Filtres à particules et catalyseurs sont au cœur des systèmes de dépollution exigés par les normes Euro. Et Euro VI promet (et tient) souvent des baisses de consommation. Mais il faut prendre garde à ne pas les faire partir, ces économies, en cendres.
La complexité des véhicules industriels n’a cessé de croître depuis l’avènement des premières normes Euro en 1991. Un pas significatif a été franchi lors de l’arrivée d’Euro III en 2000: dès lors, la gestion électronique des moteurs et systèmes d’injection s’est progressivement imposée. C’est aussi avec Euro III qu’il a fallu envisager le montage de systèmes de post-traitement des gaz d’échappement en association avec le fameux recyclage des gaz d’échappement (alias EGR). Cette vanne EGR est le premier élément à l’origine des déboires que nous évoquerons par la suite.
Une première étape a été le montage de catalyseurs d’oxydation, afin d’éliminer les hydrocarbures imbrûlés en profitant de l’excès d’air propre au moteur à cycle diesel 4 temps. Le catalyseur d’oxydation (appelé OxiCAT par les équipementiers) permet également de réduire le monoxyde de carbone (le CO, gaz inodore, incolore et… mortel). Cet équipement est toujours monté aujourd’hui, car ce catalyseur d’oxydation joue un rôle essentiel, à la montée en température des catalyseurs et filtres à particules pendant la phase de démarrage ou sous faible charge moteur. Il est notamment essentiel pour les constructeurs ayant recours à la seule catalyse SCR en Euro VI (Iveco Bus et, pour partie, Scania), car l’oxydation des gaz d’échappement permet de préparer la réduction catalytique sélective (le SCR). Étant passif, ce catalyseur d’oxydation a une durée de vie assez longue, mais il n’est toutefois pas éternel!
Euro III et les normes suivantes ont imposé la quasi-généralisation de la recirculation des gaz d’échappement à haute pression. Celle-ci se fait principalement via une canalisation qui renvoie une fraction des gaz d’échappement. Ces gaz sont prélevés en sortie de chambre de combustion, en amont du turbocompresseur. Ils sont donc très chauds (environ 700c°) et exigent, avant réaspiration, un refroidissement dans une tubulure, elle-même refroidie par le liquide de refroidissement moteur. Le but? Réduire les émissions d’oxyde d’azote qui sont issues de combustions à mélange pauvre (et paradoxalement plus propres).
Mais le prix à payer est élevé: dégradation du rendement spécifique du moteur, génération de davantage d’hydrocarbures imbrûlés et de suies dans les chambres de combustion et l’échappement (avec une double pénalité: une au niveau du stress des lubrifiants qui se saturent en carbone, et une autre au niveau du filtre à particules). Sans oublier l’encrassement même de la vanne de pilotage de l’EGR par ces gaz, davantage chargés en imbrûlés et suies.
Pour compenser ces effets négatifs, les constructeurs n’ont eu d’autre choix que de refroidir au maximum les gaz sales réaspirés (d’où des échangeurs de plus en plus volumineux), et surtout, d’augmenter considérablement les pressions d’injection (pour optimiser autant que possible la combustion et réduire la génération de suies) et de suralimentation (pour compenser la perte de rendement thermodynamique). Ceci explique la fragilité croissante des moteurs post-Euro III, avec leurs suralimentations à géométries variables et autre double suralimentation étagée. Le turbo et ses problèmes, nous y reviendrons, car il s’agit de la deuxième pièce du funeste puzzle qui se met en place.
Dernièrement, Mercedes-Benz, et Setra avec le moteur OM936 monté sur les autocars et autobus de moyenne puissance, ont conçu un système de distribution variable permettant, par la modification du croisement des soupapes, de procéder à une forme de recirculation directe dans la chambre de combustion. De fait, les besoins en recirculation via la vanne EGR sont réduits. À l’été 2015, le même groupe a fait évoluer son gros bloc OM471 monté en option ou en série sur les Setra ComfortClass, TopClass et S431DT, en modifiant la suralimentation et le système EGR afin de les simplifier: la variation de l’écoulement des gaz alimentant le turbocompresseur se fait à l’amont de celui-ci!
Troisième élément du puzzle: le filtre à particules. Comme la réduction des oxydes d’azote (gaz irritant mais non léthal) a imposé l’utilisation depuis Euro III de la recirculation des gaz d’échappement, il y eut une hausse concomitante des émissions de suies. Or, celles-ci sont de plus en plus contraintes par le législateur! Seule parade pour les constructeurs: le montage du fameux filtre à particules!
Au début filtres purement passifs, les restrictions d’émissions de plus en plus sensibles avec Euro IV, Euro V et finalement Euro VI, ont rendu quasiment obligatoire le recours à des filtres à régénération active (sauf, là encore, le duo Iveco Bus et, pour partie, Scania). Comment ça marche? Lorsque le filtre se colmate (détection du seuil d’alerte par mesure de la contre-pression), le calculateur moteur déclenche un enrichissement artificiel du mélange, ou bien envoie du gazole dans un injecteur dédié situé juste en amont du filtre. Ce combustible réduit les suies par pyrolyse, comme dans un four domestique! Celles-ci tombent alors dans un radier. On voit bien là l’aberration du système: il faut brûler du gazole pour « dépolluer » le véhicule.
