Les ruptures de modèles liées à la nouvelle économie s’accompagnent d’une évolution profonde du fonctionnement des entreprises. De plus en plus, les grands groupes vont chercher la souplesse et la créativité des start-up pour stimuler leurs capacités d’innovation. Le secteur de la mobilité, longtemps domaine réservé des grands groupes de transport, n’échappe pas à la tendance et multiplie les ponts avec les jeunes pousses, pour mieux aller de l’avant. Une dynamique encouragée au sommet de l’État.
Remis le 15 novembre pour sa deuxième édition, le prix David avec Goliath vise à distinguer la relation entre grands groupes et start-up. Soutenu par le fonds d’investissement Raise, présidé par Clara Gaymard, qui remet 100 000 € à la start-up récompensée, le prix a également pour but de mettre en lumière les bonnes pratiques. Le duo vainqueur, Carrefour et Phenix, témoigne de la coopération entre un géant de la grande distribution et une jeune entreprise innovante et citoyenne. Depuis 2014, Phenix assure la revalorisation des déchets à travers la redistribution des invendus alimentaires et surplus industriels à des réseaux d’associations et des entreprises de revalorisation. Son action repose sur une plateforme digitale permettant de connecter en temps réel l’offre et la demande de surplus, un travail collaboratif de terrain et un accompagnement logistique sur-mesure. Résultat: Carrefour réduit de 40 % sa facture de traitement des déchets, s’investit dans l’économie circulaire en redistribuant 30 % des produits à des associations caritatives, et continue de soutenir Phenix qui va développer son modèle avec Carrefour España. Pionnier du genre, un autre groupe nordiste, Mobivia (Norauto, Midas), a créé Via ID, son fonds de soutien à l’innovation, dès 2009. À l’époque, l’entreprise spécialisée dans la maintenance automobile revoit l’ensemble de sa stratégie et se tourne vers les nouvelles mobilités. Mobivia se positionne comme un actionnaire à long terme, et cherche à développer des synergies dans le secteur des mobilités quotidiennes intelligentes et décarbonées. Parmi les 17 start-up accompagnées, quelques exemples donnent la mesure de la réussite du modèle: WayzUp, Drivy, Heetch, Smoove…. « Avec huit ans de recul, nous avons compris pourquoi certains essais n’avaient pas fonctionné, et mis en place une structuration plus claire », explique Sophie Bailly, responsable marketing et communication chez Mobivia. Toutefois, en matière d’innovation, l’échec est inévitable, voire nécessaire. « Un bon startuper a connu plusieurs échecs et a su rebondir, remarque Sophie Bailly. L’objectif de notre accompagnement n’est jamais la survie à tout prix. Un échec peut être dû à un problème d’équipe, ou parce qu’une innovation arrive trop tôt par rapport aux besoins. »
Pour améliorer l’accompagnement, Mobivia a lancé en mai 2016 un incubateur, sorte de Station F dédiée à la mobilité, où sont hébergés sept projets actuellement. « Nous fournissons des locaux à ceux qui le souhaitent, et nous aidons les porteurs de projet à aller chercher les bonnes ressources aux bons endroits, en termes d’expertise juridique, de RH, de marketing ou de communication, détaille Léa Dégardin, en charge de l’incubateur Via ID. La durée du programme est de six mois, renouvelables en fonction des cas. Nous commençons par une formation intensive, au cours de laquelle nous reprenons tous les points de méthodologie. Nos porteurs de projet sont suivis par un mentor expert du digital, qui les aide à prendre du recul. De plus, nous favorisons les échanges entre les différentes entreprises hébergées dans l’incubateur, ainsi qu’avec les autres start-up soutenues par Via ID. » Cette dynamique de soutien aux start-up est également célébrée par le salon Viva Technology, dont la 3e édition se tiendra fin mai 2018 à Paris. En juin dernier, un peu plus d’un mois après son élection, le Président Emmanuel Macron y avait fait une visite remarquée, soulignant l’importance du numérique et de l’innovation dans la compétition mondiale. Carrefour, comme beaucoup d’autres grandes entreprises, y était présent avec un vivier de jeunes pousses soutenues par sa Fondation. Le dispositif était similaire pour les stands de la RATP, de la SNCF, Valeo ou Engie… Là encore, il s’agit de favoriser les échanges pour cultiver l’innovation. Quelques mois plus tôt, la RATP avait d’ailleurs lancé officiellement sa filiale dédiée à l’Open Innovation, RATP Capital Innovation, dotée de 15 millions d’euros, qui venait d’investir dans la société d’autopartage en libre-service Communauto. Le groupe RATP s’est également doté d’un guichet dédié aux start-up.
« Le guichet est la cheville ouvrière de notre travail avec les start-up, alors que l’outil financier intervient de façon exceptionnelle », explique Valère Pelletier, directeur du développement digital et de l’innovation au sein du groupe RATP.
