À J – 15 du lancement de la compétition, les transporteurs tricolores règlent les derniers détails logistiques pour accueillir au mieux les centaines de milliers de supporteurs venus des quatre coins de la planète. Après le marathon de la préparation, place au sprint final, pour faire de cet événement sportif une opération commerciale festive et réussie.
Du 10 juin au 10 juillet, la France s’apprête à accueillir le championnat d’Europe de football. Cette compétition, qui a lieu tous les quatre ans dans un pays européen, est le troisième événement sportif international après les Jeux olympiques et le Mondial de foot. En 2016, ce sera la plus grande manifestation populaire organisée sur le Vieux Continent. Quelque 2,6 millions de supporteurs, dont 1,5 million d’étrangers, sont attendus dans l’Hexagone. Dix villes hôtes, Bordeaux, Toulouse, Lille, Lens, Lyon, Saint-Étienne, Marseille, Nice, Paris et Saint-Denis, organiseront 51 matchs entre les 24 équipes en lice.
À ceux qui se rendront directement dans les tribunes pour assister aux rencontres, il faut ajouter tous les amateurs de ballon rond qui se déplaceront sur les fanzones, ces aires de plein air, aménagées dans les villes pour visionner les matchs sur écran géant dans une ambiance festive. « Pour un supporteur dans le stade, on compte deux personnes en ville, estime Franck Bernard, en charge de l’événement au sein de la SNCF. Au total, cela représente 8 millions de personnes qui se déplacent ». Dans ces circonstances exceptionnelles, « le transport sera un élément fondamental de la réussite de l’Euro 2016 », souligne le commissaire Julien Dufour, chef de l’unité de coordination de la sécurité dans les transports en commun à la direction générale de la police nationale (voir interview ci-après).
Aérien, ferroviaire, terrestre, urbain, tous les modes de transport seront sollicités. Les touristes de passage et la clientèle d’affaires VIP, invitée pour l’occasion, se mêleront aux innombrables supporteurs venus de tous les continents, pour admirer leur équipe préférée et la suivre de ville en ville tout au long de la compétition. La SNCF s’attend ainsi à recevoir 2 millions de personnes dans ses gares pavoisées aux couleurs de l’Euro. À Lyon, 200 avions charters affrétés par des tours opérateurs du monde entier vont atterrir sur le tarmac de l’aéroport Saint-Exupéry. Leurs passagers seront ensuite transférés par autocar vers le stade ou le centre-ville. « Sur 10 jours, cela représente 600 véhicules, soit 60 véhicules par jour », calcule Augustin Berthelet. En première ligne sur le sujet, la compagnie qu’il dirige, les Cars Berthelet à Saint-Vulbas (Ain), a décroché le contrat de régulation des cars avec l’aéroport.
Au niveau local, les transports en commun, dont l’usage est recommandé par l’UEFA, l’instance dirigeante du football européen organisatrice de l’Euro, seront mis à rude épreuve. Pour les réseaux urbains, le plus difficile ne sera pas de gérer la masse, mais d’accompagner ce fort volume de passagers sur la durée. « Transporter beaucoup de monde, on sait faire. Durant le week-end de la braderie de Lille, le métro automatique fonctionne 24 heures sur 24 et achemine 1,2 million de personnes. Ce qui est plus compliqué avec l’Euro, c’est de répéter la performance sur plusieurs jours », analyse Thierry Dutriaux, responsable du pôle conseil en mobilité de Keolis Lille, exploitant du réseau Transpole.
Entre le 11 juin et le 1er juillet, le stade Pierre-Mauroy de Lille et le stade Bollaert-Delelis de Lens, situé à 40 km seulement de la métropole nordiste, accueilleront 10 matchs, soit une moyenne d’un match tous les deux jours pendant 20 jours.
En termes de transport, cela va se traduire par des records d’affluence dans le métro lillois, dont les rames sont fréquentes (cadencement à 1,06 minute), mais pas extensibles (160 personnes à la fois). Pour un match qui démarre à 21 heures, quelque 25 000 personnes (sur les 50 000 supporteurs présents au stade) tenteront de se frayer un passage dans le métro durant les trois heures précédant le match. C’est « le double d’un jour de semaine normal et quatre fois plus qu’un dimanche, dans la même tranche horaire comprise entre 18 et 21 heures! Ces pics de trafic nécessiteront le déploiement d’une logistique dimensionnée à la taille de l’événement, afin d’optimiser la fluidité et la sécurité des flux. Une centaine d’intérimaires bilingues seront recrutés en renfort des équipes habituelles, pour accueillir les gens et les aider dans l’achat de leurs titres de transport. Un support de titre de transport sous forme de bracelet équipé de la technologie NFC a même été développé dans l’objectif de réguler le trafic. En outre, des embarqueurs seront postés devant les portes palières des métros pour réguler la montée des passagers et ne pas retarder les rames. Un système de guide-file sera installé pour faire une sorte de serpentin et éviter les bousculades. En surface, la police sera mobilisée pour maintenir la foule et ne faire descendre dans le Val qu’une centaine de personnes à la fois », détaille Thierry Dutriaux.
