Technologie Le tramway sans caténaire, ou plutôt sans ligne aérienne de contact (LAC), a le vent en poupe et de nombreuses technologies se développent. Paradoxalement, elles se trouvent stimulées par l’essor longtemps attendu du bus électrique, lui-même demandeur de solutions de rechargement de ses systèmes embarqués de stockage d’énergie.
On pourrait discuter à l’infini du bien fondé de la nécessité esthétique qui mène à l’élimination de la LAC des tramways, dans certains centres-villes aux accès difficiles ou le long de lignes situées à proximité de bâtiments et de sites historiques classés. D’autant que la vigilance sourcilleuse des élus, et bien plus encore celle des Bâtiments de France, quant à ce type d’équipement serait à comparer avec leurs moindres exigences en ce qui concerne la présence intempestive de certaines enseignes de magasins, de publicités et de panneaux d’indications routières ou autres dans ces mêmes espaces urbains.
Mais c’est un fait, la demande du tramway sans fil continue de se développer rapidement. Parfois même elle peut jouer un rôle d’accélérateur dans le processus de décision d’une collectivité urbaine en faveur du choix du tramway! Aussi, au fil des années et des expériences acquises, tous les grands industriels du ferroviaire ont élaboré des solutions variées. Elles vont d’une simple caténaire classique très allégée
Alstom avait lancé une offre de tramway sans caténaire
Dans cette démarche, le SRS, solution de recharge par le sol, apparaît comme une sorte de version concentrée de l’APS, qui serait limitée aux stations puisqu’elles intègrent tous les équipements destinés au rechargement rapide des batteries qui équipent les rames
Cette solution de recharge en station associée à des dispositifs de stockage de l’énergie dans les rames, et qui serait valable aussi bien pour les tramways que pour les trolleybus, les autobus et d’autres véhicules comme les taxis et les camionnettes de livraison, avait été choisie dès l’origine par Bombardier Transport avec son système Primove, une technologie fondée sur l’induction.
Suite aux essais d’équipement de ligne de bout en bout qui s’étaient rapidement avérés aussi coûteux que lourds et complexes dans leur mise en œuvre, la solution de l’équipement en station a été retenue. Ainsi, après une mise en service du système sur une ligne du réseau chinois de Nanjin avec des rames Flexity Bombardier dès la fin de 2014, Primove est actuellement en expérimentation commerciale avec des rames Tramino du constructeur polonais Solaris
En mars 2015, ce sont quatre autobus électriques Solaris de la gamme Urbino 12 qui ont été mis en exploitation sur la ligne 215 des bus berlinois, un axe d’une longueur de 6,1 km. Les bus et certaines stations ont été équipés du système Primove, tandis qu’un projet de même type est en préparation pour la ville de Bruges en Belgique. Toutes ces expérimentations sont réalisées en partenariat avec les institutions scientifiques des agglomérations des pays concernés. Elles restent en attente de retour d’expérience avant de lancer à grande échelle l’industrialisation du système.
Parallèlement à Alstom et à Bombardier, et comme Siemens commence à le proposer avec son Sitra HES (Hybrid Energy Storage) qui sera installé sur une ligne de 11,5 km à Doha (capitale du Qatar), le groupe espagnol CAF avance aussi ses solutions. Depuis 2007, il met en œuvre le système ACR, accumulateurs à charge rapide. Associé à sa technologie Ecodrive, un dispositif de conduite économique par récupération de l’énergie de freinage, ACR est basé sur les supercondensateurs et les batteries. L’ensemble permet la recharge en station, soit par l’intermédiaire d’une caténaire fixe soit par celle d’une section de troisième rail au sol. Deux villes espagnoles, Séville et Saragosse, sont déjà équipées de l’ACR, en attendant son lancement à Grenade fin de l’année.
À Séville, cette solution ACR équipée d’une section de caténaire rigide de recharge en station avait été choisie pour éviter que les cortèges de la Semaine sainte n’endommagent… les caténaires. La courte ligne de tramway (2,5 km) avait elle-même été créée pour accéder au centre-ville historique en grande partie rendu piéton, tout en limitant les effets du stationnement des autocars de tourisme sur les artères principales de la ville. Le succès du système ACR va amener son extension à trois interstations supplémentaires dès décembre 2015, en attendant le prolongement de la ligne de tramway vers Santa Justa, la gare principale de la RENFE (société nationale d’exploitation des chemins de fer espagnols) qui concentre les trains classiques, les trains de banlieue et les trains à grande vitesse.
À Saragosse, c’est le troisième rail d’alimentation en station qui, depuis 2013, équipe 15 % des 12,8 km et 21 rames d’une ligne qui structure le réseau des transports urbains de l’agglomération dont le succès commercial est croissant.
Aujourd’hui, sur les 130 rames de tramway de la gamme Urbos de CAF qui sont en service ou en commande dans le monde, 60 circulant sur les réseaux de Grenade, Luxembourg, Saragosse et Séville sont ou seront équipées du système ACR pour rouler sans LAC.
Le foisonnement technologique des solutions sans LAC n’est pas stimulé par une demande liée aux seuls tramways. Cela explique la tendance croissante à l’équipement multimodal des points de rechargement électrique en station. Cette démarche, qui avait été affirmée dès l’origine par Bombardier dans le cadre du projet Primove, est désormais également assumée par Alstom avec son système SRS.
