Les départements appellent à l’aide. Alors que leurs ressources ont diminué, ils distribuent, pour le compte de l’État, des aides sociales qui pèsent de plus en plus lourd. Certains d’entre eux en viennent à rogner sur les transports, dont ils ont la responsabilité…
Claudy Lebreton, le président socialiste de l’Association des départements de France (ADF), est probablement l’un des hommes les plus en colère de l’été. “Nous irons devant le Conseil constitutionnel!, a-t-il promis, dimanche 22 août, à Frangy, en Saône-et-Loire, si à l’automne, nous n’avons pas de réponse du gouvernement.” En clair, si la proposition de loi de “solidarité nationale”, adoptée le 31 août par le bureau de l’ADF pour financer l’action sociale des départements, n’est pas retenue par le gouvernement.
Pour Claudy Lebreton, l’Etat continue “d’étrangler” les départements. Le président de l’ADF chiffre à 5,5 milliards d’euros les arriérés de dotations de l’État pour le Revenu de solidarité active des chômeurs, l’allocation handicapée et l’Apa pour les personnes âgées, sur les 14 milliards que ces dépenses sociales représentent cette année. Côté ressources, la crise immobilière a en plus réduit les droits sur les mutations revenant aux départements. “Une trentaine de départements vont arrêter de verser les aides sociales en 2010, une vingtaine l’année prochaine”, prédit Claude Lebreton.
La situation difficile des départements ne se discute plus. Elle a été exposée fin avril dans un rapport remis à François Fillon par Pierre Jamet, directeur général des services du département du Rhône. “La dégradation des comptes des départements a été brutale à compter du second semestre 2008 et s’est accentuée en 2009”, enregistre Pierre Jamet. Il rappelle que le département est la collectivité vers laquelle, depuis très longtemps, on a sans trop s’en soucier transféré les charges les plus lourdes vu qu’il bénéficie des droits de mutation. Mais cette cagnotte immobilière s’est tarie au point de représenter moins de 10 % des recettes de fonctionnement pour la moitié des départements.
Pierre Jamet décrit une grande diversité dans la situation financière des départements: “Le développement économique des territoires, les mouvements de population, notamment à l’âge de la retraite, les effets de la crise sont très différenciés.” Il dégage néanmoins des tendances: “Certains départements ruraux, du fait de ressources limitées, ont de réelles difficultés à redéployer leurs dépenses pour faire face à leurs obligations.” Pierre Jamet insiste sur les améliorations à apporter à la gestion des aides sociales par les départements. Mais, du point de vue financier, le compte n’y est pas. Il suggère des “péréquations plus fortes entre départements riches et pauvres et des autres collectivités vers les départements.” Il souligne aussi “qu’elles ne suffiraient pas en cas d’augmentation accélérée des aides sociales.” Bref, le fondement de l’équilibre financier des départements est sans nul doute bien à revoir.
Fin juin, François Fillon, le Premier ministre a annoncé des mesures: une mission de suivi pour l’automne et des avances remboursables “qui pourront se transformer en dotations” pour les départements qui ne parviendraient pas à équilibrer leurs comptes d’ici à la fin de l’année. Parmi les 40 propositions de réformes du rapport de Pierre Jamet: le report d’application – ou la suppression – des normes nouvelles; une réflexion sur les trois aides sociales en cause et le lancement du 5e risque, celui de la dépendance, couvert par la protection sociale, a abouti à une proposition de loi, qui doit être votée avant la fin de l’année. L’instauration de ce 5e risque, soulagera les finances des départements dès l’an prochain.
Mais aux yeux de l’ADF, ces propositions “ne sont pas à la hauteur” de la crise qui a amené certains départements à poursuivre et à gagner contre l’État en justice (Saône-et-Loire, Seine-Saint-Denis) pour compensation insuffisante des charges créées ou transférées. En outre, les propositions de François Fillon ont pour cadre global le gel des concours financiers de l’État aux collectivités territoriales en 2011. Six associations d’élus (régions, départementaux, communautés urbaines, grandes villes, villes moyennes, petites villes) ont protesté d’emblée.
En attendant, les départements se sont bel et bien lancés dans des économies en 2010 et dans les budgets actuellement en préparation pour 2011. Le budget transport, qui en représente toujours moins de 10 %, n’est pas systématiquement touché. “Il ne doit pas l’être parce qu’il procure un bénéfice au citoyen très fort, tant pour l’économie que pour le social et l’environnement”, estime Yves Daniel, en charge des transports en Loire-Atlantique. Il espère bien sauver ses 62 millions d’euros en 2011 sur 1,14 milliard d’euros de budget départemental. Dans le Var, le transport a déjà écopé. De 33 millions d’euros en 2008, son budget est passé à 25 millions en 2010. Le car à vocation touristique a été abandonné, et le réseau s’est concentré sur les axes majeurs entre les grandes villes, tandis que les zones rurales sont encore étudiées de près. Le marché public à bons de commandes permet d’envisager de nouvelles économies. “Les volumes d’offre de transport ne sont pas menacés en général, souligne Éric Ritter, délégué général de la FNTV, mais les appels d’offres sont lancés dans des conditions économiques de plus en plus rudes. Elles font penser que la qualité ne pourra plus être maintenue partout, que chaque service devra être réétudié pour y faire soit de la fréquence soit de la qualité.”
Dans le cadre de son “plan de sauvetage”, la Saône-et-Loire vient de supprimer pour cette rentrée 13 lignes de transport à la demande et quatre lignes régulières insuffisamment fréquentées, remplacées par de meilleures dessertes entre le TGV, au Creusot, et Chalon-sur-Saône. Jean-Luc Fonteray, en charge des transports, annonce des économies de 750 000 euros sur un budget de 30 millions d’euros. L’Aube et les Ardennes renoncent à la gratuité de leurs transports scolaires. La première, en y instaurant une carte d’accès payante pour tous les élèves. Les secondes, en créant un tarif pour les lycéens et en lançant l’idée de transférer aux autres collectivités l’organisation des transports pour les écoles maternelles, primaires et collèges. En tout, 22 départements en France conservent la gratuité, 40 en tout font payer moins de 5 % du coût aux parents. Mais une nouvelle tendance démarre-t-elle?
