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Le DRH prend du poids

Organisation Les directeurs ou responsables des ressources humaines, d’abord vigies du climat social dans l’entreprise, jouent un rôle croissant dans la motivation, et donc la performance, des salariés.

Devenez conducteur! Dans notre secteur, vous ne connaîtrez pas le chômage. Vous jouerez un rôle important dans l’entreprise! » Ce genre d’annonce fleurit à Pôle emploi et ailleurs. Elle pourrait s’appliquer en particulier aux directeurs des ressources humaines (DRH) du transport de voyageurs. Leur profil s’est étoffé ces dernières années. Leur nombre explose. Une bonne part de la croissance du secteur repose désormais sur leurs épaules. « Dans le transport de voyageurs, le DRH était en charge des bonnes relations, autrefois un peu paternaliste avec les syndicats et leurs élus, observe Olivier Laurent, directeur général d’Althéa, cabinet conseil spécialisé en ressources humaines, qui a notamment œuvré auprès de la RATP et du groupe SNCF. Dans les grandes sociétés, ce poste venait couronner une carrière dans le commercial ou l’opérationnel. Il fallait bien connaître l’entreprise. La fonction s’est technicisée du fait de la réglementation croissante et des obligations légales de plus en plus lourdes, notamment en matière sociale. Des services complets de ressources humaines (gestion administrative, paie, formation) existent maintenant, même dans des entreprises moyennes. La fonction va encore se développer parce qu’elle est au cœur de la dynamique de l’entreprise. Attirer, former des conducteurs en nombre, savoir les motiver et les retenir devient un enjeu de la croissance. Le directeur des ressources humaines devient un partenaire indispensable dans l’entreprise. »

DRH dans le transport

Le DRH n’en reste pas moins, en premier lieu, responsable de la gestion administrative et de la paie des salariés. Cela se pratique un peu différemment dans le transport de voyageurs. « J’ai eu la surprise d’avoir à réapprendre le droit en arrivant dans l’entreprise, raconte Sylvie Montbarbon, 37 ans, DRH des Courriers Rhodaniens, à Saint-Perray dans l’Ardèche. Le secteur est beaucoup plus régi par sa convention collective, les accords de branche et d’entreprise, que par le code du travail. Autre surprise, la paie. Ce n’est que du variable, avec, de ce fait, un système très élaboré de prépaie issue des plannings de travail, effectivement variables puisque 98 % du personnel, ce sont des conducteurs, dont un bon nombre à temps partiel. »

Les Courriers Rhodaniens emploient 220 personnes. Le groupe, depuis le rachat des Autocars Gineys, des Voyages Fayard et des Cars de L’Eyrieux en totalise 400, 230 équivalents temps pleins. Sylvie Montbarbon gère ce personnel avec trois collègues affectées à la gestion administrative et à la paie. Elle vient d’en embaucher une pour le recrutement.

Le salarié a changé de statut

Les obligations attachées au salarié se sont considérablement accrues ces dernières années. Un exemple: l’entretien professionnel obligatoire figurait bien à la convention collective de l’interurbain. La loi sur la formation professionnelle l’a généralisé et l’a donc fait entrer dans le code du travail. Le 2 mars 2016, chaque salarié doit l’avoir passé au cours des deux dernières années. Cela doit déboucher sur un bilan professionnel complet tous les six ans. En cas de manquement de l’entreprise dans ce processus, le salarié se voit gratifié d’un supplément au nombre d’heures de formation que l’employeur lui doit, par le biais de son nouveau compte personnel de formation. Ce CPF remplace le DIF (droit individuel à la formation). « Les salariés avaient commencé à s’approprier le DIF qui date de 2004. Tout change avec le CPF. Cela aussi, il faut que le DRH le leur fasse comprendre, fait remarquer Sylvie Chalochet, DRH du pôle régional d’Île-de-France de Transdev. Le salarié a changé de statut. Il apparaît comme un acteur de sa vie professionnelle. L’entreprise doit lui en fournir les moyens. »

Et ce n’est là qu’un volet de ce nouveau statut. L’environnement social et même privé du salarié est maintenant pris en compte par des négociations obligatoires apparues au milieu des années 2000: sur le stress au travail, sur l’égalité homme-femme, sur l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. « On est loin du chef du personnel d’autrefois, qui recrutait et suivait vaguement le parcours du salarié dans l’entreprise », observe Sylvie Chalochet. D’autres négociations, touchant davantage au collectif de travail de l’entreprise (accords seniors suivis du contrat de génération, prévention de la pénibilité, mise en place de la base de données économiques et sociales) se sont ajoutées aux négociations courantes, celles, annuelles et obligatoires sur les salaires ou sur les moyens du dialogue social (les décharges de travail des élus) dans l’entreprise.

