoroutier (autocars compris) au financement de l’Arafer, apporter des fonds publics, etc., sont autant de solutions envisagées. Reste donc maintenant à savoir quelles solutions seront finalement choisies, et dans quelle mesure elles contribueront à développer les gares routières pour qu’elles quittent définitivement leur statut de parent pauvre de la mobilité.

Loi Maptam: loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles.

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  • Shahinez Benabed
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