Plus que jamais, le transport routier de voyageurs fait face à une pénurie sévère de main-d’œuvre, particulièrement sur les postes de chauffeurs de cars scolaires. Pour la première fois, à la rentrée scolaire 2018, certains services n’ont pas pu être assurés, faute de conducteurs. La situation est à peine moins préoccupante sur les autres segments, où la pyramide des âges constitue une bombe à retardement. Aujourd’hui, plus de la moitié des conducteurs ont plus de 50 ans.
La situation a atteint un niveau de gravité inconnu jusqu’alors. À tel point que, malgré les plans d’attractivité comme le programme Tremplin pour l’emploi, les postes de conducteurs restent difficiles à pourvoir. Début avril, la FNTV Auvergne Rhône-Alpes a d’ailleurs consacré son assemblée générale annuelle à ce thème, en lui donnant ce titre: « L’autocar, des emplois au service du territoire ».
Tous les transporteurs rencontrent à peu près les mêmes problèmes de recrutement et de fidélisation, plus ou moins aigus selon les segments d’activité. Le transport scolaire est bien entendu le plus touché, avec des contrats en période scolaire (CPS) de faible volume horaire, donc peu rémunérés et peu attractifs. Les gisements traditionnels, comme les agriculteurs ou les jeunes retraités, répondent moins présents qu’auparavant, pour des raisons liées aussi bien à l’évolution des modes de vie et à l’organisation du travail. Pour les lignes interurbaines, la période de transition liée à la mise en œuvre des lois Maptam et NOTRe a généralement poussé les autorités organisatrices à renouveler certains contrats sur des durées très courtes, de façon à harmoniser l’ensemble. Mais ces contrats courts ne donnent pas aux transporteurs la visibilité suffisante pour embaucher sereinement. Cet ajustement conjoncturel vient encore compliquer les choses, alors que les conducteurs de l’interurbain sont bien souvent tentés de basculer vers l’urbain quand leur situation le permet, avec l’assurance de conditions de travail plus favorables. « Les autorités organisatrices doivent savoir que certains exploitants de l’urbain viennent même recruter dans l’interurbain », relève au passage Michel Seyt, coprésident de la FNTV AURA. Dans toutes les entreprises, chacun doit être prêt à remplacer au pied levé un chauffeur absent ou manquant. « Le manque de conducteurs pèse sur l’encadrement à un niveau jamais atteint », a souligné Jean-Baptiste Maisonneuve.
Selon les projections établies par l’Observatoire prospectif des métiers et des qualifications dans les transports et la logistique, les choses ne devraient pas s’arranger à court terme. En effet, les effectifs vieillissants du transport routier de voyageurs font peser sur le secteur une contrainte supplémentaire, liée à l’anticipation des prochains départs à la retraite.
À l’échelle nationale, le taux de relève (le nombre de salariés de moins de 30 ans pour un salarié de plus de 50 ans) est de 0,13 dans le TRV, soit le plus bas de l’ensemble de la branche. Et plus de la moitié des 82 896 conducteurs actifs dans le TRV ont plus de 50 ans. Il en ressort que les besoins de recrutement vont être importants dans les années à venir, sans forcément stabiliser la situation, puisque 38 % des personnes recherchant un emploi dans la conduite de transport en commun sur route ont plus de 50 ans, toujours selon l’OPTL.
Pour sortir de cette spirale, il faudrait parvenir à attirer des jeunes vers le métier de conducteur. Principal obstacle: il faut avoir au moins 21 ans pour devenir conducteur, ce qui écarte d’emblée les jeunes en sortie d’études. Il n’existe pas de formation au transport de voyageur assurée par l’Éducation nationale, alors que le permis poids lourd peut être passé dans un lycée professionnel. Avec la suppression de la conscription, les jeunes n’ont plus l’occasion de passer leur permis D durant le service militaire. De plus en plus souvent, les conducteurs sont formés à l’occasion d’une réorientation professionnelle, ce qui explique à la fois l’âge moyen élevé de la profession, et la désaffection qui se révèle à la pratique du métier. Les demandeurs d’emploi qui suivent la formation le font parfois davantage pour éviter de sortir des dispositifs de soutien, que par véritable choix. Et les niveaux de salaire proposés ne suffisent pas à conserver des salariés peu motivés au départ. Résultat: en Auvergne Rhône-Alpes, sur douze sessions de formation professionnelle programmées en 2018, six n’ont pu être organisées faute de candidats.
