La route traditionnelle, en asphalte et au service de la vitesse, évolue. Partout, constructeurs et centres de recherche travaillent à une nouvelle génération de voies, au service des enjeux énergétiques ou de la mobilité autonome et connectée.
Un coup d’œil dans le rétroviseur de droite, et Jean-Marc change de voie. La batterie de son minibus électrique a en effet besoin d’être rechargée. Mais en 2030, nul besoin de s’arrêter: Jean-Marc se place simplement sur la voie spéciale de chargement par induction, recouverte de vert sur l’autoroute.
La nuit tombe sur l’Auvergne, le conducteur et ses passagers aperçoivent devant eux les lumières de Moulins. La ville a été l’une des premières à bénéficier du dispositif Votre route vous éclaire, au début des années 2020: un revêtement photovoltaïque ultra-résistant a été placé sur la chaussée et fournit toute l’année l’éclairage public aux 19 000 habitants. C’est si beau, que Jean-Marc bascule en mode véhicule autonome pour pouvoir admirer le paysage avec ses compagnons. Sa navette le conduira à bon port, en reconnaissant automatiquement les panneaux d’information et de signalisation.
Futuriste? Peut-être pas. Le 21 mars, Ségolène Royal a lancé le programme des 1 000 kilomètres de route solaire en France. Un investissement de 5 M€ qui accompagnera le développement de routes à énergie positive, d’abord sur des aires de stationnement et des routes à circulation réduite, puis en conditions réelles et sur de grandes surfaces. Comme ce programme, plusieurs projets de routes intelligentes, ou de 5e génération, voient le jour en France et en Europe.
Colas a tiré les premières cartouches. En marge de la COP21, la filiale de Bouygues a présenté son revêtement Wattway: posé à même la chaussée, il est composé de cellules photovoltaïques, encapsulées dans une résine particulière pour ne faire que quelques millimètres d’épaisseur. Alors que d’habitude les panneaux photovoltaïques sont fragiles, ces dalles solaires sont « capables de supporter la circulation de tout type de véhicule, y compris les poids lourds », grâce à « différentes couches de plastique recouvertes d’une surface en résine transparente » qui ont subi « 1 000 001 de passages de roues » lors de tests, avance-t-on chez Colas.
Utiliser l’emprise au sol du réseau routier pour l’énergie solaire, l’idée miracle? C’est avant tout une « bonne impulsion », pour Nicolas Hautière, ingénieur à l’Ifsttar (Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux): « en France, il y a 17 000 km2 de routes et parkings, l’équivalent de l’ex-région Basse-Normandie. Seulement 3 000 à 5 000 km2 suffiraient pour couvrir notre besoin total en électricité ».
Chez le concurrent Eiffage, on travaille plutôt sur des ombrières translucides et photovoltaïques qui seront posées au-dessus des routes. Le groupe vise la construction d’un démonstrateur sur 1 km à l’horizon 2020, avec l’idée de distribuer l’énergie localement aux péages et aux stations-service.
Un projet qui rappelle le tunnel photovoltaïque de Peerdsbos en Belgique. Il s’étend sur 3 km et recouvre le Thalys Paris–Amsterdam depuis 2011. Ses 55 000 m2 de toiture solaire suffisent à couvrir la demande énergétique de la gare d’Anvers, située à quelques kilomètres. Mais pour François Olard, directeur recherche et développement chez Eiffage, la comparaison s’arrête là: « Nos technologies sont plus matures. Et notre démarche s’inscrit dans une vision intégrée de la route: sans perturber la circulation, on pose des ombrières qui protègent du bruit, des intempéries, et qui produisent de l’électricité ».
Si aujourd’hui l’effervescence monte autour des automobiles électriques, un problème majeur demeure: la faible densité du réseau de recharge. En août 2015, sur 5 ans et pour 700 M€, le Royaume-Uni a donc lancé une expérimentation de route de rechargement par induction, pour que chaque véhicule puisse poursuivre son trajet sans crainte pour son autonomie.
