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Optimisation

La mutation du temps de transport

Le temps du trajet compte moins que la régularité du moyen de déplacement, et celui de l’information influence la mobilité. Les temps de transport changent.

Tout d’un coup, les transports collectifs en ont eu fini avec la vitesse, les cars Macron sont apparus. « Un choix à contretemps », explique Roland de Barbentane, président de Ouibus. « Pour la première fois, des gens assument de prendre leur temps pour voyager. » Un Paris–Lille s’accomplit en 3 heures au lieu d’1 heure en TGV, un Paris–Bordeaux en 8 au lieu de 3. Cette petite révolution a déjà ses adeptes. Ouibus a transporté 267 000 personnes en trois mois, 94 % d’entre elles se disent satisfaites, 82 % affirment qu’elles recommenceront dans les trois mois à venir. Les Isilines, Flixbus et autres Starshipper remplissent leurs cars sur le même schéma.

Question de prix… et de temps

Mais les consommateurs de cette nouvelle lenteur achètent surtout un prix. En Ouibus, les 45 à 70 € d’un Paris–Lille en TGV peuvent fondre à 9 €, 15 € pour un Paris–Bordeaux et 5 € pour certains Paris–Clermont-Ferrand. Même s’ils prennent leur temps, ils n’en souhaitent pas moins arriver le plus vite possible. Même annoncé long, le temps reste un vrai sujet.

« Tous les mois, nous rouvrons nos plans de transport. Nous faisons tout pour réduire nos temps de trajet et les temps annexes », détaille Roland de Barbentane. Ouibus multiplie les gares de départ à Paris: au lieu de Bercy, c’est La Défense pour Caen et la porte d’Orléans pour le sud du pays. Des temps de pause des conducteurs sont déplacés en fin de parcours et les passagers sont débarqués au terminus des transports publics plutôt qu’en centre-ville. Le Paris–Clermont-Ferrand en Ouibus a ainsi diminué d’une heure.

La régularité avant le prix

« Cependant, nous refusons de faire du temps de trajet un argument dans la bataille commerciale qui nous oppose. Pour nous, la fiabilité et la régularité comptent bien davantage », indique le président de Ouibus. En cela, Ouibus rejoint le Stif, la RATP à Paris, ou ailleurs les Keolis et Transdev, tout le transport urbain pour qui le succès des bus, tramways et métros ne passe plus par des temps de trajets, mais par l’assurance de liaisons en nombre suffisant et respectant un temps de parcours normal pour le client.

Fréquence et régularité font figure d’impératifs universels. Du moins là où les transports collectifs concurrencent déjà la voiture par des temps de parcours similaires. « Le temps de trajet, c’était le mot d’ordre de ceux qui n’empruntent pas les transports collectifs, celui des automobilistes! », estime un ancien responsable marketing chez Transdev.

Le transport collectif affiche toujours des temps de trajet plus longs. C’est un vrai handicap dans les villes peu encombrées, souvent petites ou moyennes, où la voiture va deux ou trois fois plus vite. Dans les plus grandes villes, le transport public est seulement une fois et demie plus lent que l’automobile. « Le temps supplante alors la distance », indique Franck Michel, directeur marketing et territoires chez Transdev. La différence entre voiture et transports en commun devient comparable. Elle se dit en minutes. Plus que le temps de trajet, c’est son exactitude qui devient la réelle priorité des réseaux de transport.

Ouibus se situe dans cette logique. « De la culture SNCF, nous possédons ce souci d’une prestation robuste », déclare Roland de Barbentane. L’opérateur surveille en temps réel le parcours de chacun de ses véhicules, pour le dévier en cas d’accident ou d’embouteillage, le plus sérieux aléa de la route, et limiter les retards à l’arrivée.

Fréquence et fiabilité

Transdev obtient la même « robustesse » sur des lignes de bus accélérées, à Nantes, Grenoble et Bayonne, en disposant de voies ou parties de voies réservées dans la circulation. Leur succès ne s’explique pas seulement par la réduction des temps de parcours. « 25 et 30 % d’augmentation de la fréquentation avec seulement 5 à 6 minutes de moins sur un parcours d’une heure: il y a autre chose », explique Franck Michel. Selon lui, un réseau possède un seuil de crédibilité pour assumer sa fonction de transport public. C’est un service tous les quarts d’heure sur les lignes essentielles. Cela correspond au besoin, dans nos vies rapides, de disposer immédiatement des services. L’autre variable, c’est le seuil de fréquence sur ces lignes. Il l’estime de 10 à 12 minutes, et conseille de ne pas afficher les retards sur les écrans mobiles, sauf s’ils dépassent cette durée. C’est le temps qu’un passager pourra attendre sans considérer que le réseau a fait véritablement défaut. Les succès des lignes de bus s’expliquent notamment par des résultats améliorés sur ces deux tableaux.