Une autre demande technologique explique aussi cette évolution, c’est celle des autobus électriques dont les batteries nécessitent des points de rechargement ponctuels en ligne. Cela permet une moindre immobilisation dans les dépôts et les centres de maintenance, et demande moins d’investissement en raison de la mise en place d’équipements communs dans les stations pouvant servir au rechargement d’autres véhicules électriques. À terme, cette évolution devrait aider à rentabiliser l’investissement initial comme à maîtriser les coûts d’équipement. Pour l’industrie ferroviaire, l’objectif idéal à atteindre serait de pouvoir rapprocher progressivement ces coûts d’installation et d’utilisation énergétique de ceux de la mise en place et de l’exploitation d’un tramway classique… avec LAC.
Avec notamment la pose d’une ligne aérienne de façade à façade, sans poteaux de support. Ce système peut être généralisé en centre-ville, quand l’urbanisme le permet comme c’est le cas à Strasbourg. Une caténaire trolleybus légère, voire esthétique en dépit de la nécessité du double fil de contact (alimentation + retour de courant), a été installée sur la place des Terreaux à Lyon.
Dans le monde aujourd’hui, les technologies de type APS sont appliquées sur près de 150 m de lignes de tramway et sur 250 rames de la gamme Citadis d’Alstom.
Comme le réseau des tramways de Paris intra-muros d’avant 1937, les anciens tramways de Bordeaux avaient déjà connu le sans-fil avec le caniveau électrique, véritable ancêtre de l’APS.
Y compris des systèmes d’émissions de signaux codés qui préparent le biberonnage en station, un système d’alimentation de forte puissance (1 500 A) pour une tension de 750 V.
Une expérimentation concernant les camions est en cours en Suède avec un partenariat Alstom-Volvo Trucks, organisé dans le cadre du programme européen ZeUS (Zero Emission Urban bus System).
Au-delà de la classique concurrence entre constructeurs, un accord technico-commercial avait été conclu fin 2012 entre Solaris et Bombardier. Il visait l’application du système Primove sur les tramways et les bus produits par Solaris.
Alors que tel le quatrième mousquetaire Siemens arrive sur le marché avec son HES, trois constructeurs dominent le marché du tramway sans fil avec des technologies fondées sur des infrastructures linéaires et/ou ponctuelles d’alimentation, elles-mêmes associées à des systèmes d’énergie embarquée.
L’APS d’Alstom Transport, après des débuts difficiles à Bordeaux, est la plus ancienne et la plus utilisée (Bordeaux, Orléans, Reims et Tours en France). Elle est désormais proposée en version tropicalisée pour l’application sur les réseaux de Dubaï (totalement APS), de Cuenca (Espagne) et de Rio de Janeiro (Brésil). Elle se présente sous la forme d’un troisième rail dont la mise sous tension des segments conducteurs ne peut être déclenchée que par un dialogue radio codé entre la rame et le sol, les segments non couverts par la rame en circulation ou à l’arrêt ne pouvant être alimentés. C’est une rame qui peut aussi être équipée de batteries de secours rechargeables. Dans sa version biberonnage stationnaire, dite SRS, « les équipements sont concentrés dans les stations, mais le système demeure le même. Et le SRS a un coût moins élevé que l’APS installé en continu, même s’il faut équiper les rames de systèmes embarqués de type supercapaciteurs à recharge rapide », explique Philippe Bertrand, directeur des solutions électrification chez Alstom Transport.
Le système Primove de Bombardier Transport, fonctionne sur la base de segments inductifs associant câbles d’alimentation en courant continu 750 V et onduleurs. Les premiers sont installés entre les rails et les seconds tous les 9 m sur le côté de la voie. Ces équipements génèrent un champ magnétique produisant du courant dans la rame ou le véhicule qui, munis de récepteurs (bobines inductives), passent à l’intérieur de ce champ. Il s’agit d’un champ magnétique glissant qui n’est mis en action que sous le véhicule et qui disparaît au fur et à mesure de sa progression. La version en station désormais mise en avant, essentiellement pour des raisons de coûts et de délais de réalisation, réduit l’équipement au tronçon de voie et de stationnement(*) de la rame. La rame est elle-même équipée de batteries légères et de longue durée, expérimentées depuis 2014 sur les trams de Nanjing en Chine, qui lui permettent d’effectuer le trajet entre deux stations.
Le système ACR de CAF est basé sur une technologie multiple qui associe les supercapacités, les batteries et les installations de recharge en station, dans un coffre d’équipement qui regroupe super-capacités, batteries et système de refroidissement. ACR est aussi proposé en version minimale qui comporte uniquement les batteries de secours rechargées durant le parcours avec l’énergie de freinage des rames, selon le système Ecodrive de CAF. Dans la version sans caténaire dite Freedrive, la recharge en station est proposée sous deux formes: avec un élément de rail central comme actuellement à Saragosse, et d’ici fin 2015 à Grenade, ou avec un tronçon de caténaire comme à Séville. « Les supercapacités n’étant pas totalement utilisées en service normal (15 à 20 % seulement), la recharge en station qui ne dure que vingt secondes suffit pour atteindre 100 % de charge au redémarrage, et en même temps le gain de consommation énergétique atteint plus de 30 % », indique Francis Nakache, directeur de CAF France. Le constructeur espagnol installera 3,6 km de ligne ACR sur les 16 km du futur Luxtram, le tram de Luxembourg. Il proposera aussi la solution ACR pour la seconde ligne du tramway de Nice prévue à l’horizon 2018 et dont la partie établie en surface (8,1 km sur 11,3 km) serait sans caténaires. « Une solution applicable à tous les types de rames et de tous constructeurs ajoute-t-il, car c’est un système non-propriétaire. »
* Soit quand même un ensemble au sol de 5 m de longueur, de 0,25 m d’épaisseur et d’un poids de… 7 tonnes!
