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Didier Marginèdes vice-président de blue solutions

Quand Bolloré voit la vie en Blue

Le groupe Bolloré est pour le moins avare de données techniques sur le fameux Bluebus 12 m qui défraie la chronique depuis l’appel d’offres remporté en 2014 auprès de la RATP. En exclusivité pour Connexion Transports-Territoires, Didier Marginèdes, vice-président de Blue Solutions, a cependant accepté de nous parler des ambitions de la marque pour ce véhicule. En ligne de mire: les constructeurs traditionnels, mais aussi PVI!

Quand le projet Bluebus 12 m débute-il? Ce programme a-t-il démarré lors de l’appel d’offres RATP?

En 2008, nous nous sommes associés avec Microbus Gruau, qui faisait le Microbus thermique. Vous le savez, on ne peut pas se contenter d’un seul produit. On a électrifié celui-ci avec nos batteries. On a modifié de façon assez conséquente ce bus dans sa structure et son confort, sa chaîne de traction, et bien sûr ses batteries. On a commencé la commercialisation aux alentours de 2010. On a pris 100 % de cette société qui aujourd’hui est devenue Bluebus. Il a toujours été dans notre objectif de développer une gamme, le bus de 6 m étant un marché beaucoup plus restreint que le bus de 12 m. Il était important de démontrer d’abord la fiabilité du bus de 6 m, la capacité des batteries à tenir les charges et assurer les autonomies demandées par le marché. Le travail du bus de 12 m, il n’est pas né simplement de la demande de la RATP. Il est spécifique, notamment le nombre de portes, l’aménagement intérieur. Globalement, la structure du bus et le nombre de batteries sont les mêmes [que pour les autres marchés, ndlr]. C’est quand même un travail qui était très présent à notre esprit.

Quelle est la quantité embarquée de batteries et sont-elles identiques à celles des Bluecar?

Oui, ce sont les mêmes batteries, il y en a juste un peu plus qu’à bord des Bluecar. Vous avez en gros 30 kWh dans la Bluecar, un peu plus d’ailleurs. Dans le bus vous avez 250 kWh, dans le 6 m vous avez 90 à 95 kWh.

Pour le Microbus, vous vous êtes associés à Gruau. Avec quels partenaires avez-vous travaillé pour le développement du bus 12 m?

On n’a pas donné ces informations. On a travaillé avec un certain nombre de partenaires connus dans le monde du bus, mais nous ne l’avons pas rendu public. D’abord, parce que l’on a des contrats de confidentialité avec eux. Nous tenons aussi à une certaine confidentialité autour de notre bus, nous pensons qu’il a des avantages dans sa conception par rapport à la concurrence. [De nombreux ex-collaborateurs d’Irisbus/Iveco Bus ont cependant été recrutés par Bolloré pour ce programme de bus standard 12 m, ndlr]

Pourquoi un tel mutisme, sachant que vous maîtrisez totalement votre technologie de batteries, qui est le point sensible des autobus électriques à accumulateurs?

La batterie, c’est un produit, on a une technologie qui nous est propre, un certain nombre de brevets et de savoir-faire difficilement duplicables en l’état. Mais au-delà de ça, il y a la chaîne de traction, son positionnement, et le positionnement des batteries qui peut être aussi important, ainsi que l’implantation de son réseau électrique de puissance. En termes de savoir-faire, vous avez la partie mécanique, connue par un certain nombre d’acteurs qui font des bus aujourd’hui et connaissent cette structure de base, mais qui ont pour l’instant plutôt implanté des modes thermiques. Là, vous avez une structure électrique et toute une partie très importante de réseaux électriques et de la chaîne de traction que l’on ne souhaite pas voir diffuser ou partir chez nos concurrents.

Pourquoi avoir commencé la commercialisation du Bluebus 12 m avec la RATP? S’agit-il d’un effet du calendrier? Est-ce une volonté de référencement symbolique et de prestige?

On a déjà un contrat et un certain nombre de contacts avec la RATP avec notre bus de 6 m. C’est le premier acteur en termes de volume et un opérateur majeur dans le domaine du transport public. Il est important pour nous d’avoir de bonnes relations avec la RATP. On a d’autre part Autolib’à Paris. Le microcosme parisien est important, c’est une vitrine de l’évolution des modes de transports. Anne Hidalgo a une volonté très forte de modifier la vie des parisiens, de limiter la pollution, elle s’intéresse aux transports individuels et aux transports publics.