À travers les enquêtes de l’observatoire Transev des mobilités, Franck Michel a constaté à quel point les habitants sont friands de la crédibilité du mode, mais aussi de sa fiabilité. Quatre personnes sur 5 sont prêtes à marcher 5 minutes de plus pour atteindre une ligne de bus aux passages deux fois plus fréquents. Au final, le temps du trajet n’est plus la seule variable.

Confort pour temps utile

Autre changement positif concernant le temps de trajet, il est moins redouté par les professionnels du transport comme étant un temps perdu pour les passagers. Certains cherchent toujours à l’agrémenter. La RATP tient à ses musiciens et à ses poètes dans le métro, la SNCF et Keolis aux joueurs de piano en gare « qui apportent un sentiment de sécurité ».

En la matière, le smartphone a tout changé. Il occupe le passager pendant une grande partie du trajet, et surtout, rien ne lui est imposé. Les canaux d’information collectifs et les écrans sur les dossiers des sièges n’ont pas la cote. « Dans les cars Air France, les gens préfèrent utiliser leur propre tablette électronique », indique Kara Livingston, directrice marketing chez Keolis. Et si à Nantes ou Bordeaux, la société de transport persiste à proposer des chapitres de bestsellers à télécharger et à lire sur son smartphone, c’est pour rappeler aux gens que le temps de trajet n’est pas forcément du temps perdu.

Vive, il y a quelques années, la crainte du temps perdu pour le passager s’est atténuée dans l’esprit des sociétés de transport. Pour qu’il soit utile, elle s’est muée en souci d’un certain confort. Pas un confort de salon, mais la jouissance d’un espace et d’une stabilité suffisantes dans le véhicule pour lire le journal, tapoter sur son smartphone. Elles ont donc équipé leurs véhicules de barres où s’accrocher et de dossiers pour se caler, même debout. « Pour rendre le trajet productif (envoyer un mail, commencer à travailler), nous proposons des véhicules aux sièges bien orientés, avec peu de vibrations et des matériaux de bonne qualité », explique Kara Livingston chez Keolis.

Confort électronique

Dans la même optique, le Grand Paris s’interroge déjà sur le métro numérique des années 2030 ou 2040. Il lance l’étude en même temps que le chantier sur les infrastructures. « Dans le transport public de demain, la personne deviendra complètement maîtresse de son temps de déplacement, si elle y trouve de l’électricité, Internet et de l’espace dédié », résume Valentina Zajackowski de la société Ixxi, filiale numérique de la RATP.

Peut-être le métro s’inspirera-t-il des vieux cars Macron? En 2016, ils proposent le confort « des classes affaires » en avion. Chez Ouibus, la distance entre les rangées, 78 cm, va encore plus loin. Les vitres fumées et la climatisation sont là pour bien dormir. Les sièges peuvent s’écarter de 10 cm du siège voisin. La tablette est fixée de manière à ne pas bouger si le passager devant incline son siège.

Le bus offre aussi le wifi. « On se focalise beaucoup sur le wifi, mais le premier besoin du passager est de recharger son téléphone et sa tablette », tempère Roland de Barbentane. Chaque passager dispose donc d’une prise. Mais si Ouibus respecte sa promesse de wifi à bord, il ne garantit pas l’accès à Internet tout le temps. Loin de là. Aucun système n’existe pour y parvenir. Ou alors il est trop cher. À moins d’utiliser sa propre liaison 3 ou 4G, le passager a donc tout intérêt à télécharger par avance le film qu’il visionnera pendant le voyage sur son smartphone ou sa tablette.

La RATP va ainsi équiper en 3 et 4G toutes ses stations de métro d’ici fin 2017. À grand prix. Une station demande 20 nuits de travaux. C’est pour cela que Nantes songe à équiper ses gares et pôles d’échange de wifi en accès public.

À la prolongation dans le transport des temps de repos, de travail, de loisir, de culture, de rencontre ou parfois de simple pause pour admirer le paysage, devra s’ajouter le sentiment de sécurité. Et il ne faut pas oublier « l’impact du conducteur. Quand on s’occupe de vous, on se sent en sécurité », complète Roland de Barbentane.

Le temps de l’accès

Parmi les temps du transport qui prennent de l’importance, les temps annexes, notamment celui de l’accès, montent en flèche. Un domaine où tout le monde investit beaucoup. « Le passager a envie d’acheter vite, facilement, le processus doit être clair et rapide », indique Roland de Barbentane. De son côté, Valentina Zajackowski, juge le temps d’accès au transport considérable. « Depuis très longtemps, en Île-de-France, le parcours moyen est de 43 minutes. Là-dessus, 8 minutes de marche et 6 dans les espaces de transports, c’est 30 % du temps total, et c’est beaucoup. »

Tous les réseaux misent sur le numérique pour faciliter l’accès à l’information. Les calculs d’itinéraires prennent de plus en plus en compte tous les moyens de transport: à Paris par exemple, les bus, trains, vélos et autos en libre-service. La marche et les taxis, sont en voie d’être ajoutés sur les applis dans toutes les villes. D’une minute à l’autre, le Parisien voit, selon l’heure, varier le chemin répondant à ses critères personnels en changeant de moyen de transport. « Nous voulons donner l’information à la personne, qu’elle soit d’Île-de-France ou touriste, utilisateur occasionnel ou habitué des transports, et où qu’elle soit », déclare Valentina Zajackowski. Cette information, qu’elle concerne un horaire, un retard, une perturbation, ne passe pas seulement par le smartphone. Elle s’affiche sur les écrans, en station, dans les véhicules, sur les bornes en gare.

