À quelques jours du congrès annuel de la Fédération nationale des transports de voyageurs, son président revient pour CONNEXION sur l’environnement très mouvant dans lequel évoluent désormais les opérateurs du transport routier de voyageurs.
Michel Seyt: Avant toute chose, notre premier objectif est atteint, puisque l’offre autocariste existe désormais et irrigue environ 80 agglomérations. Nous constatons aussi avec un certain plaisir que les voyageurs répondent favorablement à cette nouvelle offre. En revanche, il me semble encore un peu prématuré de tenter d’évaluer toutes les conséquences de cette libéralisation. Nous pouvons cependant déjà remarquer que les premières lignes lancées se calquent quelque peu sur le réseau TGV, ce qui n’est guère illogique compte tenu du fait que les opérateurs doivent d’abord trouver leur clientèle. Difficile en revanche de mesurer aujourd’hui l’impact que tout cela aura sur ce mode, même s’il y a de la marge puisque le TGV transporte 10 millions de passagers par an… Nous espérons que cette période n’est qu’une étape, et que l’autocar irriguera dans un deuxième temps plus finement des territoires aujourd’hui mal desservis.
M. S.: À mon avis plutôt bien, à condition de respecter quelques grands principes de prudence. Chacun sait par exemple que dans un compte d’exploitation, le taux kilométrique est d’une grande importance. Il faut donc que les entreprises anticipent bien le temps qui leur sera nécessaire pour atteindre un bon niveau de rentabilité. Si une PME doit patienter deux ou trois ans pour atteindre cet objectif, nous pouvons légitimement être inquiets. Je pense que les grands opérateurs qui contractualisent aujourd’hui avec les PME doivent leur donner une perspective rapide. Cette échéance est fondamentale.
M. S.: En tant qu’autocariste, je ferai le choix de la sécurité. Je suis à la tête d’une PME qui n’a pas les ressources suffisantes pour prendre de gros risques.
M. S.:Oui, les gares routières ne sont pas adaptées au développement attendu du marché des lignes nationales. Il n’y a aucune visibilité en termes de gestion, et celles qui existent aujourd’hui sont souvent difficiles d’accès et fort peu adaptées au principe d’intermodalité. Cependant, cette situation est peut-être notre chance. Il faut d’ores et déjà réfléchir à une organisation sans doute plus légère que celle que l’on imagine habituellement. Pour passer rapidement à 500 villes connectées, il faudra certainement être plus indulgent en matière de qualité des équipements. La gare routière de centre-ville n’est pas forcément la bonne réponse, peut-être un emplacement en périphérie d’agglomération est-il plus pertinent, dès l’instant ou il est connecté au réseau urbain? Dans le même ordre d’idée, pourquoi ne pas imaginer l’adaptation de certaines aires de service autoroutières. Dans ce dossier, l’État devrait nous aider à la mise en œuvre de ces haltes routières proches d’infrastructures qui sont, rappelons-le, de sa compétence. Quoi qu’il en soit, et vu l’état des lieux, il y aura forcément un décalage entre le déploiement des lignes et la modernisation des gares. L’important, je crois, c’est que nos passagers se sentent d’abord en sécurité.
M. S.: C’est fort possible. Dans un premier temps, nous avions imaginé un transfert de certains conducteurs du transport routier de marchandises (TRM) vers les voyageurs. Mais le bilan est négatif, il n’y a pas eu de candidats, et il semble que, c’est d’ailleurs un paradoxe, le TRM manque aussi de conducteurs. Dans le même registre, les nouveaux postes à pourvoir se rapprochent beaucoup du statut de grand routier, avec tous les avantages qui vont avec et une formation complémentaire aux services. Nos salariés sont donc curieux et se renseignent. Il y a alors un risque fort de syphonnage dans les métiers classiques. Le problème de fond de cette fameuse pénurie de conducteurs, c’est que le parcours d’accès à la profession est trop complexe. La FNTV va donc militer pour que la Fimo [formation initiale minimale obligatoire, ndlr] ne soit plus la porte d’entrée obligatoire à ce métier, mais qu’elle vienne clore une période d’essai de douze mois. Bien sûr, il s’agit d’un dispositif européen, mais nous pensons pouvoir obtenir une évolution positive de ce dossier.
