Après Transdev et Keolis, troisième volet de notre enquête avec Veolia Transport. Évincé d’Angleterre, victorieux aux États-Unis, son nouvel Eldorado, le groupe compte bien s’engouffrer en Chine.
En France, Veolia pourrait conforter ses positions en Bretagne avec le rachat des contrats de Salaün Autocars. L’alliance d’intérêt de deux globe-trotters.
À l’heure où la bataille pour le métro d’Alger fait rage entre Veolia, Keolis et RATP Développement, c’est du côté de la Chine que les espoirs de Veolia Transport sont les plus nourris. Le troisième mousquetaire français du transport (Voir Bus & Car no 789 sur Transdev, et no 791 sur Keolis) est en négociation avancée pour reprendre le réseau urbain de Chongqing (1 500 employés et un millier de bus), une métropole du centre.
Le géant des services aux collectivités locales a posé ses bagages en Chine en 1992, et ouvert un bureau transport à Pékin en 2006. Mais le groupe n’y réalise qu’un chiffre d’affaires d’environ un milliard de dollars (0,68 milliard d’euros) en tenant compte des projets en cours.Trop peu, estime Henri Proglio, Pdg de Veolia Environnement dont dépend le pôle transport. Fin octobre, depuis la capitale chinoise, il annonçait qu’il prévoyait d’y doubler les activités du groupe dans les sept prochaines années, notamment grâce à l’activité transport portée par la forte croissance et la demande de mobilité des salariés chinois.
Depuis une dizaine d’années, comme ses trois principaux concurrents, Veolia Transport se sent à l’étroit dans l’Hexagone. Le groupe y réalise aujourd’hui moins de la moitié de son chiffre d’affaires, contre 60 % à l’international. Un renversement spectaculaire lorsque l’on sait qu’en 1995, CGEA Transport (devenu Connex en 2000 puis Veolia Transport en 2006) ne réalisait que 10 % de son CA à l’export.
En 1998, au plus fort de son activité en Grande-Bretagne (trois franchises ferroviaires nées de la privatisation des chemins de fer britanniques), l’activité internationale atteignait même 70 % du CA. Depuis, la filiale de Veolia Environnement a connu une sacrée déconfiture outre-Manche.
Entre 2001 et 2003, le groupe, qui se voyait déjà en patron du rail anglais, est dépossédé coup sur coup de trois énormes contrats: Southcentral, retiré par l’autorité régulatrice du rail deux ans avant l’échéance du contrat, SouthEastern, qui devait courir jusqu’en 2006, et Transpennine qui part dans le giron de First/Keolis. Motif de la grogne: la qualité de service décriée par les usagers et les associations de consommateurs britanniques, au moment où Veolia demande des subventions à la Strategic Rail Authority (autorité régulatrice du rail). Les 58 millions de livres (80 millions d’euros) de compensations financières pour le départ anticipé de Southcentral n’ont pas suffi à enrayer la chute du CA du groupe qui a plongé de 14,7 % en 2004. “Les pertes seront de l’ordre de 20 à 30 millions d’euros”, estime Jean-Pierre Allain, dans sa chronique sur les grands groupes français de transport de voyageurs (lire “L’avis de l’expert” p. 63). Disparu du paysage des transports britanniques, Veolia est revenu discrètement en Grande-Bretagne en rachetant en 2006 l’autocariste gallois Bebb Travel. Mais dès 2001, le géant avait déjà mis le cap sur des horizons plus lointains.
Après le cauchemar britannique, le miracle américain… Alors que sa filiale anglaise encaisse les coups, Veolia Transport joue les cadors de l’autre côté de l’Atlantique. Et, ironie du sort, fait de l’ombre à Stagecoach, Arriva ou National Express, trois autocaristes britanniques.
Arrivé en 2001 à Baltimore et à Washington après le rachat de Yellow Transportation, le groupe remporte appels d’offres sur appels d’offres. Il enlève plusieurs marchés ferroviaires voyageurs: le RER de Boston (5e plus gros réseau ferré nord-américain), celui de Los Angeles en 2005, et de nombreux réseaux urbains grâce au rachat d’ATC. Ce transporteur local tombé dans l’escarcelle de Veolia en 2005 rayonnait dans 18 États américains. Avec l’acquisition, quelques mois plus tard, de Super Shuttle, l’un des leaders mondiaux de la desserte d’aéroports en transport à la demande (TAD), Veolia espère aujourd’hui importer cette spécialité en Europe et mieux vendre le TAD aux collectivités locales. Le récent rachat du Suédois People Travel Group, également spécialisé dans les navettes aéroportuaires, illustre cette stratégie.
