Le vieillissement de la population accélère et les démographes envisagent une poursuite de cette tendance dans les prochaines décennies. Si 24 % des Français sont âgés de plus de 60 ans aujourd’hui, ils seront 32 % en 2060. À l’échelle planétaire, l’Organisation mondiale pour la santé (OMS) estime que les personnes de plus de 60 ans dépasseront les 2 milliards en 2050, soit 20 % de la population mondiale contre 12 % en 2015. Ces données soulignent la nécessité d’adapter dès aujourd’hui les offres de mobilité aux difficultés du grand âge. Mais de quelles difficultés parlons-nous au juste? Qui y est confronté? Et quelles sont les solutions les plus viables?
En France, et plus largement dans les sociétés occidentales, les seniors font face à de l’âgisme, un phénomène de discrimination et de rejet lié à l’âge. L’âgisme envers les seniors est le contrecoup du phénomène de jeunisme qui encense les qualités de la jeunesse. Les imaginaires sociaux concernant les catégories d’âge ont le défaut de les homogénéiser, comme si tous les seniors ou tous les jeunes avaient des caractéristiques similaires. Pourtant, les seniors vivent des situations variées: ils ont des conditions physiques et psychiques inégales, un vieillissement plus ou moins rapide et contraignant, un entourage plus ou moins riche et des capitaux économiques et culturels aussi diversifiés que dans l’ensemble de la population.
Non, être âgé de plus de 60 ans ne signifie pas que l’on est lent, que l’on ne travaille plus, que l’on a des difficultés à marcher ni que l’on est dépendant. La réalité est bien plus complexe.
À partir de 60 ans et plus particulièrement de l’âge de la retraite, les individus vivent le plus souvent deux périodes. La première renvoie à l’âge d’or de la retraite. Les individus y ont leur plein potentiel. La deuxième rend compte d’un ralentissement du rythme de la personne et de l’arrivée de nouvelles fragilités.
Pour certains mais pas tous, viennent ensuite la perte d’autonomie voire la dépendance liée à des pathologies ou à des maladies lourdes. Selon une étude réalisée par le cabinet Auxilia pour le Laboratoire de la mobilité inclusive en 2013, les habitudes de mobilité changent à partir de 75 ans. Cet âge correspond le plus souvent à la bascule de la période des premières fragilités aux périodes de perte d’autonomie ou de dépendance. Les personnes âgées de 60 à 75 ans ont en réalité des pratiques de déplacement très proches de celles qu’elles avaient auparavant, notamment parce qu’elles sont toujours en capacité de conduire leur voiture et parce qu’elles continuent de se déplacer très régulièrement.
C’est à partir de 75 ans que les mobilités changent. En effet, seules 41 % des personnes de plus de 75 ans se déplacent au quotidien. Pour un quart d’entre elles, la fréquence des déplacements se compte même en mois. Cela correspond à un âge où les difficultés physiques et psychologiques, et donc les freins à la mobilité, se font plus fréquentes. Plus les individus vieillissent, plus ils déclarent une gêne pour se déplacer: 16 % chez les 65-74 ans contre 44 % chez les plus de 75 ans! Il en va de même concernant la conduite d’une voiture: 19 % des plus de 75 ans se déclarent gênés dans la conduite contre 8 % chez les 65-74 ans, soit 2,5 fois plus.
Face aux difficultés de mobilité, le risque est fort de se retrouver isolé et ce d’autant qu’après 75 ans, la zone de territoire parcourue passe à 8 km, contre 17 auparavant.
Selon le laboratoire de la mobilité inclusive toujours, 37 % des seniors réduisent leurs déplacements en raison des coûts afférents, 36 % à cause de problèmes de santé et 30 % en raison de l’absence de moyens de transport collectif. Les difficultés de mobilité sont d’autant plus fortes chez les seniors que leur niveau de vie est bas. Lorsqu’ils gagnent plus de 1 700 € par mois, ils se déplacent tous les jours. Lorsqu’ils sont en dessous du seuil de pauvreté, ils ne sont que 40 % à sortir tous les jours.