Il y a un concours de circonstances qui est très favorable pour travailler avec la ville de Paris, le Stif et la RATP, sur l’évolution du parc. On a évidemment saisi cette opportunité pour accélérer les développements du Bluebus de 12 m et candidater à ce marché qui est potentiellement important. Le marché des 12 m représente à lui seul 80 % des 80 % de bus qui vont être électriques dans le futur. C’est un marché très très gros. On ne peut pas passer à côté. Enfin, il y a le fait que l’on travaille ici sur un produit qui pourrait devenir une vedette sur le marché mondial. Après, il est évident que notre premier marché ne sera pas la Chine. Notre première cible sera dans notre pré carré, la France, parce que c’est tout de même un petit peu plus simple avec un produit franco-français, puis, ce sera ensuite l’Europe et au-delà si c’est possible.

Quels sont les volumes de production et les objectifs commerciaux que vous espérez atteindre, et à quelle échéance?

Notre usine pour les 6 m a une capacité de production de 100 à 200 unités par an. Une partie est à Laval et une autre en Bretagne, près de Quimper. Au mois de janvier, nous inaugurons à Quimper l’usine pour les 12 m, avec l’objectif, dès 2017, d’être capables d’y produire environ 200 autobus par an.

Nantes a exprimé le souhait d’avoir un autobus électrique articulé sur une de ses lignes Busway. Est-ce que vous vous positionnez sur les autobus articulés de 18 et 24 m?

Disons qu’il y a plusieurs phases et que les produits sont à des degrés de maturité différents. Le produit phare que l’on souhaite développer et qualifier pour devenir la référence de sa catégorie est le bus de 12 m. Au même titre que nous sommes allés du 6 au 12 m, nous irons plus loin, puisque la gamme des autobus va jusqu’au 24 m. De là, à dire que l’on aura un 24 m d’ici un à deux ans, c’est une autre histoire.

Aujourd’hui, notre cible identifiée est le bus de 12 m en France et en Europe. On a des demandes de nombreuses municipalités pour ce produit. À la COP21, nous avons vu beaucoup de gens, on nous a même demandé un bus double étage. C’est une question de rapidité de développement et de volume de marché.

Revenons sur ce point du double étage qui est un peu la chasse gardée de certains carrossiers constructeurs, notamment britanniques. La stratégie du groupe inclut-elle la possibilité d’être un fournisseur de chaîne de traction, comme peut l’être par exemple BAE Systems?

Aujourd’hui, rien n’est exclu dans notre stratégie. Quand on a introduit en bourse Blue Solutions, l’objectif était de développer des solutions et pas d’être un vendeur de produits. C’est pour cela que nous nous sommes axés sur les services (autopartage, transport type la navette entre la place de l’Étoile et le siège social de LVMH, etc.).

Dans le domaine des bus, nous allons vendre des produits avec des garanties sur nos batteries. Dans l’état actuel de notre technologie, ayant un certain recul sur celle-ci dans le domaine de la mobilité, il n’est pas exclu que l’on puisse proposer des packages autour de la traction pour les bus électriques à d’autres acteurs du marché. C’est une possibilité. Vous savez, intégrer une chaîne de traction et des batteries dans un bus double étage implique une refonte de la conception du bus.

Les Bluecar ont des exigences précises pour tenir leurs batteries à température nominale. Comment allez-vous faire pour les autobus?

C’est beaucoup plus facile dans les autobus. D’abord, dans un bus vous avez plusieurs batteries, vous pouvez optimiser la consommation d’énergie et beaucoup plus facilement les isoler thermiquement que dans une voiture. Dans une voiture, vous avez une contrainte de volume plus importante que dans un bus et des appels de puissance plus importants.

Les profils d’utilisation des batteries sont beaucoup plus variés que dans un autobus […]. On a bien vu avec l’expérience de nos 6 m les profils d’appels de la puissance qui génèrent les variations de température dans la batterie.

Quid de l’après-vente et des appels en garantie avec la RATP?

On a déjà des équipes dédiées pour les autobus 6 m, le service après-vente existe déjà chez nous. Il est probable qu’on le renforcera au fur et à mesure du déploiement des 12 m. On aura des équipes dédiées à la RATP.

Aujourd’hui, Blue Solutions représente quels effectifs et quel chiffre d’affaires?

