La libéralisation des lignes interrégionales par autocar est entrée en vigueur le 7 août.
Emmanuel Macron, ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique a porté ce projet pendant neuf mois de débats. Dans un entretien exclusif accordé à Connexion, il revient sur le cheminement de cette loi.
Emmanuel Macron: La volonté de porter une réforme d’ensemble sur la croissance avait été annoncée dès le début de l’été 2014 par mon prédécesseur [Arnaud Montebourg, ndlr] et initiée par le Président de la République. Quand je suis arrivé au ministère en août, j’ai souhaité que l’on puisse revisiter l’esprit de cette loi pour avoir un périmètre plus étendu, des ambitions plus larges, et que l’on puisse, partout où c’est possible, déverrouiller des secteurs pour créer de l’activité.
Sur le thème de la mobilité, j’ai notamment travaillé sur les travaux de Francis Kramarz, un économiste de l’Insee, en 2006-2007. Il avait montré qu’on enlevait des opportunités de mobilité et des créations d’emplois en fermant le transport par autocar. C’est à la lumière de ces considérations que j’ai souhaité remettre cette réforme sur la table de travail, ce que l’on a commencé à faire à la fin du mois d’août dernier, avec les équipes d’Alain Vidalies [secrétaire d’État chargé des transports, ndlr].
E. M.: Tout au long de ce processus, qui a été à peu près la vie d’une gestation. Entre l’annonce de la réforme en octobre 2014 et sa promulgation le 7 août, je n’ai jamais douté, peut-être par naïveté, du fait qu’il y aurait une réforme d’ampleur. Je me suis battu, avec le soutien notamment du député Gilles Savary et du rapporteur de la loi Richard Ferrand, tout du long pour que l’on puisse garder un maximum d’ambitions de la réforme.
Dès le début, il y avait des sensibilités qui se sont exprimées. Il y avait des débats vifs, à l’Assemblée comme au Sénat. Certains ne s’étaient pas faits à cette idée d’ouverture, et pensaient qu’on allait menacer le rail.
E. M.: Non, parce qu’a fortiori quand le gouvernement décide d’engager sa responsabilité sur un texte, c’est la manifestation de la volonté du Premier ministre et du Président d’aller au bout. Au contraire, ça m’a conforté. Cette décision était le fruit d’incertitudes que l’on avait sur le vote. Et ces incertitudes étaient le résultat de jeux d’appareils. Je l’ai déploré. Mais il ne faut pas être bloqué par ces immobilismes, par ces conservatismes. Et si c’était à refaire, je le referais de la même façon. J’ai mené un débat sincère, complet, qui a permis le vote de tous les articles de la loi.
E. M.: Dans le modèle français, historiquement, ce qui avait conduit à fermer le transport par autocar, c’est la protection du rail. Cette idée qui consistait à dire que les modes de transport sont forcément concurrents et qu’ouvrir le transport par autocar était mauvais pour le rail. Ce qui n’est pas vrai. Nombre de pays ont ouvert le transport par autocar tout en ayant un secteur ferroviaire performant.
L’Allemagne est un bon exemple. Le réseau ferroviaire de la Deutsche Bahn est robuste, très développé, mais il y a quand même la place pour du transport collectif par autocar. Je pense qu’il faut davantage réfléchir à l’intermodalité et à la complémentarité entre les modes de transport qu’à leur concurrence.
E. M.: Nous sommes très vigilants, avec Alain Vidalies, à ce que la SNCF ne soit pas impactée négativement. D’abord, grâce à cet avis demandé au préalable aux autorités organisatrices de transport par l’Arafer [l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, ndlr] pour les liaisons par car de moins de 100 km qui pourraient être déstabilisatrices. Ensuite, l’ouverture permet à la SNCF de se développer dans le secteur. Elle s’est pleinement investie et devient un acteur majeur du transport par car avec OUiBUS. Elle a pleinement intégré le fait que l’on était dans la multimodalité. C’est un élément qui va lui redonner de la dynamique, de la complémentarité dans ses offres et une diversité tarifaire. Et ce sera un acteur très structurant également dans l’aménagement des gares routières, compte tenu de son emprise urbaine.
E. M.: Nous préparons une ordonnance pour la fin de l’année. On constate, avec les gares routières qui existent d’ores et déjà, que pour le moment, le problème n’est pas bloquant. Pour moi, le défi des gares routières, ce que je veux stabiliser dans les prochains mois, est d’assurer le meilleur abord possible dans les grands centres urbains et la meilleure intermodalité possible. C’est-à-dire, que l’on puisse garantir un accès facile à des vélos, au train, au métro, au tram, voire à l’avion. Pour moi, l’exemple type, c’est la gare routière de Munich qui réussit cette intermodalité de manière formidable.