Contrairement aux idées reçues, les jeunes pousses ne sont donc pas toutes à la recherche d’un business angel capable de leur apporter de la trésorerie. Tout dépend du degré d’évolution d’une entreprise, et des priorités des porteurs de projet. « La RATP attire les start-up du fait de sa notoriété et de sa crédibilité », souligne Valère Pelletier. Le soutien du groupe donne un coup d’accélérateur aux projets, en facilitant notamment les contacts. De son côté, la grande entreprise ne se comporte pas en prédatrice, prête à avaler tous les petits poissons qui passent à sa portée. D’une part, pour éviter de « casser la dynamique » de la start-up, explique Valère Pelletier. D’autre part parce que tous les projets aidés ne relèvent pas de la même importance stratégique pour le groupe. Le tri est tout de même assez difficile à effectuer. Du fait de son caractère d’entreprise intégrée, la RATP couvre un large spectre des métiers liés au transport, depuis les aspects industriels de l’exploitation du matériel roulant et des infrastructures à la diversification des services aux voyageurs. Sur cette dernière thématique, l’évolution très rapide des usages rend la contribution des start-up d’autant plus nécessaire. Cette orientation vers un client devenu au fil des générations de plus en plus avide de services numériques et de mobilité connectée guide également les responsables d’Isilines. Angélique Mantel, directrice marketing chez Eurolines-Isilines France confirme cette recherche permanente d’améliorer l’expérience client. Ou même de s’adapter tout simplement à ce que les plus jeunes, qui représentent la majorité des clients d’Isilines, considèrent comme allant de soi. Par exemple, le partenariat d’Isilines avec Deezer permet aux passagers des cars de télécharger leur playlist en cours de trajet. « Pour nos clients, la réussite technologique passe inaperçue. Ce service leur paraît tout simplement normal », sourit Angélique Mantel. Isilines propose également à ses clients la géolocalisation des véhicules, ou le paiement par bitcoin. La recherche d’innovation s’articule autour de deux axes supplémentaires: les performances du véhicule, ainsi que le confort et la sécurité du conducteur (lire page 24). Les vertus de l’alliance entre grands groupes et start-up sont également célébrées dans les réflexions et échanges menés dans le cadre des Assises nationales de la mobilité. En témoigne la journée de débats organisée le 24 novembre, très fortement orientés vers l’innovation autour des thématiques de Mobility as a Service (Maas) et du développement des véhicules autonomes. L’un des objectifs des Assises est aussi de mieux connaître et de faire partager les bonnes pratiques, afin de structurer les stratégies d’innovation et de gagner en efficacité. Selon une étude du cabinet Olivier Wyman pour Mobivia, les cinq tendances de la mobilité en 2040 seront l’urbanisation, la déréglementation des services de transports, l’émergence d’acteurs de mobilité intégrée, multimodale et à la demande, la mobilité partagée et le véhicule autonome.
Comment organiser un déplacement pour un groupe compris entre 5 et 25 personnes, en étant sûr de faire le meilleur choix? Le service de Groupito concerne les transports spécialement affrétés pour un groupe de personnes, effectués par des chauffeurs professionnels: autocaristes, chauffeurs privés, VTC ou taxi. aVéritable plateforme de mise en relation, Groupito aide les particuliers à trouver la meilleure prestation, et les transporteurs à optimiser le taux d’occupation de leurs véhicules. L’intermédiaire travaille avec près de 600 opérateurs, dont 200 autocaristes. À chaque transaction, le transporteur verse 6 à 10 % du montant facturé à Groupito. Après un parcours dans le transport de voyageurs, Eric Breuil a créé sa société en 2015. « Les premiers temps ont été consacrés au développement informatique, et à la prise de contacts avec les professionnels, de manière à atteindre une taille critique », déclare l’entrepreneur, qui vient de rejoindre l’incubateur Via ID. « Sur 50 postulants, seuls quatre projets ont été retenus, relève Eric Breuil. L’accompagnement permet de prendre du recul et fonctionne aussi comme un label », déclare-t-il.
Développé par la start-up Innov+, le boîtier Toucango alerte le conducteur en temps réel en cas de somnolence au volant. Le dispositif, basé sur une caméra de reconnaissance faciale, a convaincu la société Isilines, qui a accompagné le développement du projet et l’a adopté pour l’ensemble de sa flotte. Toucango « détecte les prémices de l’endormissement, comme le changement de rythme oculaire, et envoie au conducteur une alerte sonore, visuelle ou via un bracelet vibreur », explique Stéphane Arnoux, co-fondateur et président d’Innov+, start-up à l’origine du projet. Les données basées sur un maillage de 68 points du visage sont traitées en temps réel cent fois par seconde. Les algorithmes mis au point par Innov+ permettent de déduire les anomalies de comportement et de déclencher les alertes. Après un an d’expérimentation et d’adaptations techniques, les responsables d’Isilines ont adopté la solution. « Toucango vient enrichir notre dispositif global pour la sécurité », confirme Hugo Roncal, directeur général d’Isilines. Proposé à l’achat ou en location longue durée, le dispositif se présente comme un GPS et s’adapte facilement au poste de conduite. « Le boîtier, connecté via la 3G, se branche sur l’allume cigare, le bracelet vibreur communique par bluetooth », précise Stéphane Arnoux.
Quelques mois après une levée de fonds de 1,4 million d’euros avec le Groupe RATP et Via ID, WayzUp a annoncé début novembre le rachat d’OpenCar, l’un de ses concurrents en région Auvergne-Rhône-Alpes. La start-up amorce ainsi une consolidation sur le marché du covoiturage courte distance, qui compte de nombreux acteurs. OpenCar avait lancé en 2014 une plateforme grand public de covoiturage gratuit en partenariat avec des commerces locaux, avant de se recentrer depuis 2016 sur un service de covoiturage à destination des entreprises. L’acquisition d’OpenCar permet à WayzUp de passer la barre symbolique des 100 entreprises clientes et d’afficher désormais plus de 90 000 trajets proposés tous les jours sur son application.
