Lors de sa 2e édition, Mobily-Cités a élargi le champ des débats au-delà du véhicule autonome, pour s’intéresser à la mise en œuvre d’une offre globale et intégrée de mobilité, aujourd’hui désignée par l’acronyme de MaaS (Mobility as a Service). Né en Finlande il y a deux ans, le concept pourrait se développer en France, à la faveur de la généralisation des plateformes de mobilité.
Avant même l’adoption de la Loi d’orientation des mobilités (Lom), les acteurs de mobilité, et particulièrement les promoteurs de solutions numériques d’information, d’intégration et de paiement, se sont mis en ordre de marche. Depuis le vote du 19 novembre, le coup d’envoi est donné: avec la généralisation des autorités organisatrices de mobilité, la voie est ouverte pour la mise en place de solutions de déplacements à l’échelle des bassins de vie. Régions et métropoles, en charge de structurer l’offre de déplacements, vont devoir travailler en coopération afin de mettre en musique l’esprit de la Lom. Déjà, les nouvelles régions issues de la loi NOTRe se sont emparées de leurs nouvelles prérogatives, sur le transport scolaire et interurbain, d’une part, et sur l’intermodalité, d’autre part. Atout Mode, Modalis, OuRa, Korrigo… les offres régionales se renforcent et couvrent peu à peu l’ensemble des services publics de mobilité. Mais il reste encore à intégrer l’ensemble des solutions de déplacement, qu’elles soient publiques ou privées. Les collectivités locales, Régions en tête, auront-elles les moyens d’édicter les règles, et de les faire respecter? Pour Jean-Marc Zulesi, député des Bouches-du-Rhône et chef de file LREM sur la Lom, le MaaS à la française permettra à la fois de protéger les opérateurs de transports, et de faire émerger des alternatives à l’autosolisme en tout point du territoire.
Depuis quelques mois, les grandes métropoles ont vu fleurir en leur sein une multitude de nouveaux opérateurs de mobilités, sans aucun contrôle ni réflexion sur l’offre globale de transport. Trottinettes électriques, scooters et véhicules avec chauffeurs se sont intégrés au paysage urbain sans lien aucun avec les transports publics d’origine comme le bus, le métro ou le tramway. L’un des intérêts du MaaS, c’est justement de lier toutes ces offres. « Les autorités publiques ont besoin de reprendre la main pour assurer une mobilité sûre et durable. Le but n’est pas d’interdire les trottinettes, mais d’inciter l’ensemble des opérateurs à coopérer pour que l’autorité organisatrice puisse coordonner tous les services », résume Dorothée Coucharrière, International Public Affairs Director chez Bluesystems.
« En ville, la question principale c’est de savoir comment on gère la profusion, renchérit Yann Hervouet, CEO et co-fondateur d’Instant System. L’autre question, c’est aussi se savoir comment on va utiliser le MaaS pour optimiser et organiser l’espace public, et aider les gens à aller vers des chemins de mobilité plus vertueux. » Le startuper enchaîne ensuite sur l’intérêt du MaaS hors métropoles: « Dans les territoires peu denses, il faut gérer la pénurie de transport. La solution qui s’impose massivement aujourd’hui c’est la voiture. La question à venir, va être de savoir comment on optimise l’usage du véhicule individuel, et comment on peut l’utiliser pour proposer des trajets à ceux qui n’en n’ont pas. Le MaaS permet la recherche de solutions dans les territoires peu denses. »
Sébastien Hurtaux, directeur général France d’Ubitransport, croit lui aussi à un MaaS pragmatique dans les territoires ruraux: « Nombre de freins à l’emploi sont dus à l’absence de solutions de mobilité, explique-t-il. Sur ces territoires, on peut réfléchir à un mix entre la voiture, le transport à la demande et même le transport scolaire. Il faut regarder le MaaS avec une vision de plateforme qui permette d’avoir une information en temps réel et quotidienne sur la réalité des moyens en place. »
Klaxit est une startup française qui propose du covoiturage pour les trajets domicile-travail, ou en rabattement des réseaux de transport public. Le covoiturage peut être l’une des offres à intégrer dans les MaaS à destination rurale ou périurbaine. Une solution dont le potentiel n’est plus à démontrer, mais qui nécessite le soutien des pouvoirs publics pour se développer. Le principal enjeu, selon Julien Honnart, président de Klaxit, reste de « trouver des conducteurs »: « On travaille sur des bassins d’emploi, et des zones d’activités. Le rôle de la collectivité doit être de favoriser l’usage grâce aux subventions des réseaux de covoiturage. » et aux infrastructures annexes, comme les aires de dépose.
