Le livre blanc du Think Tank Mobilité d’Issy-les-Moulineaux met l’accent sur la nécessité de frugalité: mieux utiliser les infrastructures et les moyens existants, notamment la route, avec une frontière de plus en plus floue entre transport public et transport privé. Et une grande diversité des initiatives.
Peut-on changer la manière dont nous nous déplaçons en dix ans, et surtout, comment ne pas rater le coche? C’est autour de ces interrogations que Bertrand Petit, président du réseau de veille Innocherche, a animé l’atelier de So Mobility du 8 novembre 2018, en présentant le livre blanc sur « Nouveaux usages, nouvelle mobilité, impact sur nos villes et sur nos vies ». Ce travail est le fruit des réflexions du Think Tank Mobilité d’Issy-les-Moulineaux, animé par Innocherche. Il montre que l’ensemble des pièces du puzzle se met en place pour penser la mobilité autrement, ainsi qu’en témoignent les différentes expériences observées à travers le monde, à commencer par les voitures autonomes amenées à devenir des éléments essentiels du système des transports personnels ou publics. Ces véhicules, également appelés robots-taxis, permettent de résoudre les quatre handicaps actuels de la voiture que sont le coût, la pollution, la sécurité et les embouteillages.
Le livre blanc souhaite nous faire réfléchir autour de quatre nouveaux paradigmes, notamment celui qui supprime la frontière entre transport public et transport personnel. « La voiture autonome sera de moins en moins une voiture particulière », prédisent les auteurs de cette étude en indiquant par exemple que l’usage d’un véhicule à titre personnel sera de plus en plus découragé, ne serait-ce que pour abaisser le seuil de 1,1 personne par voiture. « Il suffit d’augmenter ce taux de 15 % pour ne plus avoir de congestion », rappelle Bertrand Petit, en indiquant qu’il ne serait pas surpris que les possesseurs de voitures particulières soient de plus en plus taxés s’ils continuent d’utiliser leurs véhicules sans l’ouvrir à de l’autopartage.
Et d’imaginer un scénario de politique-fiction à tendance coercitive: « Pour préparer les jeux Olympiques de 2024, la mairie de Paris pourrait mettre en place une zone rouge, comme il en existe à Londres, et taxer les conducteurs seuls dans leur véhicule d’un euro à chaque carrefour jusqu’à ce qu’ils activent sur leur smartphone une application de covoiturage urbain. » On s’interroge quant à l’acceptabilité sociale d’une telle mesure…
En parallèle, l’émergence du free-floating montre que de nouvelles infrastructures ne sont pas forcément nécessaires pour la mise en place et le déploiement d’un système de mobilité partagé. Ainsi, Bertrand Petit regrette que la mairie de Paris ait effectué un nouvel appel d’offres pour le remplacement onéreux des Velib’ alors que se profilaient les futurs Ofo et Mobike, qui n’entraînent aucune contribution financière de la part des Parisiens. Autre paradoxe relevé, la nécessité de planifier l’urbanisme pour les 20 % les plus déshérités, et non pour les 20 % les plus riches. Autrement dit, mieux vaut des lignes de covoiturage que des Hyperloop et autres taxis volants.
Le dernier paradigme repose sur la prépondérance de la route, qui reste l’infrastructure la plus accessible et disponible en abondance. Cela renforce d’autant plus l’intérêt de la voiture autonome. Cette dernière devrait en effet augmenter la sécurité de 50 % à court terme, avec un objectif de 95 % à long terme. Sur un plan financier, le coût d’exploitation d’un taxi autonome devrait baisser de 75 % si l’on retire le chauffeur. La congestion et la pollution baisseront, puisque la voiture autonome deviendra un mode de transport collectif, qui fera disparaître à terme la notion de voiture individuelle. Ces robots-taxis ne se gareront quasiment jamais, étant toujours en activité. Un retour d’expérience mené à Issy-les-Moulineaux confirme que 30 % du trafic – et donc de la pollution – est imputable à des voitures qui cherchent une place pour se garer.
