En moins d’un an, les opérateurs de cars Macron ont séduit 3,4 millions de passagers. Ce lancement réussi, ils doivent maintenant trouver la voie de la rentabilité en affinant leur positionnement sur un marché en pleine effervescence.
À peine plus d’un an après la promulgation de la Loi Macron, le 6 août 2015, l’autocar s’est clairement fait une place dans le paysage français des transports collectifs. Celui que l’on croyait démodé est en train de se tracer un sillon durable. En octobre 2015, une étude de la FNTV (Fédération nationale des transports de voyageurs) montrait que l’autocar jouissait d’une très bonne image auprès des Français. Perçu comme « une alternative crédible, tant à la voiture qu’au train », il était aussi réputé moins polluant, plus sûr, le tout à des « prix accessibles et stables ».
Un an plus tard, l’engouement des Français pour l’autocar ne s’est pas démenti. Selon l’Arafer (Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières), 3,4 millions de voyageurs ont été transportés sur les lignes de cars Macron depuis la libéralisation du marché, dont 1,5 million sur le seul second trimestre 2016! La période estivale n’a fait que confirmer le succès populaire croissant de ce moyen de transport. Ainsi, rien que sur les mois de juin, juillet et août, Flixbus dit avoir transporté 1 million de passagers, autant que sur ses huit premiers mois d’activité. « 2016, c’est l’été du car, l’été où le car est rentré dans le quotidien des Français! Depuis le low-cost aérien, il n’y avait jamais eu un mouvement aussi fort dans les transports hexagonaux », s’enthousiasme Pierre Gourdain, directeur général de Flixbus France. Et ce n’est vraisemblablement que le début. Une enquête de CheckMyBus prévoit « 5,3 millions de passagers d’ici la fin de cette année 2016 », tandis que Roland de Barbentane, directeur général de Ouibus (groupe SNCF), table sur plus de 10 millions de passagers avant 2020.
La clientèle, composée à 30 % de jeunes de moins de 25 ans et d’un nombre croissant de retraités, est avant tout attirée par les tarifs, plus compétitifs que ceux du train, de la voiture et même du covoiturage. Les lignes d’autocar les plus fréquentées sont celles qui concurrencent le train: 90 % des passagers empruntent les 45 % de lignes pour lesquelles il existe une alternative ferroviaire. Ainsi, Paris apparaît comme le nœud du réseau avec deux tiers des passagers Macron, et il est à noter que les lignes Lille–Paris, Lyon–Paris et Paris–Rouen, pourtant bien desservies par la SNCF, sont les trois lignes d’autocars les plus empruntées du réseau hexagonal.
Selon une enquête menée au mois de juin par Isilines auprès d’un échantillon de 23 534 personnes, les horaires et l’interconnexion à des réseaux urbains entrent également au palmarès des critères de sélection de l’autocar. Pour séduire leurs clients, les opérateurs multiplient donc les lignes, les liaisons et les points d’arrêt. Au début de l’été, l’observatoire des transports et de la mobilité de l’Arafer recensait 193 villes desservies, contre seulement 150 à la fin du mois de mars, et 1 105 liaisons commercialisées, soit 29 % de plus qu’au trimestre précédent. Le mouvement devrait encore s’accélérer. Ouibus veut développer les lignes de moins de 100 kilomètres, afin de proposer davantage d’arrêts intermédiaires sur une même ligne et avoir une desserte plus fine, plus maillée. De son côté, Flixbus affine son réseau. Cela passe à la fois par la suppression des services non rentables, comme Guéret et Montluçon, et par l’expérimentation de nouvelles offres. « Notre plan d’expansion 2017 prévoit la création de nouvelles lignes et l’ajout de cars et d’arrêts complémentaires sur des lignes existantes », détaille Pierre Gourdain.