Les aménagements inadaptés (absence d’ascenseurs, chaussées trop hautes, absence de mobiliers pour s’asseoir, pas de toilettes publiques accessibles…) et la peur liée au déplacement (de tomber, de se perdre, des autres…) ne sont donc pas les causes principales des difficultés de mobilité. Elles n’en restent pas moins réelles avec quasiment 20 % des seniors qui les citent comme étant des freins à leur mobilité.
Le lieu d’habitation est également déterminant dans la mesure où les ruraux se déplacent moins que les urbains. En ville, un tiers des seniors ne se déplace pas quotidiennement. À la campagne, ils sont 50 %. Or, 65 % des personnes âgées de plus de 60 ans habitent dans des territoires fortement dépendants à la voiture, c’est-à-dire dans des zones périurbaines ou rurales.
Évidemment, les gênes rencontrées par les personnes âgées ont une incidence sur les transports utilisés. 50 % des personnes de plus de 75 ans utilisent une voiture pour se déplacer, contre 69 % chez les 65-74 ans, soit 19 points de moins. La marche arrive juste après avec 39 % des personnes de plus de 75 ans qui la pratiquent. Enfin, les personnes de plus de 75 ans utilisent un peu les transports publics (5,1 % d’entre elles) et le vélo (2,9 % d’entre elles).
La voiture reste le mode de déplacement privilégié, que ce soit en tant que conducteur ou que passager. Rien d’étonnant. Pour les générations de plus de 60 ans particulièrement, ce mode de déplacement renvoie à des valeurs de plaisir, de liberté et d’indépendance. La psychosociologue Catherine Espinasse a montré que, pour les personnes âgées, la perte de la capacité à conduire leur voiture est vécue comme un deuil (source: Catherine Espinasse, Le Deuil de l’objet voiture chez les personnes âgées, PREDIT, 2006). C’est pourquoi, bien souvent, les personnes continuent de conduire alors même que leurs conditions physiques et psychiques les rendent dangereuses.
Il faut savoir que les personnes âgées de plus de 60 ans ne causent pas plus d’accidents que les autres. Néanmoins, les accidents dans lesquels elles sont impliquées sont plus souvent mortels. C’est pourquoi il y a actuellement un débat public concernant la mise en place de permis de conduire qui auraient une limite de validité que seul un examen médical favorable pourrait rallonger. Certains acteurs lancent des initiatives pour inciter les personnes âgées à abandonner leur voiture, comme des tarifs préférentiels pour les taxis, des forfaits spécifiques de transport en commun ou des bons de réduction. D’autres cherchent à allonger l’âge de la conduite en augmentant les capacités des véhicules. L’automatisation des véhicules, des radars de recul à l’autonomisation totale, pourrait, selon eux, donner de l’autonomie aux personnes âgées. Peut-être à l’avenir, mais il faudra lever des freins psychologiques, les seniors et les femmes étant les plus réfractaires à cette innovation (source: La voiture autonome fait-elle vraiment envie?, Julie Rieg, Bus&Car Connexion, juin 2018).
Comment expliquer que seuls 5,1 % des personnes âgées de plus de 75 ans utilisent les transports publics et que seuls 2,9 % d’entre elles font du vélo? Il est question de connaissance et d’expérience. La maîtrise des modes est une condition sine qua none. Concrètement, quelles sont les aptitudes nécessaires à cette maîtrise? Elles sont nombreuses. Tout d’abord, il faut une aptitude à utiliser le mode de manière sécurisée: garder l’équilibre sur un vélo, adapter sa trajectoire piétonne, s’asseoir ou se lever dans un bus quand il roule, etc. Ensuite, il s’agit de savoir comment accéder à ce mode, comment louer un vélo pour une location courte ou longue, comment faire une demande de trajet en covoiturage, comment réserver un transport à la demande ou encore comment payer.