Les solutions envisagées sont à la fois diverses et partielles: abaisser l’âge limite à 18 ans, avec des conditions particulières pour les jeunes conducteurs (limitation aux véhicules de 9 places), accroissement du nombre d’apprentis, intensification des campagnes d’information et de recrutement… Quant à l’augmentation des salaires, elle ne dépend pas uniquement des transporteurs, mais avant tout des conditions économiques dans lesquelles ils exercent leurs missions. Or, ce sont les autorités organisatrices qui déterminent les prix dans les appels d’offres. « Si l’on doit augmenter les salaires, il faudrait que les autorités organisatrices nous soutiennent, a déclaré Jean-Sébastien Barrault, président de la FNTV. Nous travaillons, avec l’ensemble des partenaires sociaux, à la création d’un indice spécifique au transport interurbain de voyageurs. »
Dans les pays voisins, on retrouve sensiblement les mêmes difficultés à recruter des conducteurs. En Allemagne, par exemple, les régies urbaines et les transporteurs régionaux assurent non seulement la formation professionnelle mais aussi des cours de langue aux migrants (lire page 32). On retrouve des dispositifs similaires dans d’autres pays du nord de l’Europe, où le marché du travail est très dynamique, ce qui n’est pourtant pas le cas en France.
Président de l’Observatoire régional prospectif des métiers et des qualifications du Transport et de la Logistique (OPTL), Sébastien Giron a présenté un tableau détaillé et préoccupant de la situation, à l’occasion de l’assemblée générale de la FNTV Auvergne-Rhône-Alpes, le 4 avril dernier. Le TRV, qui comptait 12 800 salariés sur le territoire fin 2017, a vu ses effectifs augmenter de 60 % en dix ans. Et la tendance à la hausse devrait se poursuivre dans les prochaines années, avec le développement de l’offre de transports publics et celui des cars SLO, qui soutiennent une augmentation des effectifs de 1,5 à 2 % par an. Selon les projections de l’OPTL, le TRV comptera 13 500 salariés l’an prochain.
Tensions en vue
La tension sur les postes de conducteurs, déjà forte, devrait encore s’accentuer, d’autant plus que plus de la moitié des salariés du secteur sont susceptibles de partir à la retraite dans les dix ans à venir. Pour simplement maintenir les effectifs, les besoins de recrutement sont estimés à 1 500 personnes par an. « Et il faut savoir que les besoins sont quasiment équivalents dans l’urbain, ajoute Sébastien Giron.En incluant un volant de 300 personnes pour faire face au turn-over, le nombre de postes à pourvoir chaque année atteint environ 3 500 pour l’ensemble de la région Auvergne – Rhône-Alpes. » Si rien n’est fait concrètement pour renforcer l’attractivité des métiers du TRV, il y a fort à parier que la pénurie de conducteurs pourrait mener le secteur dans une impasse. Outre les mesures déjà citées, Sébastien Giron insiste sur l’implication des entreprises du TRV, et leur visibilité.« Il faut faire preuve de créativité, et continuer à communiquer sur nos métiers. Quand des transporteurs de voyageurs sont présents dans les jurys de titre professionnel, ils peuvent détecter les bons profils, et faire passer les bons messages. Enfin, il n’y a pas que les conducteurs dans le TRV. Tout dépend de la taille des entreprises, mais certains emploient aussi des selliers. N’oublions pas non plus les mécaniciens autocar, une compétence devenue introuvable, même chez les concessionnaires… »