M. S.: Nous assistons en effet à une montée des tensions entre les AOT [autorités organisatrices de transport, ndlr] et les transporteurs. Nous enregistrons désormais des évolutions non prévues sur les contrats en cours et certaines entreprises ont du mal à s’adapter à ces conditions. Si l’entreprise a développé une certaine réactivité, elle peut répondre, mais il faut qu’elle en ait les moyens. Le risque, c’est que souvent les entreprises les plus fragiles sont aussi les plus petites, et sont de fait moins bien armées que leurs concurrentes. Par ailleurs, nous assistons à un développement des contrats cours, sous forme de bons de commande d’un an renouvelable, ce qui ne donne plus de visibilité aux chefs d’entreprise. Il faut vraiment que les collectivités prennent garde à ne pas trop mettre la pression sur les PME, en favorisant notamment le moins disant de façon systématique. Il existe aujourd’hui un vrai danger de paupérisation de ce secteur, avec le risque social afférent. Rappelons tout de même qu’il y a aujourd’hui moitié moins d’indépendants qu’il y a 15 ans…
M. S.: C’est l’une de nos préoccupations. La compétence transport passe désormais aux régions, et nous constatons que beaucoup d’élus s’interrogent déjà sur les moyens à leur disposition pour gérer les transports scolaires et les réseaux départementaux existants. Il nous est pour l’instant difficile d’estimer précisément les taux de délégation aux départements dans le futur, car tous n’ont pas la même vision. Il faudra harmoniser les politiques et les calendriers pour que le système fonctionne. Nous pensons donc qu’il y aura des avenants aux contrats en cours, mais ensuite, beaucoup de questions restent posées sur les délais et les méthodes. Nous redoutons simplement que certains élus ne développent une vision faite de grands bassins ou de lots très importants, pourquoi pas à l’échelle des départements. Si un tel chemin était suivi, les risques pour notre tissu de PME seraient très importants. Dans ce dossier, la précipitation sera la plus mauvaise conseillère.
M. S.: La bonne nouvelle, c’est que nous sortons d’une logique stricte de périmètre urbain pour aller vers un système plus pragmatique, c’est une réponse adaptée à la taille des AOM [autorités organisatrices métropolitaines, ndlr]. La question qui se pose est celle de la convention collective. Aujourd’hui, la règle est simple, c’est le secteur qui génère plus de 50 % de l’activité qui conditionne la convention collective des salariés. Avec les évolutions à venir, les bascules pourraient intervenir très rapidement. Autre sujet sur lequel nous n’avons pas fini de discuter, celui des lignes de moins de 100 kilomètres dans les zones métropolitaines… Au fond, nous constatons que la mobilité est devenue un vrai sujet d’élus, car tous les modes sont interconnectés, mutualisés, et doivent être organisés de façon cohérente. Les conséquences de cette évolution majeure devraient, nous le pensons, être plutôt positives. Après tout, dans un cadre budgétaire contraint, le modèle économique de l’autocar a toutes ses chances.
M. S.: La fédération a toujours milité pour que des AOT, la région soit le chef de file, et a dimensionné son organisation à cette échelle. Il y aura donc, dans les mois à venir, fusion de nos représentations régionales. Attention toutefois, nous estimons que les collectivités ne seront sans doute pas pleinement opérationnelles le 1er janvier prochain, nos organisations devront donc suivre ces adaptations.
M. S.: Rappelons que nos moteurs Euro VI répondent de manière pertinente aux besoins actuels de motorisation propre. Nous avons d’ailleurs, presque in extremis, réussi à inscrire l’autocar Euro VI dans la catégorie des véhicules à faibles émissions dans le cadre de la loi sur la transition énergétique. Il faut aussi que nos interlocuteurs comprennent bien que le transport routier de voyageurs n’a d’autre alternative que le diesel. Bien sûr, dans l’ambiance actuelle, il va bientôt être nécessaire de bannir ce terme qui n’est plus politiquement correct… Nous en serons bientôt réduits à n’utiliser que la terminologie de moteur thermique, puisque les Verts se refusent idéologiquement à faire la différence entre les normes Euro O et Euro VI. En attendant, les conséquences risquent d’être dramatiques pour certaines entreprises, notamment à Paris. Si l’objectif zéro diesel en 2020 est bien maintenu par l’équipe en place, il n’y aura plus ni autocars ni beaucoup d’autobus dans les rues à cette date. Il serait peut-être temps que certains rappellent clairement que les principaux pollueurs sont d’abord l’industrie, le chauffage et l’automobile, l’autocar arrivant très loin derrière. Tout cela n’est guère sérieux, je ne vois pas comment on peut vouloir d’un côté développer le transport collectif, et de l’autre lui couper les ailes. À moins qu’il ne s’agisse d’une histoire de calendrier, et de COP21…