Ces ouvertures de ligne sont aussi le moyen pour les opérateurs d’ajuster leur stratégie et d’affiner leur positionnement sur ce marché en pleine effervescence. En effet, sur les cinq principaux opérateurs qui se sont alignés au départ, deux ont déjà déclaré forfait. Starshipper, regroupement de 32 PME indépendantes, a rejoint le réseau d’autocars longue distance Ouibus à travers un contrat de franchise renouvelable de 10 ans et une prise de participation de 5 % au capital de la filiale de la SNCF. De son côté, Megabus (groupe Stagecoach) a disparu du marché français, avalé le 28 juin par l’allemand Flixbus. Depuis cet été, ils ne sont donc plus que trois – deux Français, Ouibus, filiale de la SNCF, et Isilines, filiale de Transdev, et un Allemand, Flixbus – à se partager le gâteau Macron, lequel a généré entre fin juin 2015 et début août 2016 un chiffre d’affaires de 40 M€ hors taxe.
Outre le fait que cette concentration du secteur a donné un coup d’accélérateur aux activités de Ouibus et de Flixbus (voir encadrés plus loin), elle a surtout contribué à assainir le marché. « On a sorti un acteur qui tirait le marché vers le bas avec une stratégie très agressive sur les tarifs », analyse Pierre Gourdain. Avec ses billets à 1 euro, megabus.com se présentait en effet comme « le leader européen des déplacements à bas prix ». Les opérateurs vont-ils en profiter pour augmenter leurs tarifs? Il y a fort à parier que oui. À en croire le directeur général de Flixbus France, « il faut s’attendre à moyen terme à une hausse des prix de 8 à 15 % ». Même discours chez le concurrent Ouibus dont les tarifs ont déjà augmenté cet été. « On a atteint cet été des tarifs raisonnables, proches de ceux de l’année prochaine », estime Roland de Barbentane. Ainsi, les lignes dites horizontales du type Lyon–Nantes ou Bordeaux–Clermont-Ferrand, qui sont les moins concurrencées par le train et le covoiturage, devraient devenir plus chères. Et les opérateurs longue distance pourraient aussi profiter des pics de départ à la Toussaint ou à Noël pour revoir leurs tarifs à la hausse. Reste à savoir si les clients seront prêts à payer au juste coût leur voyage en autocar et si la fréquentation des lignes, déjà faible – au premier trimestre 2015, l’Arafer établissait le taux moyen d’occupation des véhicules à 30 % – n’en sera pas impactée. C’est tout l’enjeu de l’an II des cars Macron.
Avant d’ouvrir une liaison de moins de 100 kilomètres, les autocaristes doivent déclarer leur intention auprès de l’Arafer, chargée de vérifier que la création d’un nouveau trajet ne rentre pas en concurrence frontale avec une ligne existante et n’entame pas sa rentabilité financière.
176 déclarations non annulées ont été publiées à ce jour. Sur ce total, 87 ont fait l’objet d’une saisine des AOT concernées. Suite à ces saisines, l’Arafer a rendu 67 avis dont près des deux tiers sont défavorables aux autorités organisatrices. Le gendarme du rail n’a donné raison à ces dernières que dans 21 cas.
Sur ces 21 cas, pas moins de 15 concernent des projets de liaisons entre Paris et l’aéroport de Beauvais, à l’initiative de l’opérateur Flixbus et du transporteur local Frethelle. Ces projets se sont tous soldés par un arrêté d’interdiction du Syndicat mixte de l’aéroport Beauvais-Tillé (SMBT). Il dénonce en effet des pertes de recettes trop conséquentes pour la ligne, exploitée en délégation de service public par la Sageb (Société aéroportuaire de gestion et d’exploitation de Beauvais), et pour l’ensemble des activités de la plateforme aéroportuaire de l’Oise.
Malgré ces arrêtés d’interdiction à répétition, Flixbus et Frethelle ne se découragent pas d’exploiter un jour une liaison entre Paris et l’aéroport de Beauvais. Dans leur intérêt (la ligne est considérée comme la plus rentable de France), pour le bien du porte-monnaie des usagers de l’aéroport (la ligne est chère, 17 € l’aller simple au guichet, l’équivalent de la fourchette haute d’un Paris–Clermont-Ferrand chez Flixbus), pour drainer plus de trafic vers la plateforme aérienne, et enfin, au nom du principe de la loi Macron dont le vrai nom est, rappelons-le, « loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques ».
M.-N. F.