Il faut d’abord comprendre comment est organisé Blue Solutions aujourd’hui. Vous avez ce qui est en bourse [depuis le 30 octobre 2013, ndlr] et c’est la partie uniquement batteries et supercapacités, c’est la maison mère, détenue à 89 % par Bolloré et à 11 % dans le public. Elle a des options sur un certain nombre d’autres sociétés, options pouvant être exercées entre 2016 et 2018. Dans celles-ci vous avez: Bluecarsharing (Autolib’, Bluelib’, Bluecub et tous les services d’autopartage), Bluebus (bus 6 m et 12 m), Bluetram (le modèle présenté en décembre sur les Champs-Elysées), Bluecar (vente de voitures aux particuliers), les activités transverses avec ER qui fabrique les bornes (la partie hardware de nos services, l’informatique embarquée) Polyconseil (intelligence des services).

En gros, Blue Solutions actuellement, la partie fabrication de batteries et supercapacités c’est 100 M€ de chiffre d’affaires et 400 personnes. L’ensemble des autres sociétés, Blue Applications, pour laquelle nous ne donnons pas forcément de détails, représente à peu près 1 500 personnes et un chiffre d’affaires de 400 à 500 M€ […] Le plus gros est effectué dans l’autopartage, c’est un domaine dans lequel nous avons des références et un savoir-faire assez unique.

Vous avez évoqué les batteries et les supercondensateurs, les supercapacités sont produites par Batscap et les batteries par LMP?

Non, Batscap est un nom de société que l’on avait créé en 2001, lorsque les travaux de recherche de la division films ont été suffisamment pertinents pour que Bolloré investisse dans cette activité. Le nom Batscap venait simplement de batteries et supercapacités. Ce sont deux produits différents dans le domaine du stockage d’énergie. Dans le stockage d’énergie, il y a deux paramètres importants: la puissance (énergie stockée) et le temps de réponse (le temps que vous mettez à la vider). Les produits vont de la batterie plomb de 30 Wh/kg à la batterie lithium de 150 Wh/kg. Le contenu énergétique se mesure en Wh/kg. On les vide en quelques heures en général, ça ne se vide pas en 2 minutes. Nous sommes à des puissances de quelques centaines de watts par kilo, et une batterie est conçue pour quelques milliers de cycles.

Une supercapacité est un contenant énergétique beaucoup plus faible: plutôt de 5 à 10 Wh/kg, mais vous pouvez le vider beaucoup plus vite. Donc, vous avez plusieurs kW/kg, et vous pouvez également le recharger beaucoup plus vite, en quelques dizaines de secondes, et faire des millions de cycles.

Dans la famille, ça ne répond pas aux mêmes besoins: si vous avez besoin de puissance (accélération ou récupération au freinage), il faut une supercapacité. Si vous avez besoin d’énergie et d’une autonomie dans une voiture, il faut une batterie.

Est-ce à dire que dans une Bluecar ou un Bluebus il y a une combinaison des deux?

Nous avons travaillé sur cette option. Quand nous l’avons conçu au départ, nous voulions intégrer les deux. Finalement, c’était compliqué en termes d’électronique car ce sont des composants qui ne répondent pas de la même façon. Dans une voiture, nous avons mis suffisamment d’énergie pour avoir la puissance nécessaire […]. En mettant des supercapacités nous aurions été plus efficaces en récupération d’énergie, notamment parce que nous aurions moins sollicité la batterie. La batterie aurait assuré le fond et les pics auraient été satisfaits par les supercapacités. En plus, pour être efficace à la récupération au freinage, il faut du brake-by-wire. Vu l’état de l’art à l’époque, nous avons abandonné cette option. Mais nous avons utilisé les supercapacités dans le petit tram présenté sur les Champs-Elysées le 1er décembre 2015. Le concept est relativement simple: vous avez une énergie suffisante pour aller d’une station à une autre, stations pouvant être éloignées de 2 kilomètres. À chaque station, vous vous rechargez pendant que les gens montent et descendent. Vous chargez de supercapacités à supercapacités. Cela se fait en environ 20 secondes.

En somme, c’est un système similaire à celui développé par PVI avec son Watt System?

Oui, en fait, PVI utilise nos supercapacités.

Est-ce à dire que vous collaborez avec PVI?