En quinze ans à peine, la carte du monde des transports s’est ainsi colorée du rouge “veolien”. Une centaine de contrats aux USA (Las Vegas, Los Angeles, San Diego, Phoenix, Denver, Austin, Washington), des incursions en Amérique du Sud (au Chili et en Colombie avec du Bus à haut niveau de service), et une présence européenne renforcée en Europe de l’Est (Pologne, République tchèque, Serbie,…). Enfin, de généreuses offensives en Océanie (RER de Melbourne en Australie, réseau de bus en Nouvelle-Zélande et Nouvelle-Calédonie) et en Asie avec le métro de Bombay et de Séoul. La Chine devrait prochainement venir compléter ce fantastique tableau de chasse.
La synergie avec les trois autres pôles de Veolia – propreté, eau, énergie – permet sans doute aux équipes transport d’avoir les coudées franches sur la scène internationale. En France, l’achat du groupe autocariste familial Verney en 2002 a permis à Veolia d’ancrer son assise sur le transport interurbain de province. Même si, en 2006, il n’a pas réussi à mettre la main sur Planche et a dû se contenter de Rhône Nord Autocars, l’ancienne régie départementale codétenue par Planche et Connex.
En Île-de-France, le groupe occupe la première place avec près de 2 000 bus et autocars et 3 000 salariés. Il assure 40 % des lignes du réseau Optile qui regroupe les transporteurs de la région parisienne autres que la RATP.
Outre ses bastions en Île-de-France, Normandie et PACA, Veolia pourrait bientôt conforter ses positions dans l’Ouest, notamment en Bretagne si les négociations avec Salaün Autocars aboutissent (lire l’interview de Michel Salaün, p. 66). Les pourparlers datent de 2006, et l’autocariste breton a déjà cédé l’une des ses filiales, Douguet Autocars, basée sur la presqu’île de Crozon.
À l’urbain, Veolia exploite quelques réseaux phares (Bordeaux, Nancy, Rouen, Saint-Étienne), même s’il a dû plier bagage à Toulouse après le passage en régie des transports de la ville rose en 2006. Aujourd’hui, le groupe cherche à agacer les positions de son concurrent Transdev sur le terrain du tramway en happant des réseaux gérés par des sociétés d’économie mixte. Et en lançant en 2005 une délégation de service public pour son futur réseau de tramway, la communauté urbaine de Marseille, qui souhaitait introduire une dose de privé dans ses transports, a ouvert la Canebière à Veolia. L’entreprise est aux commandes de la première ligne de tram depuis juillet dernier et vient de prendre aussi celles du tram de Nice. Avec la SNCM tombée en 2006 dans ses filets, Veolia Transport conforte son bastion en région PACA et surtout, prend un peu de large par rapport aux contrats de transport public.
Ses regards se tournent en effet vers de nouveaux métiers, qui dégagent de meilleures marges et sont moins dépendants des aléas financiers et politiques. Exemples: la navigation fluviale et maritime, la gestion d’aéroports (Nîmes), le ferroviaire voyageurs et le fret. L’alliance fin 2006 avec l’armateur CMA-CGM témoigne des ambitions du groupe dans le fret maritime.
Du côté ferroviaire, Veolia Cargo exploite déjà plusieurs lignes de fret et a lancé le premier train privé de marchandises français entre la France et l’Allemagne en 2005. En Allemagne, les contrats voyageurs soufflés à Deutsche Bahn sont légion. Et en France, où Veolia Transport a atteint, comme ses concurrents, une taille limite de croissance, la voie la plus prometteuse sera celle des trains régionaux de voyageurs.Le groupe attend le coup de sifflet de l’ouverture à la concurrence en 2010.
2002 Rachats de Verney; Cabaro, Courriers Automobiles Picards (transfert des entreprises de Via Gti); Acary, Cars Rose, Compagnie Saint-Quentinoise de transports.
2003 Reprise des actifs de la Société des transports automobiles des Hautes-Vosges (STAHV).
2004 Rachat de Vernon Cars.
2005 Rachat des parts de la famille Planche dans Rhône Nord Autocars; Dupraz Bus (Genève).
2006 Rachat des Cars Gaubert.
2007 Rachats de Touriscar (Suisse); Douguet Autocars.
Bordeaux; Marseille (ligne de tramway); Lyon (tram-train Leslys); Nice; Rouen; Saint-Étienne/Saint-Chamond.
Le Havre, Aix-en-Provence; Amiens; Annonay; Bourges; Calais; Cannes; Chambéry; Dunkerque; Nancy; Toulon; Valence; Vannes; Étang de Berre (Vitrolles).
