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La voiture autonome fait-elle vraiment envie?

Sommes-nous réellement prêts pour la voiture autonome? En dépit des messages très optimistes véhiculés par les grands acteurs de la voiture autonome, principalement Google et Uber, il semblerait que l’opinion publique ne soit pas totalement acquise. En particulier, les plus âgés et les femmes ne sont pas prêts à lâcher le volant si facilement.

Les médias grand public véhiculent l’image d’une voiture autonome (VA) sans chauffeur, dans laquelle il sera possible de lire, travailler et même dormir. À les croire, les véhicules totalement autonomes, c’est-à-dire capables de rouler dans n’importe quel contexte, existent déjà et seront très prochainement déployés dans les villes. La VA est présentée comme un ordinateur qui échange des données avec les infrastructures et les véhicules alentour(1).

En conséquence, la plupart des individus ont une image erronée de la VA. En effet, la réglementation actuelle impose que les conducteurs soient en capacité de reprendre le contrôle du véhicule en cas de problème. Ce qui remet en cause la possibilité de dormir ou d’utiliser le véhicule lorsque l’on n’a pas le permis de conduire. Par ailleurs, les VA sont aujourd’hui expérimentées dans des situations maîtrisées (autoroutes, parkings…). Elles sont loin d’être massivement déployées dans n’importe quel contexte urbain. Enfin, les VA les plus connues comme celles de Google, d’Uber, de Nissan, de Tesla, de BMW ou de Mercedez-Benz, reçoivent des données des satellites mais pas des infrastructures et véhicules environnants, qu’elles sondent le plus souvent à l’aide de caméras, de sonars à ultra son et/ou de scanners laser.

En 2016, les Français étaient 67 % à penser que la voiture totalement autonome deviendra une réalité(2). En 2018, ils sont 69 %(3). En creux, ces résultats montrent qu’un tiers des Français n’y croient pas et laissent penser que le concept n’est pas aussi ancré qu’on l’imagine. Cette hypothèse est confirmée par l’étude réalisée en 2018 par Dekra, l’un des plus grands organismes d’expertise de la sécurité automobile au monde, qui démontre que 20 % des Français n’ont jamais entendu parler de la VA et que 57 % d’entre eux ne savent pas très bien de quoi on parle(4).

La VA plébiscitée par les hommes et les jeunes

L’appétence pour la VA est plus importante dans les pays dits « traditionnels ». En moyenne, 55 % des individus se déclarent intéressés par l’utilisation d’une VA dans le monde. Les Chinois sont les plus grands adeptes, avec 91 % de personnes intéressées, suivis des Turcs (81 %) et des Brésiliens (73 %). Les moins convaincus sont les pays occidentaux. Seuls 32 % des États-Uniens sont intéressés, 36 % des Anglais, 41 % des Français et 44 % des Allemands(1).

L’ancrage de la voiture traditionnelle dans les modes de vie des habitants des pays occidentaux explique grandement cette différence. Cette interprétation est pourtant à nuancer, car ce ne sont pas les plus grands conducteurs qui montrent le plus de résistances. En France, une étude réalisée auprès de 421 hommes conducteurs français souligne que 68 % d’entre eux ont déjà accepté l’idée d’utiliser une VA(5). En revanche, 65 % des femmes et 64 % des personnes de plus de 65 ans déclarent ne pas être prêtes à monter à l’intérieur(4). L’explication est d’ordre psychologique(6). Pour les femmes et les personnes âgées, la VA génère principalement de l’anxiété. Pour les hommes et les jeunes de moins de 30 ans, elle est source de plaisir.

Des freins liés à la sécurité

En 2017, un sondage réalisé par Opinion Way se penche sur les raisons pour lesquelles une part non-négligeable des Français rejette la VA. La sécurité est largement incriminée et se traduit par les items suivants: crainte que le véhicule ne prenne pas la bonne décision (59 %), manque de contrôle sur le véhicule (46 %), peur d’avoir un accident (45 %), absence du plaisir de conduire (41 %) et peur que le véhicule soit piraté (40 %)(7).

Les notions de contrôle du véhicule et de confiance en la machine sont au centre de ces craintes. De nombreuses études montrent que les VA permettraient de diminuer les accidents routiers, la majorité d’entre eux étant provoqués par des erreurs humaines. Avec le déploiement de la VA, les accidents routiers passeraient en effet de la deuxième à la neuvième cause de mortalité aux États-Unis. Pourtant, les individus ont tendance à surévaluer leur capacité de contrôler le véhicule en cas de danger ou d’accident, trait de personnalité appelé le locus de contrôle(8). Ils sous-estiment aussi le risque d’être victime d’un accident(9). Autrement dit, le fait de conduire et de contrôler la machine soi-même augmente le sentiment de sécurité. La voiture totalement autonome génère ainsi un sentiment de perte de contrôle et donc d’insécurité, même si les statistiques attestent d’une plus grande sûreté. Le domaine émotionnel l’emporte sur le rationnel et impacte les motivations des individus.