Non, je n’ai pas dit ça, ils utilisent nos supercondensateurs, ce sont donc nos clients. Nous avons d’ailleurs aussi développé ce système pour la récupération d’énergie des tramways et pour le ferroviaire. Il y a pas mal d’énergie à récupérer au freinage. Soit vous la renvoyez sur le réseau, mais vous avez des harmoniques qui ne sont pas géniales pour celui-ci, soit vous la stockez et la réutilisez. Vous avez alors un bénéfice qui est la limitation de puissance sur la ligne. Ou vous payez moins cher d’électricité ou vous mettez plus de trams. Nous avons des clients comme Bombardier, Alstom et autres. Nous l’avons développé également pour un transbordeur qui traverse le port de Lorient […] C’est un produit complémentaire à la batterie qui fournit plus de puissance instantanée et moins d’énergie.

Le tram des Champs-Elysées est-il un démonstrateur de la technologie supercapacité ou est-il à l’image du véhicule que vous souhaitez proposer à la mairie de Paris pour son futur transport en site propre sur les voies sur berges?

Il y a deux objectifs: avoir un démonstrateur qui tourne en permanence et démontre sa fiabilité. Second point: ce produit, nous voulons le commercialiser à une échelle importante parce que nous pensons qu’une des limites à l’utilisation des lignes de tramways dédiées est le coût d’infrastructure. Le tram sur les Champs a été installé en quelques jours, son impact est négligeable. Après le 15 janvier, quand nous l’enlèverons, il n’en restera rien. Nous n’avons pas creusé de tranchées, ni mis de rails, ni posé de caténaires. Vous avez donc là une solution qui est très simple, en ce qui concerne l’installation dans le temps et économiquement, et qui peut avoir un impact important dans le transport urbain. Notre objectif est de proposer des solutions globales, allant de celles pour le particulier (l’autopartage) jusqu’à celles des transports en commun (bus ou tram). On appelle ça un tram, je ne sais pas si c’est le bon nom, c’est un peu pour le démarquer du bus, car ce concept, il lui faut une ligne dédiée, il ne peut pas sortir de son chemin privilégié. En revanche, on peut prolonger très facilement le parcours en ajoutant des stations.

Peut-on le voir décliné sur le bus 12 m?

Bien sûr, l’objectif n’est pas de se limiter au seul 6 m, mais bien de le décliner en 12 m et 18 m, voire plus grand. Cette solution permettra aux villes d’investir dans ce genre de transport, alors qu’elles ont des débits inférieurs ne permettant pas l’investissement dans un tram sur rail.

Quelle est la durée de vie des batteries?

Pour l’instant, il n’y a pas de durée de vie puisque nous n’avons pas retiré de batteries. Nous avons démarré Autolib’en commercial le 5 décembre 2011. Les voitures ont un peu plus souffert que les batteries [Le groupe Bolloré va utiliser un pack batterie LMP successivement sur deux Bluecar, ndlr].

La batterie lithium métal polymère est prévue pour combien de cycles?

Nous avons annoncé 3 000 cycles et pensons aller au-delà, probablement entre 3 000 et 5 000 cycles. En application automobile, nous n’avons pas de signe de défaillance de nos batteries.

Comment se comporte-t-elle par rapport au vieillissement calendaire?

Elle est moins sensible au vieillissement dans le temps qu’une batterie lithium ion fer phosphate. Avec les électrolytes liquides, les couples basse tension sont activés en permanence. Ce n’est pas le cas dans notre technologie solide.

Quid de l’aspect recyclage?

Dans une batterie, il y a plusieurs choses: démanteler la batterie pour récupérer la partie emballage qui se récupère très facilement (boîtiers, cartes électroniques). Ensuite, vous avez l’électrochimie. Ça se complique, car il y a davantage d’imbrication des matériaux. Il y a une partie que l’on peut récupérer assez facilement, ce sont les métaux. Derrière, on va valoriser, plus que récupérer, les polymères qui, eux, sont difficilement récupérables en l’état. On a les obligations liées à l’industrie automobile. Lorsqu’une batterie représente 25 % du poids d’une voiture, vous ne pouvez pas vous exempter des réglementations qui existent en termes de recyclage. C’est toujours en cours de développement. L’usine n’a toujours pas été investie, car il n’y a pas suffisamment de débouchés pour avoir un process industriel qui permettrait de valoriser ces déchets.

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Auteur

  • Jean-Philippe Pastre
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