Libourne; Aix-les-Bains; Bar-le-Duc; Beauvais; Béziers; Brive-la-Gaillarde; Chaumont; Compiègne; Dieppe; Épinal; Flers; Fougères; Fréjus; Gardanne; Istres; Lunéville; Mantes-la-Jolie; Menton; Périgueux; Saint-Avold; Saint-Dié-des-Vosges; Saint-Dizier; Saint-Lô; Sarreguemines; Saint-Germain-en-Laye; Saumur; Vandœuvre-lès-Nancy; Verdun; Vernon; Vierzon; Vannes; Roanne; Vallauris; Villefranche-sur-Saône.
Arcachon; Argenteuil; Aubagne; Chatel; Ecquevilly; Langres, La Ciotat, Argenton-sur-Creuse; Bernay; Bolbec; Chinon; Fontainebleau; Gisors; Granville; Issoudun; Manosque; Montesson; Moret-sur-Loing; Nemours; Nogent-le-Rotrou; Pont-Audemer; Pontivy; Rambouillet; Remimeront; Sablé-sur-Sarthe; Saint-Brévin-les-Pins; Sarlat; Tarare; Thonon-les-Bains; Tulle; Vendôme; Verneuil-sur-Avre; Vernouillet.
Île-de-France, Transbeauce, Dieppe, Vierzon, Bourges, Bordeaux.
La Rochelle.
Sarthe, Alpes-Maritimes, Le Havre.
Nîmes
SNCM – Desserte des Îles de Frioul – Desserte de Belle-Ile-en-Mer et de l’île d’Arz.
Le Train des Mouettes (17), Le Chemin de fer de la Mure (38), Chemins de fer de Provence (06), Petit train de la Rhune (64), Vapeur du Trieux (22).
Veolia Cargo: ligne Bordeaux-Toulouse, ligne franco-allemande Meuse-Sarre, ligne Nord France-Alsace.
Compagnie Saint-Quentinoise de Transports (02); Connex Auvergne; (03); ANT (06); Rapides Côte d’Azur (06); Armand Tourisme (07); Fassetta (13); Sabardu (13); Veolia Transport Poitou-Charentes (16); Océcars (17); SEMAAAS Aunis-Saintonge (17); Socetra (18); COTA Brive (19); Compagnie Armoricaine de Transports (22); Connex Limousin (23); CFTA Périgord (24); TVS (27); Transports d’Eure-et-Loir (28); CAT - Compagnie Armoricaine de Transports (29); CFTA (29); Douguet Autocars (29); Société des Transports Départementaux du Gard (30); Cars Ariège Pyrénées (31); CAP (31); Courriers de la Garonne (31); Citram Aquitaine (33); Compagnie de Transports d’Ille-et-Vilaine et extensions (35); Transports départementaux de l’Indre (36); Compagnie des Autocars de Touraine (37); Société des Transports du Loir-et-Cher (41); Compagnie des Transports de l’Atlantique (44); Compagnie des Autocars de l’Anjou (49); Guérif (49); Société des Transports Départementaux de la Marne (51); STAO Pays-de-la-Loire (53); Les Rapides de Lorraine (54); Rapides de la Meuse (55); Compagnie de Transports du Morbihan (56); Loisel (56); Aria (56); Schon et Brullard (57); Tourisme Cabaro (60); Acary (60); Autobus Artésiens (62); Les Cars Express (62); Citram Pyrénées (64); Kunegel (67); Connex Rhodalia (69); Rhône Nord Autocars (69); Compagnie des Transports de l’Est (70); Maine Autocars (72); STAO Pays-de-la-Loire (72); Touriscar France (74); CFTI Frossard (74); CFTI Jumbo Bus (74); Veolia Transport Normandie Interurbain (76); TVF (77); Connex Gaubert (78); Courriers de Seine-et-Oise (78); Courriers Automobiles Picards (80); Transports Bordeux (80); TransVar (83); Moinet (85); Connex Vosges (88); STRAV (91); Cars Rose (95).
Allemagne (ferroviaire voyageurs et fret); Australie (Melbourne, Brisbane, Perth, Sydney); Corée du Sud (ligne 9 métro de Séoul); Irlande (tram de Dublin); Colombie (Bogota BHNS); Espagne (tram de Barcelone et Parla); États-Unis (Boston, Washington, Las Vegas, Denver, Los Angeles, Austin, Phoenix; San Diego, Columbia, Baltimore, etc.); Danemark (Copenhague); Finlande (Helsinki, Tampere); Inde (métro de Bombay); Israël (Tel-Aviv, Tibériade, tram de Jérusalem en construction); Norvège (Trondheim); Pays-Bas (Maastricht, Limbourg); Suède (Stockholm).
"Avec son rayonnement international et la diversification de ses métiers, l’avenir de Veolia Transport semble radieux. Le groupe devrait continuer à moissonner des réseaux ferroviaires voyageurs aux États-Unis où il expérimente des services de transport à la demande qu’il ne manquera pas de proposer aux autorités organisatrices francaises.