Si un consensus existe sur le fait que le MaaS peut aussi servir aux territoires ruraux, un débat est né sur la question de l’étendue de l’exhaustivité du MaaS. Là, il y a deux écoles.
Pour Laurent Briant, directeur de Cityway, le MaaS doit être exhaustif, intégrer l’information sur le temps et le mode de transport, permettre la réservation de tous les modes, accéder au véhicule et les payer. « L’intégration doit être la plus complète possible », insiste-t-il. Cityway a d’ailleurs intégré le paiement dans son application dédiée au transport dans la ville de Mulhouse: « L’ambition, c’est d’être exhaustif, poursuit Laurent Briant. Le parcours client doit être complètement intégré et fluide. »
Sans grande surprise, Julien Honnart ne partage pas tout à fait cet avis. Sans doute parce qu’il préfère que ses clients paient son service de covoiturage directement sur son application, il estime qu’« avoir deux apps n’est pas forcément un problème ». Le seul juge, in fine, sera bien l’utilisateur.
Au fond, l’enjeu sera toujours le même dès qu’on parle d’applications et de mobilités: tout le monde court après les données des utilisateurs sur leur mode de transport. La Loi d’orientation des mobilités va prochainement imposer aux opérateurs de faire transiter leurs données aux autorités organisatrices (AO), pour pouvoir les valoriser. « Les AO auront un point d’entrée unique, explique Jean-Marc Zulesi. Ça va leur permettre d’affiner l’offre de service. » Mais tous les opérateurs vont-ils jouer le jeu de l’intérêt général?
« La France a de sérieux atouts pour être leader du MaaS en avenir proche, prédit Kara Livingston, directrice du service client à Keolis Executive. Le MaaS, ce n’est pas une affaire de technologie, ça ne peut que valoriser l’offre qui existe déjà. La France est très en avance sur la tarification intégrée, qui permet d’utiliser plusieurs modes de transports avec un seul ticket. Et c’est essentiel comme fondation pour le MaaS. » Optimiste, Kara Livingston regrette toutefois « le développement encore faible du ticket dématérialisé en France… »
Comme l’a rappelé Isabelle Vandoorne, cheffe d’unité au sein de la dg mobilité et transport de la Commission européenne, « La Finlande se dit la mère des MaaS. Et plus globalement, en Scandinavie, on a un premier noyau de MaaS. Sur le plan réglementaire aussi, la Finlande a été précurseur. » Les offres mises en place par la startup Whim à Helsinki, en novembre 2017, restent difficilement exportables dans notre pays, notamment en raison de leur prix. Le forfait le plus complet, qui inclut des courses en taxi, coûte ainsi 500 € par mois.
Dans notre pays, où l’usage de la voiture individuelle n’est pas aussi lourdement taxé qu’en Finlande, l’offre de mobilité collective repose largement sur les pouvoirs publics: « On ne doit pas être inquiété par les Gafa, rassure Patrick Vauthier, directeur de l’innovation à RATP Dev. Ce qui les intéresse, c’est uniquement de gagner de l’argent! Pas de se développer dans les transports publics et la mobilité, où les marges restent faibles. »
Une approche laissée au seul marché conduirait à adresser uniquement les services les plus concurrentiels. Or, l’objectif des pouvoirs publics, porté par la Lom, est précisément de soutenir une offre équitablement répartie sur l’ensemble du territoire. « Dans les grandes villes, la question principale est celle de la régulation. Dans les petites, c’est celle de rendre les transports plus attractifs », résume Gautier Chatelus, directeur adjoint au département infrastructures et transport de la Banque des territoires. Pour attirer les acteurs du MaaS, la réflexion porte également sur les conditions économiques de leur intervention. « En milieu rural, s’orienter vers un système de franchise permettrait de les attirer », poursuit Gautier Chatelus.