La récente loi Rebsamen sur le dialogue social n’a pas vraiment allégé la tâche. Pour Véronique Radet, responsable du pôle social et gestion des ressources humaines du groupement Réunir (167 entreprises adhérentes comptant entre 20 et 400 salariés), il l’a simplement compacté. Il reste 17 points de consultation obligatoire des représentants des salariés et presqu’autant d’obligations de négocier. « Avant que l’embauche d’un DRH devienne possible, nous préconisons à nos membres de confier ses missions à un directeur de la qualité, explique Véronique Radet. Mais il y a un moment où le chef d’entreprise croule sous ces obligations et ne peut plus faire face, même avec l’aide traditionnelle de son directeur financier et de son chef d’exploitation. Le seuil à partir duquel le chef d’entreprise se résout à embaucher un DRH se situe souvent autour de 100 salariés. »

Négociations et préconisations

Deux profils d’embauche sont possibles. Il y a la ou le jeune responsable des ressources humaines (RRH) qui sort de l’université: maîtrise puis DESS droit social, ou de l’école de commerce (Essec) filière RH avec une qualification à bac+5, ou d’une école spécialisée (IGS) qui offre des profils à bac+3. « La base juridique acquise, nous les confions à un mentor pour qu’ils comprennent comment fonctionne le transport », explique Sylvie Chalochet. Quand il a de l’expérience, le DRH est souvent engagé dans une PME parce qu’il possède déjà une certaine aisance dans la négociation. « L’important est qu’il puisse analyser le sujet des négociations et soit en mesure de faire des préconisations. Là, comme dans ses autres fonctions, il ne peut plus faire de copié-collé. Aujourd’hui, même un plan de formation se négocie avec les représentants du personnel! », souligne-t-elle. Cette relation avec les élus du personnel reste au cœur de la fonction du DRH.

La caractéristique, dans le transport de voyageurs, est d’avoir affaire essentiellement à des « ouvriers qualifiés mobiles ». Ni des ouvriers de chaînes de production, ni des gens qui vivent en vase clos, comme les routiers. Ce sont des personnes en contact permanent avec le public, et dont les entreprises exigent de la qualité dans sa relation avec lui. « Ils réfléchissent aux problèmes de l’entreprise. Internet aussi change la donne. Ils ne vont peut-être pas aussi loin que nous, la direction, dans la recherche des solutions, mais ils s’expriment, ils discutent en comité d’entreprise, en réunion de délégués du personnel, ils connaissent le contexte. On peut leur demander conseil, rechercher ensemble des solutions et contractualiser. »

Nerfs solides pour paix sociale

Quelle que soit la taille de l’entreprise, le contact étroit avec les salariés est important. À Saint-Perray, Sylvie Montbarbon se met à la disposition du personnel une journée tous les deux mois, dans les dix sites d’exploitation que compte le groupe, « pour ceux qui n’osent pas téléphoner! » Elle explique les bulletins de salaire, se met à l’écoute de chacun. Elle estime entretenir un lien de confiance, ce qui n’est pas si facile dans ce milieu essentiellement masculin. La profession de DRH se féminise. Pour Sylvie Chalochet, « cela ne fait pas de mal, et peut aider dans certaines négociations dures. Mais la pression est plus forte sur la DRH femme. Elle doit se montrer dynamique et efficace. Si elle est prise en défaut d’appréciation sur un dossier, elle peut très vite ne plus être entendue. »

Dans les PME, la ou le DRH ne doit pas éclipser le chef d’entreprise dans le contact avec les personnes. Aux Courriers Rhodaniens, le Pdg Yves Plessis conduit tous les mois les réunions de délégation unique du personnel (DUP). « Aux négociations, nous sommes là tous les deux », précise Sylvie Montbarbon.

La responsabilité du climat social dans l’entreprise prend une importance particulière dans les réseaux urbains. Le conflit social y est craint. « Le dispositif d’alarme sociale, avec préavis de grève et obligation d’échange entre les deux parties permet d’éviter les blocages. Il n’empêche que, lorsque l’on se retrouve en bout de course avec un mouvement social tout ce qu’il y a de plus légal sur les bras, qu’un simple mouvement de 59 minutes le matin et un autre le soir peuvent paralyser une ville, il faut avoir les nerfs solides, raconte Sylvie Chalochet. Un DRH doit avoir une bonne capacité à gérer le stress. » Cette capacité de résistance, c’est aux yeux de Jérôme Gosselin, DRH du réseau urbain de Lille (groupe Keolis), ce qui caractérise son travail dans le transport public. « Je viens pourtant de l’automobile. Ici, c’est très fort. D’autant plus que personne ne vit sous la menace d’une délocalisation. »

Le management de conviction s’impose

Les grands réseaux ont tendance à recruter des DRH au savoir-faire éprouvé dans les relations avec les syndicats. « Quand je recrute, je vérifie ce point avant tout », avoue Jérôme Gosselin.

