L’année 2015 marque un record absolu en matière d’immatriculations d’autocars à double étage. L’offre des constructeurs, après une brève éclipse due au passage de la norme Euro VI, se met au goût du jour. Les autocars à impériale parviendront-ils à faire partie du paysage routier français?
L’année 2015 des immatriculations en France restera dans les annales pour une performance: celle des autocars à double étage qui ont atteint la barre des 60 immatriculations. C’est un quintuplement pour ce segment qui demeure malgré tout un marché de niche.
Qu’est-ce qui a pu expliquer un tel engouement? On sait que certains opérateurs de lignes longue distance (comme FlixBus-MeinFernBus) ont référencé de telles machines pour les lignes à fort trafic passagers. En Europe, ils sont plusieurs, notamment anglo-saxons, à en être friands. Outre FlixBus, Stagecoach et sa marque Megabus, d’importants opérateurs exploitent ce type de véhicules: dernièrement, ce sont SAF Autoservizi (Italie), Bus Éireann (Irlande) ou Nobina (Suède) qui ont passé commande de plusieurs dizaines d’unités d’autocars à double étage. Le résultat 2015 dans l’Hexagone doit beaucoup à Keolis qui a commandé 21 Setra S431DT pour la liaison régionale Nice–Sophia Antipolis.
Selon les constructeurs, les causes de cette envolée ne sont pas les mêmes. D’après Claude Darné, représentant en France de la marque espagnole Ayats, « il y a eu peu d’impact en Union européenne autour de la libéralisation des lignes nationales ». Une analyse qui diffère de celle de Wim Chatrou, responsable des relations presse de VDL: « sur les 160 autocars double étage immatriculés en 2015 en Allemagne, au moins 100 sont à imputer à MeinFernBus ». Rolf Riedinger, directeur commercial autocars et autobus chez MAN et Neoplan, confirme la tendance: « la demande est orientée à la hausse pour ce type de véhicule, y compris en France ». Manon Raynal, directrice de VDL Bus & Coach France est d’accord sur ce point, même si elle s’abstient de tout pronostic quant aux volumes que cela pourrait représenter en 2016. « Le déploiement, ou le redéploiement, de l’offre des constructeurs pourrait éveiller l’intérêt des clients vers le double étage » affirme Manon Raynal.
L’offre des constructeurs est malgré tout limitée et reste l’apanage de spécialistes. Setra et Van Hool dominent outrageusement ce marché, en particulier en France (40 immatriculations de double étage pour Setra, 14 pour Van Hool). Dès la fin 2013, Setra a converti son S431 DT à la norme Euro VI, profitant alors commercialement de la libéralisation du marché domestique allemand pour les lignes interurbaines longue distance.
Le rival de toujours, Neoplan, a attendu le second semestre 2015 pour présenter le Skyliner Euro VI. Une absence due à la refonte du modèle pour intégrer la motorisation Euro VI et ses besoins de refroidissement, au renouvellement des panneaux latéraux pour concevoir un accès UFR, et accessoirement transférer les outillages en Turquie, pays d’où proviennent désormais les autocars Neoplan. Rolf Riedinger, directeur commercial autocars et autobus chez MAN France, confirme que ce véhicule sera livré dans le pays au 1er semestre 2016, notamment dans une définition luxueuse pour le groupe Salaün. « Le Neoplan Skyliner a besoin de davantage de notoriété en France, et ce sera notre axe de communication une fois le déploiement du MAN Intercity effectué. »
Van Hool, comme Setra, n’a pas attendu pour convertir ses imposants Astromega TDX 25 et TDX 27 à la norme Euro VI: l’opération était effective dès 2013! Le carrossier belge demeure fidèle à la motorisation DAF MX-13 réglée à 510 ch, associée à la transmission robotisée ZF-ASTronic 12 rapports. Particularité des constructeurs flamands Van Hool et VDL: outre leur appétence pour le vigoureux moteur DAF MX-13 de 12,9 litres, ils commercialisent un double étage de 13 m de long en complément du traditionnel 14 m, permettant ainsi de concilier maniabilité et capacité. Dernier arrivé: le VDL Futura FDD2, successeur du Synergy qui réalise, comme le Setra S431DT une très belle fin de carrière. Le VDL Futura FDD2 prendra le relais sur le terrain dès le mois de juin, le groupe VDL ayant cessé toute prise de commande sur le Synergy Euro VI depuis décembre 2015. La transition devrait théoriquement se faire sans interruption pour les clients.
