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Interview croisée de Guillaume Farny, délégué général de l’ATEC ITS, et de Jean Coldefy, consultant et responsable du programme Mobilité 3.0.

« La mobilité intelligente permettra de mieux articuler public et privé »

Bus&Car Connexion. La mobilité intelligente occupe le devant de la scène médiatique. Ce foisonnement ne se traduit pourtant que faiblement dans les mobilités quotidiennes. Pourquoi?

Guillaume Farny. Ces dernières années, nous avons observé une focalisation sur l’action des start-up, d’où un foisonnement de petites entreprises dont les initiatives n’étaient pas forcément susceptibles de faire l’objet d’une mise à l’échelle. Depuis quelque temps, le focus revient sur la capacité des innovations à créer de l’emploi et à se concrétiser en solutions pérennes. La question qui se pose est celle de l’articulation de ces innovations avec les politiques publiques de transport, qui représentent déjà une grosse part du budget des collectivités.

Jean Coldefy. Le foisonnement actuel est surtout le fait d’expérimentations, qui ne sont pas encore passées dans la vie réelle, parce que les choses ne sont pas aussi simples. Les nouvelles mobilités sont très médiatisées et mobilisent beaucoup d’argent privé, notamment (investissements dans les start-up en particulier). Au sein de l’ATEC ITS, et plus particulièrement dans le cadre du programme Mobilité 3.0, nous tenons à rappeler que la mobilité intelligente est d’abord celle qui parviendra à combiner les besoins des usagers avec les contraintes des politiques publiques, à savoir la gestion de l’espace public en zone dense, et la rareté des fonds publics. La mobilité intelligente doit aider à améliorer l’offre tout en gérant la rareté de l’espace et la rareté des fonds publics.

BCC. Les collectivités locales sont-elles en mesure de soutenir et d’orchestrer ces nouveaux services?

G. F. Les collectivités locales sont confrontées à un dilemme: concilier d’une part leur rôle de régulation, d’encadrement des initiatives en matière de mobilité, et d’autre part les attentes des usagers qui souhaitent voir les fruits immédiats de ces innovations. La culture des collectivités locales doit évoluer vers davantage d’agilité, sans perdre pour autant la vision d’ensemble et de long terme. Aujourd’hui, les agents publics ont besoin d’outils pour appréhender les projets innovants. C’est la raison pour laquelle nous avons élaboré deux guides guide intitulés Transport intelligent: la commande publique au service de l’innovation, ou le Guide de l’innovation et de la commande publique.

J. C. Les collectivités doivent absolument participer et accompagner ces nouveaux services, en gardant en ligne de mire le service à l’usager, la cohérence avec les politiques publiques, et la construction de modèles économiques pérennes.

Prenons l’exemple du covoiturage dynamique: nous savons qu’il existe des réserves de capacité dans les voitures, occupées en moyenne par 1 personne en Europe et en France aux heures de pointes. Comment transformer cette potentialité en réalité? On voit bien que la réussite d’une solution de covoiturage dynamique passe par l’articulation public/privé: les modèles économiques purement privés ne décollent pas, les solutions doivent s’articuler avec le reste de l’écosystème: transports en communs, parcs relais, voies réservées, etc.

Il faut changer nos modes de fonctionnement. Les collectivités locales sont habituées à une relation contractuelle où elles financent et commandent. Plutôt que diriger, il faut travailler en partenariat. Parallèlement, les entreprises sont tout aussi peu habituées à travailler en partenariat avec le secteur public et à accepter de prendre en charge une partie des coûts et risques des développements et expérimentation.

Le comité des territoires du programme Mobilité 3.0 et les différents séminaires organisés par ATEC ITS France sont des lieux participants à cette mise en réseau et à ce changement de culture.

Par ailleurs, compte tenu des enjeux climatiques et de la rareté des fonds publics, il est indispensable de progresser sur l’évaluation de nos actions. Il faut établir des indicateurs permettant de mesurer l’utilité sociale des innovations: combien de tonnes de CO2 évitées pour un euro investi, combien d’usagers concernés pour un euro investi…

BCC. Quelles sont les conditions nécessaires au développement du véhicule autonome?

G. F. La voiture autonome est en réalité d’abord une voiture connectée, à l’infrastructure et aux autres véhicules. Faire circuler des véhicules autonomes nécessite donc de disposer des réseaux de télécommunication adaptés aux exigences liées aux échanges de données, en termes de disponibilités et de sécurité. On peut faire la comparaison avec l’avitaillement en carburant ou en bornes de charges électriques. La connexion devra être assurée partout, via la fibre et via le réseau 3G ou 4G pour les données cellulaires. Il faut une couverture permanente pour permettre le développement du véhicule autonome. Le projet Scoop@F vise à améliorer la sécurité routière en développant les échanges d’informations entre véhicules d’une part, et entre les véhicules et la route d’autre part. Le secteur des télécommunications est représenté notamment via la société Orange.

J. C. Le véhicule connecté est déjà une réalité. À partir de mai 2018, tous les véhicules produits en Europe seront équipés d’une carte SIM et d’une puce GPS. Et le marché de seconde monte se développe. Tous les constructeurs automobiles ont créé leur filiale dédiée à la mobilité. Les acteurs du transport public et ceux de l’automobile commencent à travailler ensemble. C’est le cas par exemple à Rouen, où Transdev et Renault développent une solution de transport à la demande avec des voitures autonomes pour créer une offre en bout de ligne. Ce type d’offre, en zones peu denses, se concrétisera plus rapidement que la circulation des véhicules autonomes en ville, qui nécessite une gestion beaucoup plus complexe.

Le VA a besoin d’une connexion avec l’infrastructure, et c’est pourquoi Mobilité 3.0 a élaboré une feuille de route de l’infrastructure connectée, réunissant industriels et exploitants publics de la route.

BCC. Comment garantir une place de choix aux acteurs français. S’agit-il d’une question de moyens financiers?

G. F. Si l’on doit donner de l’argent aux différents acteurs de la mobilité pour qu’ils travaillent ensemble, c’est qu’ils n’ont pas mesuré l’importance des défis à relever. Ce qui n’est plus le cas, heureusement. Ce qu’il faut, ce sont des outils de coordination pour faciliter le dialogue entre public et privé, une acculturation commune autour des enjeux de l’usage. Les acteurs du secteur privé l’ont bien compris en recherchant notamment la meilleure articulation entre grandes entreprises et start-up dans la conduite de projet. Les grandes entreprises ne sont plus systématiquement à la manœuvre, mais laissent des PME piloter les projets, et leur apportent un soutien dans le montage et l’équipement des expérimentations.

J. C. Dans cette période où l’argent public se fait rare, il est indispensable de se concentrer sur l’évaluation et le partage d’expérience. L’échec est permis, et il est utile à condition de comprendre ce qui n’a pas fonctionné pour rebondir. Nous avons proposé la mise en place d’une plate-forme nationale de mutualisation des projets, expériences, appels d’offres, évaluation.

Sur les acteurs français, la question est de savoir si nos entreprises seront dans la course à la mobilité numérique. Nous avons des atouts indéniables: technologies, ingénieurs de top niveau mondial notamment. Cependant notre faiblesse, c’est de nous reposer trop souvent sur le secteur public ou de très grandes entreprises sous le giron de l’État ou dépendant fortement de la commande publique. La France manque aussi d’un tissu de PME intermédiaires capables d’être présentes à l’exportation. Il faut les construire, c’est possible, en mettant en réseau les acteurs pour trouver des modèles économiques innovants.

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