Dans les priorités d’un DRH, la fonction de vigie sociale tend à être rejointe par le management des hommes. Le contexte est particulier, les marges faibles dans le transport public ne l’autorisent pas à disposer de services pléthoriques. La direction des ressources humaines de Keolis Lille compte 25 personnes à la paie, la communication interne, la direction juridique, le recrutement et la formation, pour un effectif de 2 800 salariés. L’efficacité doit donc être au rendez-vous pour manager essentiellement des conducteurs, par définition peu présents dans l’entreprise. « Là, le management de proximité est essentiel, un management qui doit être de conviction et fondé sur la qualité des relations humaines. »

Une nouvelle valeur: le bien-être au travail

Le DRH doit aussi de plus en plus veiller à la motivation des équipes, et c’est compliqué sans latitude dans les augmentations de salaire. « Notre autorité de tutelle, le Stif, nous demande explicitement de la croissance par la qualité de nos services. Et même si nous aidons les conducteurs en les formant, nous avons des exigences croissantes vis-à-vis d’eux, et ils peuvent en avoir aussi vis-à-vis de nous. Ils peuvent encore espérer rester jusqu’à la retraite, mais pour ce qui est de leur offrir des plans de carrière, cela reste compliqué », indique Sylvie Chalochet chez Transdev. Reste la ressource, surtout dans les grandes entreprises, de changer de ligne ou de type de transport, voire de s’engager dans l’aventure des lignes nationales.

Pour Jérôme Gosselin à Lille, la motivation des salariés passera de plus en plus par la culture de leur bien-être au travail, une compétence qui sera de plus en plus demandée aux DRH. Keolis Lille a installé des salles de sports dans les dépôts, mis en œuvre un suivi post-agression. Jérôme Gosselin a lancé une plateforme internet d’échanges de services (journées de travail). L’un des enjeux est de retenir les conducteurs alors qu’ils risquent d’être sollicités à l’extérieur.

La bataille du recrutement des conducteurs

L’ouverture des nouvelles lignes nationales d’autocar promet 15 000 emplois, dont une majorité de conducteurs. Transdev installe deux chauffeurs par car sur chacune de ses Isilines. Jusqu’ici, sont annoncés 50 % de promotion interne, 50 % de recrues à l’extérieur. À savoir que les transporteurs se montrent exigeants dans leurs embauches pour ce qui devient la vitrine de leur activité. La bataille de la formation et des recrutements est lancée. Des escouades de RRH formateurs et recruteurs vont fleurir. Les nouvelles lignes nationales ne font qu’ajouter au formidable effort de recrutement auquel les entreprises de transport sont naturellement contraintes par la croissance du secteur et l’augmentation de la mobilité en général.

Même à l’échelle des Courriers Rhodaniens de Saint-Perray, ce sont des défis permanents qui ont demandé à Sylvie Montbarbon une organisation spécifique.

Elle compte beaucoup de conducteurs à temps partiel en seconde partie de carrière. Ils sont à la recherche d’un complément d’emploi ou sont prêts à partir en retraite. Le turnover est de 13 %. Pour y faire face, elle tient trois campagnes de recrutement par an dans chacun des cinq départements (Rhône, Ardèche, Isère, Loire, Drôme) où le groupe est présent. Elle travaille avec Pôle emploi. L’entreprise refusant les trois mois de formation au seul permis, elle multiplie les stages pour les nouvelles recrues. Elle court aussi les forums de l’emploi, y fait le tour des employeurs pour les sonder sur la possibilité d’emplois partagés. Dans ses dix sites d’exploitation, elle remplit un cahier avec les noms des contacts des communes, des associations et des entreprises qu’elle trouve.

DRH et problématiques sociétales

Le DRH doit aussi avoir l’œil ouvert sur le reste de la société. « Le métier est passionnant à cause des multiples angles sous lesquels il faut aborder un même problème, juge Jérôme Gosselin à Keolis Lille. Économique, social, voire médiatique. Le transport est une affaire sérieuse dans la vie des gens. Il n’y a pas un jour où l’on n’en parle pas dans La Voix du Nord. Même la politique peut s’en mêler. » Pour 50 000 à 100 000 € d’investissement par an, le DRH est devenu une clé de l’avenir de l’entreprise.

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Auteur

  • Hubert Heulot
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