L’autocar double étage semble être une spécialité des carrossiers-constructeurs d’Europe du Nord, sans oublier l’éphémère marque Viseon qui devait également se positionner sur ce marché grâce au savoir-faire des équipes ex-Neoplan de Pilsting. Mais avec ses constructeurs UNVI et Ayats, l’Espagne s’affiche fièrement comme « l’autre pays du double étage ».
UNVI se spécialise dans le sur-mesure avec l’Urbis DD. Il est disponible en Euro VI sur bases mécaniques MAN A22 (empattement 5 875 mm, moteur MAN D2066 LUH réglé à 280 ch en Euro VI), Mercedes-Benz OC500 (moteur Daimler OM936 ou OM470 sur demande) ou Volvo B5TL (un 4 cylindres de 5,1 litres réglé à 240 ch pour les applications autocars/autobus). Cette carrosserie est spécifiquement dédiée aux activités touristiques.
Mais l’an dernier à Busworld Courtrai, UNVI a surpris en révélant une gamme double étage typiquement grand tourisme qui pourrait aussi intéresser les opérateurs de lignes longue distance: l’UNVI SIL Intercity DD. Le constructeur a retenu en Euro VI les bases MAN RR4 à roues avant indépendantes (moteur MAN D26 en 480 ch ou D20 en 360 et 440 ch, tous associés à la boîte robotisée ZF-ASTronic) et Volvo B11R (10,8 litres, réglé de 380 à 460 ch, en combinaison avec la boîte robotisée Volvo I-Shift). Le véhicule est immédiatement disponible et livrable en France. Ce modèle se singularise par le choix du nombre d’essieux (il existe en 2 essieux en version 13,3 m, quelle que soit la motorisation), une silhouette abandonnée depuis longtemps en double étage. Les versions 14 m et 14,6 m sont uniquement proposées en 3 essieux pour d’évidentes raisons de maniabilité et de PTAC.
La hauteur de carrosserie peut être conforme au Code européen (3,99 m de haut), mais il existe en version rehaussée de 4,2 m. Cette configuration, qui offre un vrai confort pour les passagers, peut rouler en France. Cependant, elle ne pourra pas circuler dans les pays appliquant strictement le gabarit à 4 m de hauteur du Code européen (entre autres: Belgique, Suisse, Allemagne et Pays-Bas).
Autre originalité, partagée avec le compatriote Ayats: l’UNVI SIL Intercity DD est à plancher plat intégral, afin de faciliter l’accès à bord. Un argument de poids pour des lignes régionales à fort trafic. D’ailleurs, il est homologué aussi bien en Classe II (ce qui l’amène à plus de 100 places dans la version la plus longue!) qu’en Classe III.
Pour Ayats, qui a présenté à Busworld 2015 un autocar double étage très exclusif aménagé pour des tournées d’artistes, l’activité est concentrée autour de demandes spécifiques: ainsi, 5 à 8 véhicules par an sont des modèles conçus pour les visites touristiques. Les deux derniers modèles vendus en France l’ont été dans une configuration très atypique: un double étage à plancher surbaissé intégral pour du réceptif gastronomique sur Paris. Ces deux véhicules, exploités sous la marque Bustronome, sont des autocars double étage de 14 m de long, 3 essieux en Euro VI à motorisation Mercedes-Benz, seul motoriste retenu par Ayats en Euro VI.