Le temps de la marche

Chez Keolis, le digital ne peut débarquer que dans un parcours déjà fluide. « Nous tenons à ce que chaque support d’information joue son rôle. À l’extérieur, les pictogrammes, l’indication des autres moyens de transport, l’incitation à la marche à pied, tout cela doit être facile et sympa, en évitant d’utiliser notre jargon – qui sait ce qu’est un parc relais? – ou un langage trop local, rive gauche ou des informations trop locales, incompréhensibles pour un touriste (par exemple « rive gauche » ou « rive droite »). Le digital intervient seulement ensuite et permet d’enrichir l’information, de répondre directement aux questions des voyageurs », détaille Kara Livingston.

Keolis travaille beaucoup sur l’indication des temps de marche pour « envoyer les passagers marcher »: arrêt de telle ligne à 5 minutes en prenant la première à gauche. Transdev met aussi l’accent sur le temps de marche. « Dans le langage de la communication, la distance repousse, tandis que le temps attire », explique Franck Michel. « C’est un moyen, à condition de bien jalonner le parcours d’indications précises, et en utilisant le « Nudge » (ou coup de pouce), de libérer de l’espace dans nos véhicules aux heures de pointe en faisant prendre des raccourcis à nos passagers quand ils existent. » Dans nos villes de plus en plus aménagées pour favoriser la marche, c’est jouable. Pour Kara Livingston, toute cette information présente en outre l’avantage de réduire le stress du voyage.

Arriver à l’heure

Une part de l’information donne du temps réel: les horaires, les retards, les perturbations. La RATP livre sur ses écrans la météo de son trafic. Cette information va devenir de plus en plus prédictive, tenant compte en particulier des conditions de la circulation automobile. La régie parisienne a d’autant plus raison de le prévoir que le smartphone fait fonctionner l’utilisateur des transports dans l’instant. Même l’habitué de chaque matin se connecte en route à l’appli de la RATP pour vérifier que tout se passera bien sur son trajet. « Il veut s’assurer qu’il sera à l’heure », indique Valentina Zajackowski.

Le temps de l’arrivée à l’heure, en temps normal pourtant gouverné par la fréquence et la régularité du service, prend du poids. Sur les smartphones, les calculateurs d’itinéraires ne l’oublient pas. Ils récoltent l’information en fonction de l’heure à laquelle on veut partir ou/et de celle à laquelle on veut arriver. Dans les Ouibus, comme dans les avions, des écrans du voyage en temps réel permettent d’anticiper un éventuel retard.

Cette donnée est aussi vérifiable sur le site Ouibus par les personnes qui attendent les voyageurs à l’arrivée. La RATP labellise des applications qui utilisent ses données en temps réel, susceptibles de « faciliter ou enrichir le parcours de notre voyageur », ainsi que toute sorte de jeux de simulation de voyage.

Agir sur le réel

L’information donnée en temps réel aide déjà à affronter de grosses perturbations. La connaissance des minutes de retard sur d’autres itinéraires par rapport à un parcours initial perturbé permet au voyageur de faire des choix. Donnée en avance, sur des perturbations anticipées, cette information peut aider à en diminuer les retombées.

Cet été, l’axe central du métro parisien, de La Défense à Nation sur la ligne 6, ferme pendant un mois pour renouvellement de voie et ballast (RVB). Naturellement, la première idée qui vient à l’esprit est de basculer sur la ligne 1, quasi parallèle, La Défense–Château de Vincennes. Impraticable dans les faits! L’afflux serait trop considérable.

Dès à présent, un calculateur d’itinéraire dédié de la RATP explique l’impossibilité de choisir la ligne 1 en remplacement de la 6. Il décrit d’autres itinéraires praticables par les lignes 3 et 4 et par les bus, en affichant par exemple: « 20 minutes de plus qu’en temps normal par la 6 ». Cette information possède une vertu pédagogique. Elle objective un retard qui sera peut-être peu à peu considéré comme « pas si considérable que cela ». Le jour venu, cela aidera à passer l’obstacle.

Cette gestion du temps de l’information ouvre de nouvelles possibilités pour traiter, par exemple, les lourds chantiers d’entretien de réseaux de tramway. En province, on ne peut plus compter sur la période des vacances d’été, maintenant tout aussi fréquentée que le reste de l’année, pour faire les travaux dans une relative tranquillité. Nouveau temps crucial, celui de la diffusion de l’information va prendre de plus en plus d’importance et influer, dans le bon sens pour les réseaux, sur le temps des déplacements.

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Auteur

  • Hubert Heulot
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