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Une filière d’avenir

Maintenance Baisse des moyens d’investissement des collectivités territoriales et nécessités d’une gestion moins coûteuse des parcs de transport ferroviaires régionaux et urbains se conjuguent pour mettre en avant maintenance, réparation et modernisation des matériels roulants. Des marchés complexes dont les degrés d’ouverture à la concurrence sont inégaux, particulièrement en France, mais qui intéressent fortement une industrie ferroviaire en manque de commandes de matériels neufs.

S’il semble a priori moins prestigieux de réparer ou de moderniser des matériels anciens que d’en construire de nouveaux, nécessité fait loi! Alors que les commandes des opérateurs français se raréfient, les constructeurs de matériels ferroviaires affichent de plus en plus l’ambition de développer leurs activités de services, dans lesquelles les contrats de maintenance, associés ou non aux contrats d’achats de matériels, devraient prendre de plus en plus de place. Mais c’est aussi le cas des rénovations et des modernisations de matériels réalisés en coopération avec des partenaires spécialisés.

Aussi, le 15 avril 2015 a-t-il été une journée importante pour l’entreprise ACC de Clermont-Ferrand (voir encadré). Elle a accueilli Yann Mongaburu, président du STMC, autorité organisatrice des transports de Grenoble, pour lui présenter l’une des 18 rames TFS (Tramway français standard) de son réseau en cours de rénovation(1).

Un long processus

La rénovation est un processus industriel complexe d’une durée de 36 jours par rame qui s’apparente à une vraie déconstruction-reconstruction. Elle débute par un contrôle de la caisse et de la structure des véhicules, avant le désaccouplement de la rame par séparation des caisses et des bogies, sa déconnexion électrique (pantographes, équipements en toiture) et le démontage total des aménagements intérieurs. Parallèlement, s’effectue la révision des systèmes mécaniques (portes, essieux, etc.), le remplacement de l’ensemble de la câblerie (60 km par rame!) et des systèmes électriques, et enfin une remise en peinture de la caisse. On passe ensuite au remontage des équipements du toit au plancher, et au réaménagement intérieur avec le regarnissage des sièges. Si besoin, on procède à l’installation de nouvelles fonctionnalités, notamment en matière d’information voyageurs, d’éclairage et de vidéo-surveillance. Ce processus s’achève avec le réaccouplement des caisses, la reconnexion électrique de l’ensemble de la rame et une série d’essais fonctionnels statiques. C’est alors le contrôle qualité final avant livraison et remise en service sur le réseau, avec l’assistance de spécialistes ACC.

En raison des options à venir attendues par l’entreprise, ce contrat concernerait à terme la totalité des 38 rames de ce type qui figurent au parc des transports urbains grenoblois, les TAG. Elles en ont un besoin pressant, car la majorité des 18 TFS rénovées d’ici la fin 2015 devraient déjà être affectées à la nouvelle ligne E qui sera mise en service fin juin.

« Cette démarche est réellement vertueuse, constate Yann Mongaburu, puisqu’elle se fonde sur la sobriété d’utilisation de l’argent public, la rénovation nous revenant à 0,65 M€ par rame, à comparer au coût de 2,5 M€ d’une rame neuve. » L’élu grenoblois y voit aussi une véritable exigence écologique en raison des gains énergétiques, apportés notamment par de nouveaux équipements électriques à moindre consommation, et des économies de matières premières, puisqu’il s’agit des mêmes rames, « tout en apportant un confort accru grâce à l’introduction d’équipements de dernière génération comme les systèmes d’informations voyageurs ».

La filière de la rénovation

Le président du SMTC appelle de ses vœux « l’émergence d’une véritable filière de la rénovation des matériels urbains ». Serait-elle, au moins en partie, déjà réalité? Pour Pierre Michaud, responsable du service après-vente chez Bombardier Transport, ce secteur d’activité, qui pourrait à terme « générer 25 % du chiffre d’affaires du groupe, s’appuie sur trois métiers, avec la gestion des composants et des pièces de rechange, l’assistance à la gestion de flotte de matériels roulants et la rénovation elle-même ». Dans le cas du contrat grenoblois, Bombardier Transport a pris en main l’ingénierie, les approvisionnements et la gestion globale du projet. « En fait, nous avons appliqué ici une démarche similaire à celle de la conception et de la construction de matériels neufs », précise Pierre Michaud. Il évoque les contrats du groupe comparables dans ce domaine, en Allemagne, en Grande-Bretagne(2) et dans les pays nordiques, mais aussi la rénovation, également en cours, des rames du tramway Mongy (Lille-Roubaix-Tourcoing) et celle à venir des rames Break de construction belge de la liaison rail-aéroport de Casablanca.