De l’art d’interpréter les intentions d’utiliser la VA

Les intentions d’utiliser la VA, voire d’en acheter une, sont-elles réalistes alors qu’une part importante des individus ne savent pas de quoi on parle? Peut-on s’y fier alors que les VA génèrent des peurs et de l’angoisse? Quels liens existe-t-il entre des attitudes (opinions, intentions d’agir) et des comportements réels? Les travaux réalisés par des psychologues dans les années 60 mettaient déjà en exergue un lien faible entre les attitudes et les comportements: « Il est insuffisant de simplement connaître ce que les gens pensent ou croient à propos de quelque chose pour prédire leur comportement effectif dans une situation particulière »(9).

Par exemple, l’on peut sérieusement douter des pourcentages d’individus qui déclarent être prêts à acheter une VA, d’autant plus lorsque la question posée concerne l’achat d’une VA de la marque Google ou Apple. Dans le monde, 55 % des individus déclarent être prêts à acheter un véhicule de ces deux marques (90 % pour la Chine à 27 % pour les États-Unis)(2). Pourtant, ce sont bien les constructeurs automobiles traditionnels et non les acteurs du web à qui l’on accorde le plus gros crédit de confiance(3).

Par ailleurs, l’achat de véhicules neufs se fait à un âge de plus en plus avancé. Si, en France, les acheteurs de voitures neuves avaient 44 ans en moyenne dans les années 90, ils en avaient 56 en 2016. Or, ce sont les personnes les plus âgées qui ressentent le plus d’angoisses lorsqu’on leur parle de VA.

Les aides à la conduite largement adoptées

En 2008, lorsque l’on interrogeait les individus sur leur intention d’utiliser un dispositif d’aide à la conduite, les réponses étaient mitigées. Avoir recours à un tel dispositif renvoyait à une incapacité de conduire correctement le véhicule et donc au statut de mauvais conducteur. C’est pourquoi les dispositifs d’information (sur la distance avec le véhicule qui précède par exemple) étaient préférés aux dispositifs de contrôle de la vitesse du véhicule (régulateur, limiteur de vitesse en cas de distance non-respectée, etc.). Contrairement à la VA, les femmes étaient plus favorables aux aides à la conduite que les hommes(9).

À peine dix ans plus tard, les aides à la conduite sont largement utilisées et totalement acceptées. Elles sont largement intégrées aux véhicules neufs et représentent un marché mondial de 218,1 millions d’unités en 2016. En 2025, elles devraient atteindre les 1,2 milliard d’unités.

Booster les usages

Plutôt que de se fier aux intentions d’utiliser ou d’acheter les VA, des psychologues recommandent de se fier aux comportements passés des automobilistes pour prédire leurs comportements futurs. Ainsi, identifier les automobilistes qui sont passés facilement aux aides à la conduite permet de repérer ceux qui pourraient passer plus facilement à la voiture totalement autonome(10). C’est notamment le cas des automobilistes qui conduisent beaucoup.

L’acceptabilité de la VA passe aussi par une automatisation progressive des voitures, avec une sollicitation du conducteur de moins en moins importante afin de l’habituer en douceur à ne pas contrôler la machine. Cette automatisation graduée est déjà mise en œuvre, des premières aides à la conduite jusqu’à l’autonomie totale (voir l’encadré sur les cinq niveaux d’autonomie par l’Organisation internationale des constructeurs automobiles). Les raisons sont avant tout techniques et juridiques.

Enfin, puisque les voitures totalement autonomes sont insécurisantes dans la mesure où elles ôtent le contrôle du véhicule par l’individu lui-même, il est conseillé de développer les VA non en tant que véhicule personnel mais en tant que transport collectif (taxis, voitures de transport avec chauffeur, véhicules automatisés sur une ligne avec des arrêts, etc.). Le transport en commun automatisé est en effet déjà entré dans les mœurs et la VA générera moins de peurs et d’angoisses dans ce contexte. Cela permet également d’accélérer la diffusion des VA. En effet, il faudra du temps avant que le parc de voitures se renouvelle. Hubert Guillaud, journaliste chez InternetActu.net, en atteste: « Pour que le parc de VA atteigne les 1 %, cela signifie l’équivalent d’au moins 10 millions de véhicules sur 1 milliard de véhicules en circulation, sachant que le parc augmente environ de 30 millions par an. Un horizon qui n’est peut-être pas si simple à atteindre… »(11)

Sécurité: tolérance zéro

En mars 2018, le décès d’une piétonne suite à une collision avec une VA d’Uber dans la ville de Tempe près de Phoenix, interroge sur la capacité des voitures à prendre des décisions aussi pertinentes que les individus. Cet événement vient confirmer le sentiment d’insécurité ressenti par les individus lorsqu’ils ne contrôlent pas directement le véhicule. Les VA d’Uber ont été directement interdites en Arizona, témoignant d’une tolérance zéro pour les accidents. Un choix salutaire sachant que la VA n’a pas su identifier la piétonne, la confondant avec des mouvements jugés insignifiants, comme des feuilles d’arbres qui volent au vent.