En Europe de l’Est où le groupe est le mieux implanté des trois Français, la création d’une société avec la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) au capital, est un sérieux avantage concurrentiel. Reste l’Asie: si les contrats des métros de Bombay et Séoul sont un bon début, le premier contrat chinois tarde vraiment à être décroché. Dans le domaine du fret ferroviaire, l’accord avec CMA-CGM est capital pour Veolia: par le truchement du rail, le groupe va pouvoir développer ses services aux industriels avec une stratégie européenne. C’est un objectif majeur puisque des quatre pôles de Veolia, le transport est celui qui réalise le plus faible chiffre d’affaires avec la clientèle industrielle, or les marges sont plus généreuses qu’avec les collectivités locales. Le transport maritime est le seul dont l’avenir soit incertain pour Veolia: si la tempête s’est calmée en Méditerranée, il reste d’épais bancs de brume à l’horizon".
* Auteur d’une chronique des années 2001-2006: Les grands groupes français de transport de voyageurs. Éd.: Certu. Prix: 30 euros.
En 2006, le résultat de Veolia transport était une nouvelle fois en retrait alors que l’activité progressait. Comment se présente 2007?
– Nous avons éprouvé des difficultés sur le contrat ferroviaire voyageurs du MarschBahn en Allemagne, certains contrats urbains aux États-Unis et en Europe du Nord. Nous avons renégocié avec les autorités locales et devrions rectifier le tir pour 2007.
Notre croissance a été fulgurante en dix ans: quand on se développe vite et un peu partout, on prend forcément plus de risques.
Après le cauchemar britannique de 2003, c’est le rêve américain?
– Aux États-Unis, nous avons grandi très vite en trois ans et sur trois métiers: l’urbain avec l’achat d’ATC, le transport à la demande avec Super Shuttle, et le ferroviaire, principalement à Boston où le contrat arrive à échéance en 2008. Idem à Las Vegas avec un BHNS. Nous réfléchissons à d’autres développements, mais nous allons être sélectifs dans les acquisitions. Priorité à la croissance organique et à l’amélioration des performances opérationnelles.
Le marché du school bus ne vous tente pas?
– C’est un marché important que Veolia n’a pas encore investi.
Le transport à la demande made in USA est-il importable en France?
– Nous faisons déjà du TAD en délégation de service public (Creabus, dix millions d’euros). Le modèle américain du Super Shuttle est en free market, mais on peut imaginer en France des concepts de mobilité plus larges pour accompagner le voyageur sur ses derniers kilomètres: TAD, autopartage, voiture électrique en libre-service.
Et le vélo?
– Nous y travaillons. Nous sommes en train de préparer une réponse à Melbourne en partenariat avec JCDecaux, et nous réfléchissons à une solution vélo en France.
Avec le rachat de Verney en 2002, Veolia est devenu le premier transporteur interurbain et scolaire. Quels projets nourrissez-vous sur ce secteur?
– Nous y consolidons nos positions et considérons toutes les opportunités d’acquisitions dans des zones qui nous intéressent pour mailler le territoire.
Et en urbain?
– De gros contrats arrivent à renouvellement et des trams sont en démarrage (à Nice, par exemple). Nous sommes sous-traitants de la régie marseillaise pour le tramway, mais j’aime particulièrement le modèle de la concession de Rouen. Il faut aller vers des contrats plus longs qui nous permettent d’être plus responsables et plus performants.
C’est raté pour Reims…
– Nous n’avons pas gagné le partenariat public-privé à Reim, c’est dommage, car il y en a peu en France. Il faut pousser ce type de financement des infrastructures, c’est l’une des voies pour faire plus d’investissements et apporter plus de services.
La Chine va-t-elle bientôt figurer à votre tableau de chasse?
– Veolia y est déjà implanté dans l’eau et la propreté, nous envisageons une première opération transport urbain fin 2007 (1 500 bus à Chongqing, Ndlr).
– Veolia a pris la barre de la SNCM voici un an. Où en êtes-vous aujourd’hui?
Le plan de restructuration et de réduction des effectifs ratifié par les syndicats se met en place. La liaison Marseille / Corse a été médiocre cet été, suivant la météo. Nous avons réduit la liaison Nice / Corse en NGV ce qui a profité à Corsica Ferries, mais au final, notre taux de remplissage Corse / continent est en légère progression par rapport à 2006. Vers le Maghreb, le marché est très concurrentiel avec des liaisons low cost; le fret, lui, marche bien. Nous en savons chaque jour un peu plus sur la manière de gérer la SNCM, et nous sommes confiants sur notre capacité à mettre le plan en œuvre.
Propos recueillis par N. A.
