Le secteur ferroviaire se donne une convention collective. En jeu, la compétitivité à venir du rail par la souplesse des organisations du travail, mais pas question de toucher au statut du cheminot à la SNCF.
Claude Faucher, délégué général de l’Union des transports publics (UTP) n’y va pas par quatre chemins: « Nous avons à construire un cadre social commun pour faire fonctionner et développer le ferroviaire en France ». C’est un objectif général de la réforme ferroviaire du 24 juillet. Frédéric Cuvillier, l’ex-ministre des Transports justifiait ainsi le volet social de son projet de loi: « Le cadre social du secteur ferroviaire n’est ni juste, ni adapté. Les règles de l’organisation du travail de la SNCF sont arrêtées par l’État, ce qui ne permet pas à la SNCF et aux représentants des cheminots de négocier les adaptations nécessaires par le dialogue social. Les entreprises privées, dans le fret, relèvent d’accords distincts. » La nouvelle loi a donc stipulé que serait défini un « cadre commun à l’ensemble du secteur ferroviaire ». Il s’agit de « donner aux salariés et aux entreprises du ferroviaire la possibilité de construire ensemble l’organisation et les conditions de travail qui permettront de répondre aux enjeux de qualité de service, de garantir l’absence de concurrence déloyale et d’accroître la performance économique du système. »
Si la réforme du mois de juillet, dans son volet le plus connu, réorganise le ferroviaire public (la SNCF retrouve la gestion du réseau ferré national), elle crée aussi une nouvelle branche, définie par sa convention collective. Voilà le secteur ferroviaire renvoyé au sort du secteur privé, mais avec quelques particularités. Un décret appelé socle posera les règles communes au regard des exigences de sécurité et de continuité du service public. Il existait déjà, et s’imposait entre autres aux entreprises de fret apparues depuis l’ouverture à la concurrence en 2003, mais il datait de 1999. Il “tombe” le 30 juin prochain et doit donc être réécrit.
Autre précision qui prend du relief aujourd’hui: « L’ensemble des entreprises de la branche ferroviaire sera soumis à un régime homogène en matière de durée du travail: une stricte hiérarchie des normes (décret, convention de branche, accord d’entreprise) garantira l’ordre public social. » Autrement dit, pas question, sur le temps de travail, qu’un accord d’entreprise vienne contredire – dévaluer pour les salariés – ce qui sera décidé par la convention collective de branche, contrairement à ce que maints rapports suggèrent en ce moment pour refondre le code du travail. Le verrou installé par le gouvernement sur cette question souligne à quel point, de manière générale, l’organisation du travail est au cœur de la convention collective en discussion. « Nous serons très vigilants sur les résultats obtenus sur le temps de travail, puisque nous ne pourrons pas y revenir par des accords d’entreprise », remarque Xavier Moulins, DRH d’Eurotunnel.
La loi ferroviaire envoie un signal de plus dans le même sens. Il n’est pas ordinaire qu’une convention collective de branche s’attarde à ce point sur l’encadrement de l’organisation du travail. C’est plutôt aux entreprises d’en décider. Une convention collective s’attache plutôt aux droits des individus, balise à peine quelques particularités, comme les modalités du travail de nuit. Là, les négociateurs ont l’obligation d’inclure dans la convention collective un volet complet sur les modes minimums d’organisation du travail. Ce sera même le plus gros de leur tâche jusqu’au 30 juin 2016, date limite de la négociation fixée par la loi. Les syndicalistes le soulignent: tout le monde autour de la table a conscience qu’un accord devra être trouvé. Sinon, l’État décidera seul, comme il le faisait jusqu’ici pour la SNCF.
Plusieurs travaux ont pointé du doigt l’organisation du travail dans le système ferroviaire français, mettant généralement en cause le manque de productivité à la SNCF. En 2011, les assises du ferroviaire en sont venues à proposer la fin du statut de cheminot à la SNCF. Elles reconnaissent les gains de productivité réalisés sans relâche ces dernières années à la SNCF, mais déplorent qu’« ils ont été totalement absorbés par le coût des mesures salariales qui découlent en partie du statut des cheminots. Au total, la productivité globale de l’entreprise ne s’est pas améliorée, contrairement à celle d’autres entreprises étrangères ». Les rapporteurs des assises proposent donc que la SNCF recrute désormais en dehors du statut.