Les plans transport sont calés depuis plusieurs mois dans toutes les villes, à l’exception peut-être de Paris qui attend le dernier moment pour décider de renforcer ou non ses services de transport en commun (voir articles plus loin), et de Bordeaux qui s’est décidée, un petit mois avant l’événement, à investir dans deux quais pour accueillir les cars Macron. Cependant, plusieurs incertitudes subsistent. Première inconnue de l’équation: les résultats sportifs et le parcours des équipes en lice, impossibles, par définition, à connaître à l’avance. Ce sont pourtant eux qui vont guider les supporteurs de telle ou telle équipe vers telle ou telle ville hôte. Pour répondre à la demande, les opérateurs de transport devront se montrer réactifs: « on n’aura parfois guère plus de 72 heures pour doubler la capacité de nos trains », anticipe Franck Bernard à la SNCF.
S’ajoutent les aléas liés aux mouvements contestataires en cours, contre la loi El Khomri, chez les routiers, chez les taxis, et au sein même de la compagnie ferroviaire nationale. En vue de faire pression sur les négociations en cours pour un nouvel accord d’entreprise et une nouvelle convention collective du ferroviaire, plusieurs syndicats de cheminots ont en effet appelé à un mouvement de grève reconductible jusqu’à la fin de l’Euro de foot 2016. Malgré ces conjonctions fâcheuses, Franck Bernard veut croire que « le pire n’est jamais certain »,et sécurise la circulation des TGV calés sur les horaires des matchs de l’Euro. « Nous avons mis en place et prévu tout ce qui pouvait l’être pour diminuer l’impact des grèves. Tous les TGV Euro 2016 seront placés en priorité absolue sur toute la durée de la compétition. »
Ces tensions sociales, mêlées à l’omniprésence de la menace terroriste, vont-elles conduire les amateurs de foot à limiter leurs déplacements durant la période de l’Euro? À en croire les faibles taux de réservation enregistrés par les opérateurs de transport, il semblerait que oui. À trois semaines de l’événement, la SNCF, qui avait tablé sur 300 TGV supplémentaires à l’occasion de l’Euro, n’en a rempli qu’une petite centaine. « Les TGV les mieux positionnés, qui arrivent 3 heures avant le match, montent très vite. Mais ceux du matin ne sont pleins qu’à 10 ou 15 %. Le travail de nos équipes informatiques pour ouvrir la billetterie 9 mois à l’avance n’a pas été récompensé », regrette Franck Bernard.
Pour se consoler, les différents acteurs misent sur les réservations de dernière minute. C’est le pari de Flixbus qui, pour attirer de nouveaux clients, a opté pour une communication digitale savamment dosée et bien ciblée sur Internet et les réseaux sociaux. On est loin de la campagne d’affichage ostentatoire de la SNCF, transporteur national officiel de l’Euro, ou de celle, très institutionnelle mais efficace, de Transdev. « En additionnant les prestations locales et les prestations nationales (multilocales), Transdev France devrait réaliser avec l’Euro 2016 un chiffre d’affaires supérieur au million d’euros pour son activité grands comptes (B to B) », prévoit Paul de Rosen, directeur commercial et du développement chez Transdev. En Rhône-Alpes, Augustin Berthelin, de la compagnie de cars éponyme, partage l’optimisme de son confrère. « Nous attendons l’Euro avec impatience. C’est un moment important, simplement parce qu’il vient après les attentats du 13 novembre 2015, qui ont engendré chez nous des pertes de chiffre d’affaires conséquentes, autour de 100 000 € en novembre et en décembre. On est donc dans la logique de travailler au maximum pour combler le retard. » Chez Berthelet, le championnat sera aussi l’occasion de fédérer les équipes en interne autour d’un concours de pronostics. Allez les bleus!
Contrairement aux deux championnats précédents, en Autriche et en Suisse en 2008, en Pologne et en Ukraine en 2012, les transports urbains ne seront pas gratuits pour les supporteurs se rendant aux stades. Pour des raisons techniques (les portiques à l’entrée des métros), Paris ne pouvait pas appliquer la gratuité. Pour des raisons politiques, Toulouse l’a refusée. Les autres villes ont tenté de négocier avec l’UEFA, mais l’instance dirigeante a refusé de faire des exceptions. Selon elle, le transport doit être gratuit dans toutes les villes, sinon rien.
