« Viens, maman, on va prendre un UberPool! ». Cette simple phrase, glissée à sa mère par un adolescent à la sortie de l’aéroport, peut paraître anecdotique, mais elle montre bien la facilité déconcertante et décomplexée avec laquelle les jeunes, assistés de leur téléphone portable, jonglent avec les différents modes de déplacement. Cela ne fait aucun doute: le paysage français du transport de voyageurs est en pleine mutation.
C’est justement pour expliquer ces bouleversements sans précédent que la FNTV a choisi de dérouler son 24e congrès annuel, organisé le 5 octobre à la Maison de la Chimie à Paris, autour du thème porteur et fédérateur « Pourquoi tout change? ». Pour répondre à cette question d’actualité, la fédération patronale a réuni un plateau iconoclaste, symbolique des mutations actuelles, mêlant des acteurs historiques du transport public, comme la SNCF et la RATP, et des dirigeants de start-up comme FlixBus, BlaBlaCar et Uber, nouvelles stars de la mobilité qui n’existaient pas il y a 10 ans encore.
Transports collectifs classiques, VTC, TGV low-cost, covoiturage, cars Macron, navettes autonomes, autostop organisé, etc. L’offre de transport n’a jamais été aussi foisonnante. « La France est dans une dynamique d’innovations », constate Laurent Guihéry, professeur à l’université de Cergy-Pontoise. « C’est un moment super motivant! », s’enthousiasme pour sa part Julien de Labaca, consultant en nouvelle mobilité. À l’image des services librement organisés (SLO), qui un an après l’ouverture du marché ont enregistré cinq millions de passagers sur leurs lignes, le paysage français du transport de voyageurs évolue à la vitesse grand V. « L’intermodalité est là. Ce n’est pas un rêve ni une chimère. C’est une réalité », affirme, chiffres à l’appui, Thibaud Simphal, directeur général d’Uber France. « Une étude de l’Ademe montre que 40 % des utilisateurs d’Uber sont totalement intermodaux. Cette proportion monte à 70 % pour les clients d’UberPool, le système de taxis partagés. » Et Romain Fau, directeur général de BlaBlaCar pour la France, le Benelux et l’Espagne, de renchérir: « Les modes de transport sont complémentaires. Les gens peuvent prendre un train, un bus, puis terminer en covoiturage ».
Ces nouvelles pratiques de mobilité se développent grâce aux nouvelles technologies. « Le numérique agit comme un révélateur de multimodalité. Par exemple, dans le cas de BlaBlaCar, la nouveauté n’est pas la voiture. C’est le fait de pouvoir la partager. Le numérique permet d’avoir accès à une offre et donne l’opportunité de choisir son offre », analyse Julien de Labaca. Conséquence: l’usager de transport n’est plus un passager captif. Il devient acteur de ses déplacements. « Le transport public se transforme en transport collectif individualisé. Cela exige de la flexibilité de la part des opérateurs », observe François-Xavier Perin, vice-président de l’UTP (Union des transports publics et ferroviaires). « Cela nécessite aussi de centrer le débat, non pas sur ce que veut Uber ou BlaBlaCar, mais sur ce que veut l’utilisateur », insiste Thibaud Simphal.
Conscients de ce phénomène, les autorités organisatrices commencent à réfléchir à l’intégration de ces nouveaux modèles dans leur offre locale de service de transport public. « On est ouverts à rencontrer les élus. On commence par exemple à avoir des échanges avec la Mairie de Paris », confie Romain Fau. De son côté, Uber dit être « en discussion très avancé avec des opérateurs de transport public dans les aéroports et dans les gares », et ne désespère pas de signer un jour des partenariats avec des collectivités, malgré l’échec de ses premières candidatures à des appels d’offres il y a deux ans.
La révolution numérique pousse également les élus à réfléchir à l’utilisation des données produites par les déplacements des utilisateurs connectés.
« Aujourd’hui, on est tous des créateurs de données qui s’ignorent », observe Jean-Marc Lazard, président d’OpenDataSoft, start-up spécialisée dans l’exploitation des données. Ainsi, pas moins de 12 millions de validations de billets de transport par jour, 1 000 transactions bancaires par minute et 1,2 million de recharges de passe Navigo ou autres cartes électroniques de transport en Ile-de-France sont traités chaque jour par Ixxi, filiale de la RATP spécialisée dans la mobilité intelligente. Autant de données qui, selon Jean-Marc Lazard, constituent « le nouveau patrimoine des entreprises ».