Le débat sera clos dès le début des discussions autour de la nouvelle loi ferroviaire durant lesquelles les syndicats de la SNCF sont largement consultés. Elles sont menées au ministère des Transports par Jean-Marc Ambrosini, directeur des relations sociales du groupe SNCF. Or, en avril 2013, Jean-Louis Bianco, ex-ministre des Transports dans les années 1990, alors que Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre, lui demande de plancher sur le rapprochement de la SNCF et de RFF, fait même du statut du cheminot une condition de l’évolution de la SNCF: « La remise en cause du statut n’est pas nécessaire. La réussite de la réforme passe par l’implication forte du personnel, et cette implication suppose l’unité de la famille cheminote. C’est la condition nécessaire à la revue négociée des modalités actuelles de l’organisation du travail ».
Jacques Auxiette, président (PS) de la région des Pays de la Loire qui remet à Jean-Marc Ayrault un rapport sur les propositions des régions, ne revient pas non plus sur le statut des cheminots. La loi ferroviaire impose au final que personne n’y touche, ce dont se félicitent les syndicalistes. Philippe Gonçalvès (CFTC) explique: « Le grand public pense que nos conditions de travail sont royales et nos salaires aussi. C’est faux. Au passage, il y a belle lurette que la fameuse prime de charbon du conducteur de train n’existe plus. Le statut, ce n’est même pas ça. Il donne des règles de droit syndical, de représentation du personnel, de rémunération, de classification, de déroulé de carrière, d’accès à l’encadrement et de fin de carrière avec le régime de retraite qui nous est propre. C’est tout! »
L’organisation du travail à la SNCF, à l’inverse, ne suscite que des appels au changement. Les rapporteurs des assises du ferroviaire jugent qu’elle « détermine très largement » la productivité de la SNCF et que des marges de progrès sont possibles. Ils prônent une plus grande polyvalence des cheminots et la fin des cloisonnements en interne, pour que l’ensemble de la SNCF en profite. Ils insistent aussi sur l’urgence d’un maintien des compétences internes. Dans son rapport d’avril 2013, Jean-Louis Bianco établit un lien entre l’organisation du travail et le retour du système ferroviaire à l’équilibre économique (en 10 ans): « il faudra adapter de manière négociée et déconcentrée l’organisation du travail ». Jacques Auxiette insiste lui aussi sur la polyvalence des cheminots « pour un meilleur service à moindre coût ». Il donne l’exemple d’un conducteur de train qui informe les voyageurs en cas de situation perturbée. Une hérésie pour Aurélien Hamon, responsable CGT dans les Pays de la Loire. Pour lui, « la sécurité de la circulation du train prime, dans ces cas-là, sur l’information des voyageurs. » D’une façon plus générale, Jacques Auxiette, qui siège au conseil d’administration de la SNCF, regrette l’« absence de plan d’amélioration dans la durée de la performance du système ferroviaire français par l’organisation du travail et la mutualisation, alors que cela existe dans toutes les industries! C’est une politique industrielle dont la SNCF a besoin. Cela n’a pas été fait. »
L’objectif de réduire le coût de production du km de train en France surgit donc à l’occasion de la négociation d’une convention collective de branche. Claude Steinmetz, directeur ferroviaire chez Transdev en rappelle l’importance: « Il est vrai que 10 € en Allemagne pour 20 € en France, quel décalage! Oui, on peut produire du train moins cher en France. La clé? Définir comment s’organiser mieux ». Pour Xavier Moulins, DRH d’Eurotunnel, cet enjeu des discussions engagées a aussi son importance: « Elles doivent déboucher sur de nouveaux gains de productivité, parce que pour nous, engagés aussi dans le fret, la concurrence des camions est féroce ».