À ce sujet, j’organise une réunion de concertation avec les fédérations de transporteurs, les transporteurs, les collectivités territoriales, la SNCF ou encore les sociétés d’autoroutes. On cherche à organiser la création coordonnée de ces gares sans destabiliser le fonctionnement des transports urbains. Nous aborderons également la question de leur partage entre différents opérateurs.
E. M.: Depuis un peu plus d’un mois de promulgation, on a 75 villes desservies, 700 emplois directs créés. On avait 110 000 voyageurs en autocar sur l’année 2014, on en est déjà à 275 000 en un mois. On a de vrais résultats tangibles, qui montrent l’appel d’air, l’aspiration qu’a créée cette ouverture.
Notre pronostic, c’est plusieurs centaines de connexions et plusieurs dizaines de milliers d’emplois créés à horizon 18-24 mois. Il y a une potentialité de création d’activité, dans le secteur des transporteurs eux-mêmes et dans les secteurs adjacents, les activités commerciales dans les gares routières par exemple.
Ensuite, je veux que l’on puisse maximiser les embauches dans le secteur des transports. Je veillerai à ce que l’on ait les formations adaptées en termes de compétences et de sécurité. On a, à côté du secteur du transport de personnes que l’on développe, le secteur du transport de marchandises qui souffre beaucoup. On a donc mis en place une cellule de reclassement, pour qu’en particulier toutes celles et ceux qui, sur tout le territoire, étaient des salariés de Mory Ducros [placé en liquidation judiciaire au mois de mars, ndlr] ou salariés d’autres transporteurs de fret et qui ont été licenciés, puissent être requalifiés de manière beaucoup plus rapide dans le transport interurbain de personnes.
Le troisième enjeu clé dans ce développement, c’est l’amont. Cela va aussi tirer la chaîne industrielle. J’étais, lundi 21 septembre, à Annonay chez Iveco, le principal site de construction d’autobus et d’autocars en France. Ils font du car interurbain de très grande qualité, le Magelys. Ils produisent des cars où il y a le wifi, les sanitaires, l’éthylotest automatique, les sièges ajustables, évidemment toutes les mesures de sécurité, c’est un double essieu, au cœur du standard européen. C’est du haut de gamme. Je souhaite que l’offre française soit au maximum privilégiée dans l’achat des transporteurs, y compris par les transporteurs étrangers opérant en France, allemands ou britanniques, ou les transporteurs publics, qui trop souvent n’ont pas acheté français.
E. M.: Une image d’ores et déjà positive. J’avais l’expérience, comme tout un chacun, des transports scolaires. Ensuite, j’avais celle, pragmatique, d’un transport collectif, l’un des moyens utiles pour se déplacer. Je pense que beaucoup de nos concitoyens confondent trop souvent le bus et le car et sont parfois restés sur leur expérience scolaire. Les cars dont nous parlons, les cars interurbains, sont d’un confort très supérieur et aux meilleurs standards des normes environnementales et de sécurité bien meilleures. Ce qui m’a le plus surpris, c’est la sophistication des modèles et la diversité de l’offre. On a des offres de services dans l’autocar qui n’existent parfois pas toujours dans le train, le wifi accessible par exemple, ou l’alimentation électrique. J’ai été très frappé par la grande qualité des investissements qui ont été faits en R&D, dans le savoir-faire embarqué.
E. M.: Je pense que ce sera beaucoup plus un espace d’usage, et beaucoup moins de propriété. Le transport collectif et interpersonnel va se développer, et la mobilité va être repensée en profondeur. Nos concitoyens vont demander beaucoup plus de flexibilité dans les horaires, une capacité à se déplacer. Le train restera extrêmement structurant pour des déplacements réguliers. Mais je vois aussi des liaisons ad hoc se développer par autocar dont les normes environnementales ne cesseront de s’améliorer. Je pense que l’on aura des transports collectifs quasi non-polluants. Une flexibilité également dans le remplissage, en fonction de la demande. Un développement immanquable du covoiturage.
Pour moi, le grand défi, c’est de penser et tracer cette mobilité interurbaine et intra-urbaine de manière beaucoup plus sophistiquée, parce qu’il faudra penser des flux complexes, et organiser l’intermodalité. Des nœuds de connexions à l’intérieur des villes, ou à leurs abords, permettront de passer d’un transport collectif à l’autre, ou du transport individuel à un transport collectif. On aura des solutions beaucoup plus individualisées et une visibilité accrue. La transparence des données sera un des grands défis. On a d’ailleurs commencé à préparer l’ouverture des données, y compris pour l’autocar, dans un second texte « Pour les nouvelles opportunités économiques ». Mettre la donnée en ligne, c’est détenir une vision panoptique, à un moment donné, de toutes les options de mobilité qui nous sont offertes: le car, le train, le covoiturage, l’Autolib’, le taxi, etc. C’est la condition pour que l’intermodalité soit efficiente.