Chez Alstom, la vision des activités de maintenance et rénovation n’est guère différente. Le groupe, qui partage ses activités entre quatre grands secteurs (construction de matériels roulants, infrastructures et systèmes, signalisation et services), veut accroître la part des services. Comme l’explique Ana Giros, directrice générale d’Alstom France, ce secteur services « se partage entre maintenance, rénovation et logistique avec la fourniture de composants ».

Actuellement, les services du constructeur intéressent plus de 200 clients sur 120 sites de maintenance dans le monde(3). Certains contrats associent d’emblée la vente des matériels et leur maintenance (voire la construction des ateliers ad hoc), comme en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Pologne et en Suède. Même dans le contexte particulier du marché français de la maintenance qui semble –presque hermétiquement – fermé, Alstom a adapté son offre. « Nous allons au-delà de la simple garantie traditionnelle, explique Ana Giros, puisque pour les rames Regiolis nous avons mis en place une aide à la maintenance qui comprend aussi bien la création d’une chaîne logistique pour l’approvisionnement en composants et pièces détachées que le diagnostic technique des rames. »

Dans cet ensemble, « les activités de rénovation ont évolué puisqu’elles ne se limitent plus à une simple remise à niveau esthétique, mais elles tendent désormais à contrecarrer la tendance à l’obsolescence des matériels », ajoute la directrice. La rénovation va de la mise aux normes, comme dans le cas de la mise en accessibilité PMR des matériels régionaux et urbains, jusqu’à « effectuer des opérations plus complexes comme la modernisation des semi-conducteurs d’une chaîne de traction, voire son remplacement complet ».

La rénovation est sans conteste un marché d’avenir mais qui risque de devenir plus complexe. Cette activité sera de moins en moins réduite à un simple toilettage, notamment dans le cas de la rénovation par un industriel de matériels venant d’un autre constructeur(4), ou quand le client demandera d’intégrer les dernières innovations dans le processus de rénovation (celles du constructeur d’origine ou celles du rénovateur?).

La concurrence en matière de rénovation risque de devenir triple, remarque Pierre Michaud. Concurrence entre les constructeurs, entre les rénovateurs et celle à venir, interne aux constructeurs, qui pourrait porter sur l’arbitrage entre les activités de construction, de maintenance et de rénovation!

Ces rames TFS, construites par Alstom à partir de 1985 en 162 exemplaires sous diverses versions, ont équipé les nouvelles lignes de tramway recréées en France à Nantes, à Grenoble, en Île-de-France et à Rouen.

En Grande-Bretagne, exploitation, gestion-maintenance des matériels et rénovation sont séparées, alors que jusqu’aux années 1940-1950 les exploitants construisaient leurs propres matériels!

Ce qu’Alstom a réalisé récemment sur des rames du métro de Mexico.

C’est le cas pour le marché de Grenoble, mais il s’agit de matériels anciens. Alstom estime que 20 % de ses activités de maintenance et de modernisation s’effectuent sur des matériels provenant d’autres constructeurs. En Italie, des équipes Alstom totalisant 600 à 700 personnes sont présentes dans 20 dépôts de FS-Trenitalia (les chemins de fer italiens).

ACC: près d’un siècle d’expérience ferroviaire

ACC Ingénierie et maintenance a été créée en 1919 dans la foulée du vaste marché qui s’offrait après la Première Guerre mondiale avec la reconversion des matériels ferroviaires des stocks du corps expéditionnaire américain de 1917(1). La société est restée fidèle à sa vocation d’origine, tout en se diversifiant dans des domaines plus inattendus comme les technologies de radars et de fabrication de bancs d’essais.

« Dès les années 1970, nous nous sommes tournés vers d’autres marchés que la réparation de wagons, avec des premiers contrats conclus avec la RATP pour la rénovation de rames de métro », rappelle Claude Liothin, coprésident d’ACC en charge du secteur ferroviaire. Il évoque successivement la rénovation de 88 M 61 de la RATP (RER A), de Corail et de VO 2N (rames à deux niveaux) de la SNCF, et celle en cours des rames MI 79 du RER B. Ce dernier contrat, aujourd’hui en voie d’achèvement, concernait 61 rames totalement rénovées et rééquipées, y compris l’ensemble du câblage. « Nous allons nous porter candidats, d’ici la mi-mai, à l’appel d’offres pour la rénovation et l’adaptation à la ligne B des MI 84 du RER A (51 rames) qui, au fur et à mesure de l’arrivée des nouvelles rames à deux niveaux MI 2N, devraient migrer vers la ligne B », indique Claude Liothin.

D’autres marchés importants pourraient se concrétiser, comme celui du démantèlement d’une partie du parc des 3 000 voitures Corail qui arrivent à amortissement. « D’ores et déjà, grâce à notre expérience du désamiantage, du démontage et du tri sélectif des composants [y compris pour leur réutilisation, ndlr], et en coopération avec un ferrailleur local, nous pensons aussi pouvoir être très performants dans ce domaine », déclare-t-il.