Plus grave: lorsque le filtre à particules sature, la contre-pression augmente et peut endommager la ligne d’échappement. Fabien Sikirdji, gérant et fondateur de la société Optym-Ha, spécialisée dans le nettoyage des filtres à particules, évoque des échappements aux soudures et coudes en Z rompus par ces contre-pressions.
Désormais, le filtre à particules est un organe à échanger dans le cadre de la maintenance préventive. Chez Evobus, les autocars Mercedes-Benz et Setra doivent avoir un échange à 360 000 km (ou 3 ans), puis tous les 240 000 km (ou 2 ans). En urbain, cet intervalle est réduit et peut être limité à 120 000 km. Les intervalles dépendent de chaque constructeur. Un filtre à régénération passive sera à échanger moins fréquemment: pour une utilisation autoroutière, il pourra tenir jusqu’à 600 000 km! Mais attention, en zones urbaines, les intervalles se réduiront sensiblement!
Optym-Ha, spécialisée aussi dans l’échange standard de ces filtres à particules depuis 2006, est même liée historiquement à la Semitag de Grenoble qui était confrontée à ce problème d’encrassement de filtres à particules sur ses autobus. Ces intervalles donnés à titre indicatif ne sont valables que si tout se déroule normalement, car une casse de turbo, une fuite d’huile ou un injecteur défectueux, et le filtre à particules verra sa durée de vie considérablement réduite du fait du gavage par les imbrûlés. Des régénérations fréquentes doivent alerter les chefs d’atelier: il convient de rechercher l’origine de cette saturation du filtre à particules. En outre, les moteurs Euro VI exigent des huiles à faible teneur en phosphore et soufre, ces huiles dites low ashes, ou à faible génération de cendres, sont indispensables pour prolonger la durée de vie des filtres à particules et catalyseurs! Encore un coût supplémentaire pour les exploitants.
Pour le réseau OMNIplus d’Evobus, l’échange du filtre à particules est facturé aux environs de 1 000 € HT (sans la main-d’œuvre). Des réseaux indépendants comme G-TRUCK proposent désormais cette prestation. À savoir que la société Optym-Ha offre une belle économie: comptez une réduction de 75 à 80 % par rapport à un échange standard constructeur!
Par contre, il convient de manipuler ces éléments avec précautions, d’une part pour ne pas endommager la structure très fine qui les compose, mais aussi et surtout, pour ne pas exposer les mécaniciens et le personnel d’atelier à ces fameuses particules de carbone! En effet, le filtre à particules encrassé est par définition rempli de ces molécules cancérigènes. Optym-Ha a réalisé une fiche de sécurité expliquant très bien les précautions à prendre. Pour optimiser les intervalles d’entretien, Fabien Sikirdji insiste: « il ne faut pas attendre d’arriver à l’allumage du témoin de FAP pour effectuer ce nettoyage ». Idéalement, pour les autobus urbains, il faudrait régulièrement faire du roulage haut-le-pied, à vitesse constante élevée, pour que la régénération se déroule de façon complète.
Ultime souci: comme MAN pour ses vannes EGR, Mercedes-Benz a conçu un code aléatoire pour valider l’échange du filtre à particules, une façon d’obliger les clients à passer par le réseau officiel. Un problème de contre-pression, un début d’incendie dans le filtre à particules (par saturation et combustion incontrôlée des suies) peut entraîner un changement complet de l’unité de post-traitement: l’addition peut alors atteindre, voire dépasser, les 10 000 € HT! Dernièrement, Optym-Ha a développé un service de réparation d’éléments: il inclut l’échange (avec pièces d’origine) des catalyseurs d’oxydation, des ailettes de mixeurs pour catalyseurs SCR, etc. Pour le moment, cela concerne principalement des modèles Euro IV et Euro V.
Autre détail absurde: si les équipementiers (Arvin, HJS, Emitec, Eminox, Tenneco, etc.) ou certains constructeurs motoristes (comme DAF ou Mercedes-Benz) ont prévu des accès aux filtres à particules et à leurs radiers à cendres, encore faut-il que les carrossiers constructeurs aient pensé à l’espace nécessaire dans la salle des machines ou autour de l’échappement pour extraire l’élément! Un point à surveiller attentivement lors de l’étude d’un véhicule avant achat. Sans oublier la masse considérable des systèmes de dépollution monobloc: comptez 150 kg sans les supports! De quoi rendre l’échange de ces pièces problématique.
À partir de 2018, avec Euro VI-c, seront également prises en compte les émissions d’ammoniac en sortie de catalyse SCR. Un détecteur déclenchera une alerte sur l’On Board Diagnosis en cas d’émission d’ammoniac trop élevée. La qualité de l’AdBlue sera également contrôlée: plus question de tromper le calculateur à base d’urée de vessie! Là encore, les autobus urbains sont particulièrement sensibles à l’encrassement par cristallisation d’urée du catalyseur SCR du fait de températures à l’échappement parfois insuffisantes. Une parade, développée par le groupe Total, consiste en l’utilisation d’un réactif AdBlue additivé appelé Diaxol. Cet AdBlue est spécifiquement destiné aux autobus urbains et il est prêt à l’emploi.
Autre cause de soucis pour le catalyseur SCR: la coupure brutale de l’alimentation électrique de bord par le coupe-circuit, avant que le système de pompe doseuse SCR n’ait effectué sa purge. Un excès d’AdBlue peut alors venir saturer le catalyseur et l’encrasser. Ici, la mesure préventive consiste à laisser s’écouler quelques secondes entre la coupure du contact moteur et l’actionnement du coupe-circuit général.