Le tout reste d’en faire profiter les professionnels, et in fine les usagers des transports dans une approche gagnant-gagnant. À ce titre, le site handimap.org, qui réalise du calcul d’itinéraire pour les déplacements des voyageurs handicapés en utilisant les données générées par la voierie, est un bon exemple des progrès sociétaux que peuvent générer les data. Transformer les données en information utile pour le voyageur dans ses déplacements, tel est également l’objectif très concret d’Ixxi. « L’exploitation des data permet d’optimiser le temps de trajet, d’anticiper sur les conditions effectives du trajet: ainsi, les données, partagées et mises à la disposition des voyageurs via des écrans lumineux analogiques ou les smartphones, deviennent des aides à la décision en temps réel ou à plus long terme », explique Valentina Zajackowski, directrice marketing et prospective d’Ixxi. Le simulateur d’itinéraire développé par l’entreprise, en partenariat avec la Société du Grand Paris, permet d’ores et déjà aux utilisateurs de voir comment s’inscriront leurs trajets et leurs temps de transport dans le futur réseau de transport francilien, et comment ce supermétro impactera leur mobilité et leur mode de vie. « Si je désire acheter un appartement, je suis ainsi mieux informée pour faire cet investissement », illustre Valentina Zajackowski.
Sans renier les apports du numérique, Éric Chareyron, directeur de la prospective chez Keolis, a rappelé l’importance de la simplicité dans les services de transport public. « Le numérique fait émerger de nouvelles formes d’accompagnement de la mobilité, mais la majorité des citoyens sont avant tout en attente d’ergonomie, d’offres intuitives qui se révèlent d’elles-mêmes tellement elles sont simples ». Cette évidence passe par des services tels qu’un TGV Paris-Lyon toutes les heures ou des bornes d’information voyageur, largement plébiscitées par les usagers. « Paradoxalement, le numérique a révélé la nécessité de repères physiques », estime le consultant Julien de Labaca qui rêve de points de ramasse et de dépose mieux identifiés pour les clients de BlaBlaCar, ou de gares routières structurées pour les adeptes des cars Macron.
Cependant, le développement du numérique dans les transports ne doit pas se faire au détriment du service public et de l’intérêt général. Selon une étude de Keolis, seul un tiers des usagers est hyperconnecté. Un deuxième tiers est connecté, mais souvent avec un temps de retard. Enfin, le dernier tiers reste off-line. « Tout le monde n’a pas le même accès au numérique et aux applications. Il faut donc être attentifs aux gens qui sont à la frange de cette révolution, et à bien les intégrer dans l’offre. Les applications ne sont pas incompatibles avec les réservations par téléphone ou le mobilier intelligent dans les réseaux de transport », insiste Éric Chareyron. Un QR code collé sur la vitre d’un abribus pour consulter un plan de ligne sur son smartphone, c’est bien. Mais il ne faut pas oublier qu’un plan imprimé sur du papier puis collé sur l’abribus peut être pratique aussi!
Pour éviter ce qu’il appelle le « syndrome du car à moitié vide », Éric Chareyron, directeur de la prospective chez Keolis, a invité les élus et les professionnels à aller au-delà des apparences, à ne plus raisonner en termes de flux mais d’individus. Ainsi, même s’il n’y a quotidiennement que quelques personnes dans les cars, ce ne sont pas les mêmes personnes tous les jours, et à la fin de la semaine, ce sont quelques milliers de passagers qui ont bénéficié d’un service public alors que chacun a le sentiment que le car est vide. Pour le spécialiste, les chiffres de fréquentation des lignes de bus d’une ville moyenne comme Quimper illustrent bien ce phénomène. « On s’aperçoit que le même nombre de personnes prend le car le lundi, le mardi, etc., soit 4 000 personnes chaque jour. Mais quand on regarde de plus près, grâce à la billettique, ce sont 1 100 personnes présentes le lundi qui ne le sont pas le mardi, remplacées par d’autres. »