La capacité à utiliser les ordinateurs, les téléphones portables et les bornes est inévitable. Or, si la fracture par l’âge tend à diminuer d’année en année, elle reste une réalité aujourd’hui. En 2018, seulement 35 % des personnes de plus de 70 ans sont équipés d’un smartphone, contre 98 % chez les 18-24 ans et 92 % chez les 25-39 ans (source: Credoc, Enquête « Aspirations et modes de vie », 2018). Pour toucher les personnes âgées, les outils de communication utilisés par les opérateurs de mobilité doivent être adaptés à leurs usages.
Pour assurer une continuité dans l’autonomie des personnes âgées à se déplacer, il est essentiel de préparer le passage de l’utilisation de la voiture personnelle à l’utilisation d’autres modes, de la voiture partagée sous toutes ses formes au vélo et à la marche, en passant par les transports collectifs. Des acteurs comme l’association Wimoov se penchent largement sur le sujet. Un peu partout en France, grâce aux 27 plateformes physiques d’accompagnement, les membres de l’association rencontrent des personnes à mobilité réduite dont des personnes âgées, identifient les difficultés et les peurs de chacun et les guident ensuite vers les solutions de mobilité les plus pertinentes. Elles les accompagnent également dans leurs premiers usages de ces modes, afin de s’assurer d’un niveau de maîtrise suffisant et donc de l’instauration d’une habitude et d’une confiance.
Au Québec, cet accompagnement est porté par l’ONG Accès transports viables (ATV) et proposé depuis 2014. Concrètement, le programme appelé Tango est gratuit pour les personnes de plus de 60 ans qui accèdent à des formations individuelles ou de groupe. L’accompagnement porte principalement sur l’usage du bus, du vélo et de l’autopartage.
Bien d’autres initiatives sont aujourd’hui portées par les collectivités territoriales, de plus en plus confrontées aux enjeux du vieillissement de la population. À ce titre, les collectivités deviennent des agrégateurs de services à l’attention des seniors et travaillent au développement de politiques publiques inclusives. Mais attention! Il ne s’agit pas uniquement de « former » les personnes âgées, comme si leur inaptitude était le problème. Il faut avant tout adapter les aménagements de l’espace public et les offres de mobilité pour éviter les conflits d’usage, sécuriser les personnes fragiles et faciliter les démarches d’inscription, de prise en main et de paiement.
L’initiative A Petits pas dans mon quartier est née de quatre psychomotriciennes qui interviennent dans 16 résidences autonomie à Lyon. Ces dernières ont constaté que les résidents ont souvent l’envie de se rendre dans les commerces et les services de proximité, mais ne le font pas car ils estiment que les distances à parcourir sont trop importantes. Dans le cadre de ce projet, un travail de cartographie des quartiers a été mené pour rendre compte des services de proximité disponibles aux alentours de la résidence, des distances et du temps pour s’y rendre. Les plans sont affichés à l’entrée des résidences. La valeur ajoutée du projet tient dans le fait que l’échelle de distance prise en compte est celle du quotidien des résidents, à savoir la distance moyenne entre leur appartement et la salle de loisirs de la résidence (120 pas et deux minutes à la résidence Chalumeaux). Ce repère concret est un vrai coup de pouce. Il permet aux résidents de gagner en confiance et de se lancer dans l’aventure. Le projet A Petits pas dans mon quartier s’est déroulé de septembre 2016 à janvier 2017 dans la résidence autonomie seniors Chalumeaux (Lyon VIIIe) et se développe désormais dans les autres résidences du territoire.
Pour la ville de Rennes et Rennes Métropole, il s’agit entre autres d’aménager les quartiers pour favoriser l’autonomie des personnes âgées, de repérer les logements des bailleurs sociaux adaptables à leurs besoins et d’identifier les Zones favorables au vieillissement, c’est-à-dire les rues et les quartiers où les personnes âgées peuvent facilement se rendre dans un commerce ou un service de proximité. Concrètement, le projet vise à encourager les personnes âgées à déménager dans des logements et des quartiers adaptés avant d’être en situation de perte d’autonomie ou de dépendance. Une décision difficile pour elles mais prometteuses pour leur avenir.