Les VA ont deux challenges à relever: le premier consiste à identifier les éléments présents dans leur environnement et à évaluer le niveau de danger, le deuxième à prendre des décisions en fonction de chaque élément identifié. Les ingénieurs en charge de développer les algorithmes sont confrontés à des choix difficiles. Si la voiture doit décider entre écraser un enfant ou trois adultes, que doit-elle privilégier? Le nombre de personnes percutées? L’âge des personnes? Lorsque l’on est au volant de sa voiture et que l’on se retrouve dans une telle situation, on réagit à chaud. Lorsque l’on doit prioriser les humains en fonction de certaines caractéristiques de manière théorique, le choix est presque impossible. Une question éthique complexe traduite par le dilemme du tramway, problème établi par la philosophe Philippa Foot en 1967.

L’accident récent de la VA d’Uber interroge aussi sur la capacité des individus à reprendre le contrôle du véhicule instantanément lorsque c’est nécessaire. Contrairement à ce que l’on suppose spontanément, ce n’est pas en ne faisant rien et en se concentrant sur la route que la capacité des individus est la meilleure, mais en réalisant une activité qui requiert déjà de l’attention (lire, travailler…). Ainsi, lorsque le véhicule alerte le conducteur afin qu’il reprenne la conduite en main, ce conducteur est déjà actif cognitivement et la passation se fait plus rapidement(8). Il est donc légitime de se demander quel niveau d’attention est capable d’avoir un individu connecté à distance de la voiture, comme c’est le cas pour les expérimentations mises en œuvre dans le Michigan, le Nevada, l’Arizona et la Californie.

Les niveaux d’autonomie selon l’OICA

L’OICA (Organisation internationale des constructeurs automobiles) considère cinq niveaux d’automatisation et estime que les VA expérimentées en 2017 sont au niveau 3. Elles devraient atteindre les niveaux 4 et 5 après 2025.

NIVEAU 0: Conducteur seul, aucune aide.

NIVEAU 1: Conducteur accompagné, aides primaires (aide au freinage d’urgence, régulateur de vitesse adaptatif…).

NIVEAU 2: Conducteur assisté, aides intermédiaires (alerte franchissement de ligne, park assist…).

NIVEAU 3: Conducteur guidé, aides avancées (dépassements dynamiques).

NIVEAU 4: Conducteur passif, conduite autonome (complète à la demande).

NIVEAU 5: Conducteur passif ou absence de conducteur, conduite 100 % autonome.

Références

1 – Smith, Bryant Walker, A Legal Perspective on Three Misconceptions in Vehicle Automation, 2014.

2 – L’Observatoire Cetelem, Voiture autonome: les automobilistes prêts à lâcher le volant pour la silicon valley, 2016.

3 – L’Observatoire Cetelem, Voiture autonome: les automobilistes y croient, 2018.

4 – Dekra, La voiture autonome au cœur de l’actualité – Étude sur la perception des Français vis-à-vis de l’automobile connectée et autonome, 2017.

5 – William Payre, Julien Cestac, Patricia Delhomme, Intention to use a fully automated car: attitudes and a priori acceptability, Transportation Research: Part F, Traffic Psychology and Behaviour, 2014, pp 252-253.

6 – Christoph Hohenberger, Matthias Spörrle, Isabell M.Welpead, How and why do men and women differ in their willingness to use automated cars? The influence of emotions across different age groups, 2016.

7 – Juliette Raynal, Les Français rejettent en bloc la voiture 100 % autonome, in L’Usine Digitale, 2017.

8 – William Payre, Conduite complètement automatisée: acceptabilité, confiance et apprentissage de la reprise de contrôle manuel, Sciences de l’homme et société, université Paris 8, 2015.

9 – Régis Lefeuvre et al., Sentiment de contrôle et acceptabilité sociale a priori des aides à la conduite, Le travail humain 2008/2 (Vol. 71), pp 97-135.

10 – M.Kyriakidis, R.Happee, J.C.F.de Winter, Public opinion on automated driving: Results of an international questionnaire among 5 000 respondents, Transportation Research: Part F, Traffic Psychology and Behaviour, 2015, pp 127-140.

11 – Hubert Guillaud, Voiture autonome: il ne reste plus qu’à améliorer le facteur humain, in InternetActu.net, 2013.

Auteur

  • Julie Rieg
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