Si l’argument majeur du double étage demeure la capacité en places assises rapportée à une surface au sol limitée (argument merveilleusement mis en valeur par les constructeurs d’autobus britanniques), il ne faut pas sous-estimer les architectures plus conventionnelles. Ainsi, chez Ayats, Claude Darné évoque les autocars de 15 m en 3 essieux: « une configuration classique en Espagne », notamment pour des spécialistes de la longue distance comme Alsa.
Alternative également défendue par Setra avec l’impressionnant Setra S519HD qui offre, dans la version avec toilettes, jusqu’à 69 places+1+1 avec 1 UFR. Certes, cela paraît limité face aux 85 places+1+1 avec 1 UFR du Setra S431DT, mais constitue une alternative pertinente. En maxi-capacité, Van Hool propose 89 places+1+1 avec l’Astromega TDX27, et VDL, avec le Futura FDD2-141, une capacité maximale de 96 passagers.
Rolf Riedinger, directeur commercial pour MAN et Neoplan, analyse les configurations des autocars et autobus à double étage: « En France, on a toujours cette recherche de davantage de capacité: on sera ici sur du 85 places+1+1, alors qu’en Allemagne on s’orientera plutôt sur un maximum de 80 à 82 places+1+1. »
Une seule question doit diriger la réflexion: est-ce que le taux de remplissage justifie un tel investissement? Car un double étage, par la masse et la prise au vent plus élevée, consommera davantage qu’un autocar conventionnel. D’où le choix laissé par Setra et VDL entre des autocars longs (Setra S519HD et pour VDL le duo Futura FMD2-135 et FHD2-148 de 14,84 m de long) et les double étage. Et il ne faut pas oublier un aspect important, la capacité de soutes: rapportée au nombre de passagers, elle peut vite devenir limitée. Le problème est résolu avec les versions longues qui profitent de leur dimension de plancher pour offrir des soutes immenses. Mais ces véhicules seront forcément moins manœuvrants.
Le double étage laisse une certaine liberté d’aménagement: espaces VIP ou Club au niveau inférieur, et repos à l’étage. À terme, pour les lignes longue distances, on pourrait même imaginer la création de deux classes de confort.
Le rapport coût par passager d’un autocar double étage est compétitif si, et seulement si, le remplissage est assuré. Car il faut bien compter de 75 000 à 100 000 € HT de différence à l’achat avec un autocar conventionnel. De quoi faire réfléchir…
Paradoxe étonnant: les autocars double étage sont exonérés du champ d’application du règlement ECE R66/1 qui, dès l’an prochain, sévérise considérablement l’homologation des autocars quant à la résistance au retournement. Désormais, la structure des autocars classiques doit résister à la masse du véhicule chargé! On imagine la difficulté pour un double étage! Cette discrimination peut être jugée inéquitable et critiquable en matière de sécurité passive. Cela ne devrait pas améliorer l’image que l’on a en France de ces véhicules, toujours perçus avec méfiance.
Par ailleurs, deux accidents graves ont fait l’objet d’un rapport du Bureau d’enquêtes sur les accidents de transport terrestre (BEA-TT): Sausheim, le 11 septembre 2012, et Dardilly, le 17 mai 2003. Dans les deux cas, la sécurité active et passive des autocars double étage est évoquée. Le BEA-TT a également rédigé une étude des incendies spontanés d’autocars, publiée le 26 octobre 2005. Elle faisait suite à un rapport rédigé après l’incendie d’un autocar double étage survenu sur la commune des Marches le 23 février 2008. L’évacuation de ces véhicules est un problème récurrent, que ce soit dans le cas du renversement de Sausheim ou lors de l’incendie des Marches. Ces questions restent d’actualité malgré les améliorations apportées quant à l’aménagement des escaliers. Dès lors, on peut comprendre la réticence de certains constructeurs et transporteurs vis-à-vis de ces paquebots de la route.