En mobilisant des covoitureurs volontaires, la ville de Saint-Quentin permet aux personnes de se rendre à des spectacles culturels et à rentrer chez elles. Mise en œuvre depuis 2017, cette initiative crée du lien social entre la personne âgée et le covoitureur, qui partagent leurs ressentis et opinions sur le spectacle qu’ils ont vus. À ce jour, le service est régulièrement utilisé par 20 personnes.
Lancé au printemps 2016 dans trois communes périurbaines de Dijon Métropole (Magny-sur-Yille, Corcelles-les-Monts et Flavignerot) avec le délégataire de transport Divia, le service DiviaPouce veut réunir des automobilistes et des personnes non motorisées dans des zones peu denses afin d’assurer un service complémentaire aux réseaux de bus et de tram. Gratuit, le service cible prioritairement les seniors, les scolaires et étudiants de plus de 15 ans et les ménages mono motorisés. Les stations de bus servent de points de rencontre et chaque abonné bénéficie d’une carte personnalisée. En sus, les covoitureurs mettent un macaron sur leur voiture et les covoiturés un brassard autour du bras, pour faciliter la reconnaissance. En juin 2017, soit un an après le lancement, une cinquantaine de personnes étaient inscrites au service. Si le projet est prometteur, les commentaires sur l’application sont plutôt mauvais à ce jour: résultats non pertinents et difficultés à l’usage sont principalement mentionnés. L’occasion de rappeler que les solutions numériques doivent fonctionner parfaitement pour que les utilisateurs continuent de les utiliser, ce qui suppose des moyens conséquents, mais aussi que les solutions de covoiturage nécessitent une base d’abonnés importante pour garantir de trouver une réponse à la majorité des besoins de déplacement. Un vrai défi dans les zones peu denses!
Pour en savoir plus, consultez le site de l’association Ville Amie des Aînés, http://www.villesamiesdesaines-rf.fr/
Mobil’aînés(r), Bordeaux
Mise en place par l’association Prendre soin du lien et soutenue par de nombreux partenaires institutionnels et privés, MOBIL’AÎNÉS(r) consiste à organiser une marche lors de laquelle tous les participants (personnes âgées dépendantes, personnes âgées en perte d’autonomie, famille et bénévoles) se déplacent avec un rolateur (déambulateur, fauteuil roulant…). L’objectif est de démocratiser les objets d’aide à la marche et ainsi d’encourager les personnes âgées dépendantes à sortir dans la rue. Les résultats sont là: en 2016, 75 binômes étaient présents avec 18 établissements d’accueil de personnes âgées dépendantes représentés. En 2017, 82 binômes et 20 établissements représentés.
Le projet Cycling without age est lancé au Danemark par Ole Kassow, un actif qui, pris d’un élan de générosité, a loué un tricycle et proposé une ballade à des résidents d’une maison de retraite. La ville de Copenhague, séduite par la démarche citoyenne, a acheté cinq tricycles et les propositions de bénévoles ont rapidement suivi. La démarche a des retombées sur la qualité de vie, le bien-être, la diminution du stress, le sommeil… et est désormais déployée dans des centaines de maisons de retraite au Danemark et en Norvège.
Au Japon, les seniors représentent plus de 25 % de la population. Des bus autonomes ont été mis en place dans la commune rurale de Nishitaka afin de relier le village avec les commerces et services les plus proches. Six personnes en profitent. Il est prévu que des bus autonomes fonctionnent dans d’autres provinces nippones, afin de désenclaver les zones rurales et de permettre aux seniors de maintenir leur autonomie le plus longtemps possible.
En Allemagne, il existe plus de 250 offres de bus citoyens. Mis en place par les municipalités et avec l’appui d’associations dès les années 1980, ces bus sont gérés et conduits par des bénévoles pour compléter l’offre de transport public. Les bus citoyens permettent aux aînés mais aussi à d’autres personnes de faire leurs courses, d’aller à la banque ou de se rendre à des rendez-vous médicaux. Les bus citoyens sont aussi utilisés aux Pays-Bas. Certains opérateurs de transport cherchent aujourd’hui à les développer en France.