En charge de mener les négociations du côté patronal, Claude Faucher prévient: la convention collective est l’un des éléments du cadre social dans lequel les entreprises ferroviaires auront à construire leur performance économique. L’Europe dicte ses règles, le code du travail et le code des transports les leurs, le décret-socle du gouvernement les siennes, et ensuite ce sont les accords propres à chaque entreprise. La convention ne changera pas tout. « Bien sûr, nous allons nous demander: que faisons-nous ensemble pour l’avenir du ferroviaire en France face aux autres modes comme la route et l’aérien? Et les traductions économiques comptent. Nous avons à définir un cadre social harmonisé, commun à toutes les entreprises de la branche et à tous les salariés. »
Chez Eurotunnel on souhaite qu’il soit de bonne qualité. Claude Steinmetz, chez Transdev, insiste pour qu’elles permettent une nouvelle mobilité d’une entreprise à l’autre dans le ferroviaire. Il précise: « en Allemagne, nous sommes partis de zéro, nous avons construit nos ateliers, formés nos propres personnels. La Deutsche Bahn ne voulait pas que ses cheminots travaillent ailleurs. Ce n’est pas le cas pour la SNCF, et c’est une bonne chose. Il existe un savoir-faire et un esprit d’entreprise de service public à la SNCF dont nous profitons quand nous embauchons ses cheminots. » Roger Dillenseger, secrétaire adjoint de l’UNSA ferroviaire, deuxième syndicat à la SNCF après la CGT, veut une convention collective « attractive pour les salariés comme pour les entreprises ». Pour Edgar Stemer, secrétaire général de la CFDT Transports, il s’agira qu’elle « relève le niveau social de l’ensemble du ferroviaire pour l’amener à celui de la SNCF ». Il tient, dans cette négociation, à « ne pas dégrader la condition sociale des cheminots ». Autour de la table, les syndicats se partagent en deux camps: les réformistes (UNSA, CFDT, CFTC) qui veulent que la nouvelle convention collective se rapproche le plus possible de ce qui existe à la SNCF, et les contestataires (CGT-SUD-FO) qui veulent obtenir plus que l’existant à la SNCF. Un principe semble les réunir: oui à l’évolution des organisations de travail, mais pas de diminution dans les rémunérations des cheminots! « Le grand risque de la négociation, c’est que les taquets collectifs soient définis de façon très vague, de manière que les entreprises aient la tentation de décider ce qu’elles veulent par-derrière, par accords d’entreprise », estime Aurélien Hamon de la CGT.
Bien que la loi ferroviaire soit jeune, les négociateurs ne partent pas de rien. Ils disposent d’abord d’une convention collective fret, signée en 2010. « Dans cette négociation, c’est notre modèle et il fonctionne », rappelle Xavier Moulins d’Eurotunnel. Les syndicalistes jugent cette base insuffisante, mais elle existe. Les autres grands repères dans la discussion qui s’ouvre sont le code du travail et les textes régissant le travail à la SNCF.
Un état des lieux des réglementations existantes est en cours d’élaboration avec l’aide du cabinet Secafi, expert dans le domaine social. Claude Faucher explique la mécanique qui suivra: « Nous allons distinguer ce qui sera à fixer par l’État, à travers son décret-socle, ce qui devra être décidé en négociation de la convention collective de branche et ce qui sera laissé aux négociations d’entreprise. Pour la discussion de branche sur l’organisation du travail, le principe sera de veiller à ce que les règles retenues fonctionnent ensemble. Si prises individuellement elles ont du sens, elles peuvent parfois se contredire, s’annuler, et au final, elles perdent leur pertinence. »
La négociation a déjà produit des résultats parce qu’elle a été lancée il y a presque deux ans avant le vote de la loi ferroviaire. « Nous connaissions le projet », remarque Claude Faucher. Premier point positif, tous les syndicats s’y sont associés, même si certains, comme la CGT, ont fait grève contre la réforme. Second acquis, le champ d’application de la nouvelle convention collective. L’accord minoritaire des syndicats réformistes (CFDT, CFTC, UNSA) a été contesté par FO, SUD et la CFE-CGC, mais pas par la CGT, première organisation dans la branche, ce qui devrait conduire le ministère du Travail à le valider dans les jours qui viennent.
