En se livrant à un exercice de prospective à 10 ans, les professionnels de la route ont ouvert la voie vers de nouvelles définitions des missions dévolues aux infrastructures dans l’offre de déplacements. Élément indispensable de l’écosystème de la mobilité, le réseau routier pourrait bien affirmer son rôle moteur dans la construction des transports de demain.
Lorsque j’ai été élu à la présidence de Routes de France, j’ai souhaité améliorer la visibilité de nos entreprises. Notre secteur a besoin de garanties sur son activité, ce qui ne se limite pas à un niveau de chiffre d’affaires et de bons carnets de commandes. Les professionnels de la route doivent également savoir où ils vont, donc avoir une idée de l’évolution de leurs métiers et de leur environnement de travail dans les quinze années à venir. C’est indispensable pour embaucher, investir dans les technologies d’avenir, anticiper les transformations.
Pour nourrir ces réflexions, une commission Prospective a été créée au sein du syndicat professionnel. « Le principe n’est pas de dessiner l’avenir tel que nous voudrions qu’il soit, mais d’examiner l’ensemble des hypothèses », précise Pierre Calvin. Comment le cadre fixé depuis 1985 par la loi MOP va-t-il évoluer? les usages vont-ils prendre le pas sur les spécificités techniques dans l’exécution des marchés? Comment la réglementation va-t-elle accompagner le développement du véhicule autonome? Comment les infrastructures vont-elles s’adapter aux nouvelles mobilités? Les réponses à toutes ces questions ne peuvent pas être données avec précision, mais ne pas se les poser relèverait de l’erreur stratégique. Ce qui est certain, c’est que toutes les évolutions à venir nécessiteront des aménagements et une modernisation de l’espace public et des infrastructures.
22 hypothèses clivantes ont ainsi été testées à l’horizon 2030, avec l’aide du cabinet Chronos. Elles ont été regroupées par familles: les modes actifs et le partage des voiries; la voiture sous toutes ses formes; le stationnement et les stations; le transport collectif et les services de mobilité; les entreprises et le travail; les services numériques de la donnée; la logistique. « Nous avons choisi délibérément de ne pas consulter le grand public, mais de nous focaliser sur les différents acteurs professionnels: entreprises de la route, collectivités locales… 36 acteurs ont été consultés: 13 collectivités locales, 5 experts, 2 acteurs des ITS, 3 représentants des usagers de la route, 5 opérateurs de mobilité, 6 institutionnels et 2 constructeurs automobiles. » Le résultat, présenté le 12 juin en présence de Marc Papinutti, directeur de la DGITM, a permis aux uns et aux autres de mieux se projeter.
Six hypothèses ont été validées par plus de 75 % des répondants: l’obligation pour les entreprises d’accompagner leurs salariés vers une mobilité durable; l’usage massifié d’assistants numériques multimodaux; la création de plateformes de données de mobilité régionales et métropolitaines; le développement de services de mobilité à la demande pris en charge par des acteurs variés; l’augmentation de la distance des trajets à vélo sur les déplacements domicile-travail; le développement de stations intermodales en périphérie des grandes villes. À l’opposé, cinq propositions figurent parmi les hypothèses les plus controversées ou incertaines: un usage intensif des services de voiture partagée; la suppression quasi-totale du stationnement sur voirie moyenne et longue durée dans les moyennes et grandes villes; la forme et l’intensité du développement du véhicule autonome, que ce soit dans les centres des grandes villes, dans les quartiers urbains denses ou sur autoroutes; le bannissement de la voiture solo dans les centres des grandes villes; le remplacement des petites lignes ferroviaires par des transports collectifs routiers. Enfin, une seule piste a été rejetée par l’ensemble des personnes interrogées: le partage absolu des espaces publics dans les grandes villes et la disparition totale des voies réservées.
En résumé, les orientations définies par ce travail sont marquées par le développement de la motorisation électrique pour atteindre une part de marché de 10 % à l’horizon 2030, avec notamment l’interdiction des livraisons en véhicules thermiques dans les centres des grandes villes, et le développement du véhicule autonome. Si ces tendances se confirment, elles nécessitent la mise à niveau des infrastructures, avec des fonctions communicantes de plus en plus fines de manière à assurer le guidage des véhicules autonomes et le filtrage des catégories de véhicules autorisés à pénétrer dans les périmètres à faibles émissions. Les conclusions de l’étude menée par Routes de France retiennent également la constitution d’un réseau de stations intermodales autour des grands centres urbains, et une gestion de plus en plus segmentée de la voirie: voies dédiées aux navettes, pistes cyclables, et gestion dynamique des flux… Le dernier point saillant est lié au big data et à l’évolution des services numériques de type MaaS.
Pour autant, cette étude n’est qu’une première étape, destinée à accompagner la stratégie sectorielle et l’application des dispositions prévues dans la Loi d’orientation des mobilités (Lom). Toutefois, en l’absence de véritable volet programmation dans la Lom, la question des financements se retrouve liée aux aléas budgétaires et politiques. Une partie de la réponse se trouvera sans doute au niveau local. La mobilité est d’ailleurs, plus que jamais, une question de proximité. Organisé en régions, Routes de France compte bien s’emparer du sujet pour sensibiliser l’ensemble des parties prenantes: entreprises, collectivités, chambres de commerce… De nouvelles formes de partenariats sont appelées à voir le jour pour répondre aux nouveaux usages et aux futures architectures des services de mobilité. « Nous avons initié des contacts au niveau national avec les associations d’élus, la FNTR, l’OTRE ou encore le Club des villes cyclables. Nous avons également lancé avec France Mobilité un cycle de formation intitulé Mobilités et territoires à l’Institut des hautes études d’aménagement des territoires », poursuit Pierre Calvin. Et pour sortir du contexte franco-français, une étude de benchmarking est en cours dans plus de 20 pays, en préparation du prochain congrès mondial de la Route, qui se tiendra à Abu Dhabi du 6 au 10 octobre.