Avec ses 320 salariés, ses 32 M€ de chiffre d’affaires (et 2 M€ de résultat!) en 2014, ACC est une entreprise qui tourne. Mais ses marchés cibles restent fragiles, voire aléatoires, puisque soumis à des variations importantes, même si « grâce à sa souplesse, sa qualité et son respect des délais », la société peut répondre à des demandes très spécifiques: rénovation des cabines à l’habillage rétro du funiculaire de Thonon-les-Bains actuellement en traitement, travaux de modernisation dont les appels d’offres sont limités par lots, intervention sur les bogies, travaux déjà réalisés pour le tramway de Strasbourg et ceux à venir sur les Citadis les plus anciens de Bordeaux et de Grenoble, ou bien encore intervention sur 1 800 portes des rames automotrices type MU 80 Break des Chemins de fer belges (SNCB).

ACC s’est aussi attaqué à des travaux de haut niveau artistique, comme la rénovation de voitures-lits et de voitures-salon historiques du Venise-Simplon-Orient-Express(2) du Pullman Orient-Express. Le marché se fait en partenariat avec des ébénistes d’art pour la restauration des intérieurs, notamment les marqueteries Art déco. L’entreprise effectue aussi des tâches plus ponctuelles de réparations, accidentelles ou non, comme celle de la locomotive diesel BB 69422 SNCF, actuellement en cours.

« Nous sommes essentiellement une industrie de main-d’œuvre, donc de qualifications à la fois élevées, diversifiées et polyvalentes », constate Jean-Marie Couderc, président d’ACC. Et de rappeler que cette part incontournable totalise 85 % du montant des coûts de l’entreprise. Mais il est vrai qu’un savoir-faire aussi pointu, c’est aussi sa signature.

(1) Au total cinq entreprises, dont quatre sont toujours en activité sous diverses formes, avaient été créées sous l’égide de l’État pour traiter ce marché considérable. ACC a également la particularité d’être une entreprise détenue par une partie de ses cadres.

(2) Voitures présentées l’été dernier à Paris devant l’Institut du monde arabe à l’occasion de l’exposition sur l’Orient-Express.

Maintenance: le repli identitaire des grands opérateurs

Alors que depuis des décennies les opérateurs ferroviaires ont souvent confié la modernisation de leurs matériels roulants à des tiers, la maintenance, métier spécifique s’il en est, a été généralement jalousement gardée en interne.

Or, selon l’étude de l’Unife (Union des industries ferroviaires européennes), ce marché, près de 60 Md€ annuels au niveau mondial, croîtrait de 3,5 à 4 % par an, tous matériels confondus et en incluant la réparation et la rénovation, puisque les critères sont différents selon les pays.

C’est donc une croissance plus rapide que la moyenne du secteur et que la construction neuve. Tradition ferroviaire à l’appui, à peine la moitié de ce marché serait actuellement ouverte à la concurrence, cette proportion, à la fois globale et théorique, étant a priori encore moins élevée en France qu’ailleurs en Europe. Cet état de fait vient du poids des ateliers SNCF du côté des matériels ferroviaires classiques, de ceux de la RATP du côté des métros et des tramways d’Île-de-France et de ceux de nombreux réseaux, la même remarque pouvant d’ailleurs être faite pour les autobus de ces mêmes réseaux.

D’autres approches du marché se font jour puisque la SNCF a même créé des structures juridiquement indépendantes qui participent aux appels d’offres, comme sa filiale Masteris, version maintenance de ce que représente VFLI (Voies ferrées locales et industrielles) côté transport. C’est une manière d’externaliser formellement sans réellement lâcher le marché de la maintenance. Aussi, dans ce domaine, les deux grands donneurs d’ordres donnent l’impression de camper dans une sorte de repli identitaire de leurs activités qui associerait sauvegarde de leurs emplois, cohérence interne de l’entreprise et protection de leur savoir-faire, d’autant que ce dernier est en partie fondé sur leur mémoire des matériels.

En conséquence, la maintenance n’est que très faiblement ouverte à la concurrence. Jean-Pierre Audoux, délégué général de la FIF (Fédération des industries ferroviaires), rappelle que si « la maintenance ferroviaire et la rénovation totalisent un potentiel annuel d’un montant d’environ un milliard d’euros, les neuf dixièmes de ce total sont aujourd’hui dans le giron de la SNCF », ce qui, ajoute-t-il, témoigne du « lien entre ouverture à la concurrence de la maintenance et ouverture du marché ferroviaire ».

En sera-t-il toujours ainsi? Au-delà des directives européennes et du futur 4e paquet ferroviaire qui incitent à l’ouverture de la maintenance, y compris dans les contrats de délégation de service public, les autorités organisatrices régionales et les industriels réfléchissent au sujet, et se préparent à l’évolution du marché.

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Auteur

  • Michel CHLASTACZ
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