En France, c’est le site test de Satory qui mène les recherches. Proche de Versailles, le centre fait partie du consortium FABRIC, qui regroupe entre autres Volvo, Sanef, des instituts de recherche et des opérateurs de l’énergie. Leur but est « l’adoption à large échelle de véhicules 100 % électriques, avec des solutions avancées de chargement de batterie, afin de donner au conducteur une expérience proche de celle des véhicules d’aujourd’hui ».
À Satory, trois pistes d’essai sont installées. Elles seront utilisées dans le cadre du projet FABRIC pour tester la recharge inductive dynamique: après une voie d’accélération classique, la voie équipée tentera de recharger les véhicules jusqu’à la vitesse de 60 km/h. Différents niveaux d’énergie seront testés jusqu’à 20 kW, et les chercheurs analyseront l’impact des transitions entre route classique et route de recharge sur l’efficacité du rechargement.
Pour Nicolas Hautière, elle fait partie des routes à « intelligence renouvelée ». Bardée de capteurs, cette nouvelle génération transmet toute sorte d’informations sur son état, ou le nombre de véhicules qui la parcourent.
Elle permettrait donc d’anticiper les dégradations de la route: « le capteur est intégré dans la structure de la chaussée et relié à des ordinateurs sur le bord de la route. Il peut détecter par avance les remontées de fissure, mesurer des écartements, et donc faciliter une intervention en amont », explique l’ingénieur.
Si l’Ifsttar mène actuellement un projet de ce type sur le tronçon A10-A11, c’est le programme néerlandais Self Healing Asphalt, testé sur une portion de l’A58, qui est le plus avancé. Erik Schlangen et son équipe de l’université de Delft ont ajouté un troisième composant à l’habituel mélange de pierre et de bitume de nos routes: la laine d’acier. Un véhicule spécial envoie ensuite de la chaleur par induction, la laine s’active et ressoude les trous invisibles de la route. Le tout, sans intervention humaine directe.
Le développement imminent des véhicules autonomes appelle une réponse de la route.
Si aujourd’hui plusieurs véhicules haut de gamme peuvent déjà lire certains panneaux de signalisation, les prochaines années verront l’intensification de la communication entre le véhicule et sa voie de transport. D’où la nécessité pour les infrastructures de se mettre à la page: « à l’heure actuelle, il n’y a pas d’exigence minimale de performance pour les marquages au sol routiers. Or, demain, les véhicules autonomes vont se reposer en grande partie sur eux. Il faut mieux les entretenir, ou en inventer de nouveau. Du côté de la signalisation, les caméras embarquées seront capables de détecter le code QR présent sur un cédez-le-passage, et les véhicules pourraient communiquer avec les panneaux grâce à des transpondeurs de courte portée, comme ceux utilisés aujourd’hui par les passes Navigo », explique Nicolas Hautière.
Mais le gouvernement veut d’ores et déjà répondre à l’enjeu des systèmes de transport intelligent coopératif. En mai 2014, le ministère de l’Environnement a ainsi lancé le projet SCOOP@F. Son but est d’améliorer la communication avec les infrastructures et de favoriser le partage d’informations entre véhicules.
Bordeaux et sa rocade ou l’autoroute Paris-Strasbourg font ainsi partie des sites pilotes où seront installées des bornes de réseau wifi et cellulaire. Ces routes communiqueront aux véhicules, équipés de tablette sur leur tableau de bord, des informations sur les conditions de circulation, les chantiers, la vitesse autorisée ou les obstacles.
Réciproquement, les données émises par les voitures et captées par les bornes seront retransmises aux gestionnaires routiers qui pourront s’en servir pour connaître le trafic et intervenir plus efficacement sur les incidents. En revanche, la vitesse en temps réel du véhicule ne devrait pas être transmise. Pour l’instant, du moins.