Le texte de l’accord désigne sans surprise les entreprises dont l’activité principale est le transport ferroviaire. Elles doivent de plus posséder le certificat de sécurité requis dans le ferroviaire lourd. On n’y retrouvera pas les sociétés de transport urbain utilisant des tramways. Elles possèdent leur convention collective du transport urbain. Les contours de la nouvelle branche s’esquissent: à côté de la SNCF et de ses 150 000 salariés, il y a une trentaine de petites entreprises, essentiellement dans le fret, réunissant grosso modo 10 000 salariés. Parmi elles, on trouve EuroCargoRail (filiale de la Deutsche Bahn), VFLI (filiale de la SNCF), Eurotunnel, Colas Rail, Thello (filiale de Transdev et de Trenitalia).
Un troisième accord, presque conclu, porte sur les contrats de travail. Les débats ont porté sur les contrats courts, d’au moins 24 heures selon la loi en vigueur depuis un an pour limiter la précarité des salariés. L’UTP a d’abord proposé 14 heures, certains syndicats accepteraient 18 heures. Un compromis pourrait être trouvé assez vite, comme sur le chapitre baptisé « Dispositions générales » sur les conditions de durée et de révision de la nouvelle convention collective. Le 30 juin 2016, le ministère du Travail déclarera la négociation aboutie si, en complément des textes pratiquement conclus, le volet portant sur l’organisation du temps de travail, est bouclé. Et ce, même si la convention collective complète nécessitera des rounds de négociations ultérieurs sur la formation professionnelle, la prévoyance (garanties sur le décès, l’incapacité de travail, l’invalidité) et le droit syndical minimal en vigueur dans les entreprises.
L’UTP et les syndicats n’aborderont le point dur de l’organisation du travail qu’en janvier, le temps de laisser la SNCF tenir ses élections professionnelles d’entreprise le 19 novembre. Mais les rapports de force syndicaux (leur poids respectif dans la branche) ne devraient guère évoluer.
Parmi les points de friction pourraient figurer l’amplitude des journées de travail, l’organisation des coupures dans le travail, le nombre d’heures minimum de repos, en particulier pour les conducteurs. Les négociateurs devront, par exemple, choisir parmi les définitions des heures de nuit: entre 21 heures et 6 heures pour le code du travail; entre 22 heures et 6 heures pour la SNCF qui de plus traite différemment les heures de travail entre 0 heure et 4 heures du matin; ou bien ils innoveront et trouveront autre chose. Ils devront transiger entre les 25 jours de congés annuels plus 2 jours qui peuvent être fractionnés dans le code du travail, et les 28 jours pour la SNCF; ou bien, là encore, ils créeront une nouvelle règle. Dans le fond, ils ont tout à écrire. C’est la première fois que toutes les bases sociales du transport ferroviaire sont révisées en France.
« Le cadre social du secteur ferroviaire n’est ni juste, ni adapté, car les règles de l’organisation du travail sont arrêtées par l’État. »
« Les cheminots doivent être polyvalents, c’est une condition pour obtenir un meilleur service à moindre coût. »
« Dans le fret, il ne faut pas nous handicaper, alors que notre concurrent féroce, c’est la route. »
« Nous devons nous demander: qu’avons-nous à faire pour développer ensemble le rail? »
Le 23 septembre, le ministère des Transports a publié un avis relatif à la généralisation de l’accord sur le champ d’application de la convention collective nationale de la branche ferroviaire. En vertu de cet accord, en feront partie les entreprises ayant pour activité principale:
– Le transport ferroviaire de marchandises ou de voyageurs, titulaire d’un certificat ou d’une attestation de sécurité délivrés par le ministère des Transports pour le transport ferroviaire lourd.
– La gestion, l’exploitation, la maintenance sous exploitation des lignes et installations fixes d’infrastructures ferroviaires, lorsque ces entreprises sont titulaires d’un agrément ou d’une attestation de sécurité pour le transport ferroviaire lourd.
– La maintenance, hors réparation, des matériels ferroviaires roulants.
– L’exercice des tâches et des fonctions de sécurité ferroviaire.