Ces changements annoncés seront-ils progressifs ou surviendront-ils de manière brutale? Bertrand Petit assure que l’impact des évolutions technologiques, environnementales et sociologiques induit à court terme une modification profonde de nos villes, qui devrait être plus profonde encore que les changements engendrés il y a exactement un siècle avec le remplacement du cheval par l’automobile. Sur ce point, l’histoire montre que nos arrière-grands-parents ont eux aussi connu leurs lots d’innovations disruptives. Il a fallu dix ans pour passer du cheval à la voiture au début du siècle dernier, relate Michèle Flasaquier, vice-présidente d’Innocherche. En 1909, la ville de Paris comptait 430 000 véhicules en circulation, une grande majorité d’entre eux étant encore à traction animale. Le crottin de cheval est alors accusé de tous les maux… Si bien que le dernier voyage de l’omnibus hippomobile s’effectue en 1913.
Notre époque n’a donc pas la primauté des transitions rapides. Dès 2014, Vinod Koshla, cofondateur de Sun Microsystem et investisseur avisé dans la Silicon Valley, prévoyait que 90 % des voitures individuelles auraient disparu dans les villes en 2024. Comme pour lui donner écho, le 14 novembre dernier, la maire de Paris, Anne Hidalgo, a fait part d’un projet visant à piétonniser les quatre premiers arrondissements, assorti de « la création d’une zone de circulation extrêmement restreinte, avec des navettes électriques autonomes ».
Dans ce même esprit, des initiatives innovantes ont été lancées partout dans le monde, comme à Helsinki avec le MaaS, avec un forfait unique proposé par la start-up Whim pour tous les trajets, quel que soit le mode de transport. L’expérience a toutefois du mal à se développer en raison des réticences des opérateurs en place. À Milan, la ville recherche depuis plusieurs années les moyens de réduire la circulation automobile et la pollution atmosphérique. Son plan de mobilité, qui vise à établir un péage urbain pour les voitures, fait aujourd’hui référence en Europe, car il s’accompagne de mesures efficaces: parkings relais très abordables à proximité des stations de métro et nombreux véhicules en free-floating.
Mais l’innovation arrive surtout de Chine, relève Innocherche. Les initiatives sont nombreuses: bus électriques se rechargeant par induction aux carrefours, TGV électriques sans caténaires, voire tramways sans rail et sans conducteur… Sur ce dernier point, Michèle Flasaquier a fait part du projet ART (pour Automated Railway Transit) développé par le géant chinois CRRC. Il s’agit d’un bus électrique autonome à l’allure de tramway capable de rouler sans infrastructure sur la chaussée, en suivant des lignes pointillées peintes sur la route. Long de 30 m, il peut transporter 300 personnes, voire 500 avec des voitures additionnelles. Une solution alternative beaucoup moins onéreuse qu’une ligne de métro, et présentée comme cinq fois moins chère qu’un tramway (19 à 25 millions d’euros du km).
Les auteurs du livre blanc plaident pour des solutions qui remettent l’homme, et non plus la voiture, au centre de nos villes. Pour cela, ils font appel à la notion de frugalité, « en utilisant ce qui existe déjà en abondance », en l’occurrence les routes, qui doivent être mieux exploitées en augmentant le ratio du nombre de passagers par véhicule. Des investissements en infrastructures communicantes de type 5G seront nécessaires pour permettre la diffusion des véhicules autonomes, avec l’accroissement des communications voiture à infrastructure (M2X) et voiture à voiture (M2M). Ces investissements seront toutefois bien moindres que ceux des autres possibilités, type Hyperloop (ou Grand Paris Express).
Une couche de MaaS devrait favoriser les déplacements sans couture. Bertrand Petit prend exemple sur le secteur des communications qui a réussi à faire tenir dans une offre à 20 € un abonnement téléphonique et un accès illimité à la 4G. Dans les transports, la mutualisation des coûts fixes proposée par le free-floating, associée aux mobilités sans chauffeur, va permettre de lisser les coûts, prédisent les analystes d’Innocherche. « Pour nos élus, il convient de favoriser l’expérimentation de façon agile sans avoir nécessairement recours à des mesures coercitives et des infrastructures supplémentaires », conclut Bertrand Petit.
