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L'Etat peut-il agir à sa guise en matière de concessions autoroutières?

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Les sociétés d'autoroutes sont mal vues de l'opinion publique: l'utilisation de l'infrastructure a un coût qu'il faut acquitter en plus de devoir payer ses impôts, quand on y est assujetti. C'est trop! Il n'en faut pas plus à un gouvernement pour songer revenir sur un contrat - y mettre fin à défaut de pouvoir le renégocier -, celui-là même qui a été conclu pour entretenir et développer cette infrastructure, en ligne avec les orientations nationales (un plan d'investissement à cinq ans, par exemple, comme ici). 

L'entretien, l'aménagement et l'évolution d'une infrastructure autoroutière ont un coût; le modèle économique de ce contrat s'inscrit dans la durée consentie par l'Etat. Un paramètre à prendre en compte.

 

 

Un rapport - commandité par l'Etat - envisage une fin anticipée des concessions au 30 avril 2026 pour ASF et Escota (Vinci) soit un raccourcissement de respectivement dix ans et cinq ans et demi, et au 30 septembre 2026 pour APRR et Area (Eiffage), soit un raccourcissement de neuf et dix ans.

Huit ans après avoir activiment oeuvré à leur passage sous un régime de concession, Bruno Le Maire, qui était alors directeur de cabinet du Premier ministre Dominique de Villepin, entend maintenant réduire la durée de ces contrats, ou, dans le cas où cela ne serait pas possible, de les surtaxer, et, saisit, malgré tout prudent, le Conseil d'Etat pour avis sur une telle solution. 

Il en sera pour ses frais, le Haut Conseil lui rappelant le droit, et, au-delà, une logique qui sous-tend le principe même de ce droit des concessions. C'est sans doute le point essentiel. Les sociétés d'autoroutes sont mal vues de l'opinion publique: l'utilisation de l'infrastructure a un coût qu'il faut acquitter en plus de devoir payer ses impôts. L'argument ne vaut que pour les contribuables bien entendu, mais l'idée d'une 'privatisation' est toujours là, tenance, lorsqu'il s'agit d'un contrat de concession, fût-il assorit d'obligations à la charge du concessionnaire. 

Pour l'entretien, l'aménagement et l'évolution de cette infrastructure, celui-ci a besoin de visibilité; il en va du respect de ses obligations. Le modèle économique du contrat qu'il a souscrit pour une durée consentie par l'Etat conditionne ses performances. Respecter le contrat n'est pas une option, ce n'est pas uniquement une nécessité juridique, c'est une nécessité pratique. D'autant qu'on ne voit pas très bien comment faire autrement. Et ce, pour plusieurs raisons.

Le respect du contrat, le point de droit.

Consulté en mars par le gouvernement, le Conseil d’Etat a répondu pour avis sur la réduction éventuelle de durée des concessions autoroutières. Non, l’Etat ne peut procéder à une telle réduction ! La réponse était attendue. Pourra-t-il, à défaut, user de l’arme fiscale, sous la forme d’une taxation ad hoc sur le chiffre d'affaires, qui figurera dans le budget 2024?

La  rentabilité des contrats de concession est plus importante que prévu. Voilà qui pourrait être un argument:  «Il est inhérent au principe même d’une convention de concession que le concessionnaire assume en totalité, ou au moins pour une part significative, les risques économiques et financiers de l’exploitation, que ceux-ci se traduisent par des évolutions qui lui sont favorables ou défavorables», rappelle le Conseil d’Etat. La recherche d'arguments en faveur du pouvoir d'achat qui a aussi été tentée - comprenez la protection des usagers en matière tarifaire- elle serait légitime, répond le Conseil d'Etat; mais elle entraînerait la neutralisation d’autres mesures de compensation. La réduction des émissions de gaz à effet de serre? C'est l'idée à la mode, dans le projet de loi de finances, mettre à l'amende tous ceux qui ne sont pas classés a priori comme vertueux. Première visée, la route. Alors les concessions autoroutières offrent un boulevard: «Le motif d’intérêt général fondé sur la mise à contribution d’exploitants d’infrastructures ayant un impact négatif sur l’environnement ne saurait justifier la neutralisation, s’agissant de l’imposition en cause, du dispositif de compensation prévu par l’article 32 des cahiers des charges», tranche le Conseil d’Etat.

Voilà Bruno Le Maire est bien avancé. On ne peut s'asseoir sur des principes  : «Le Conseil d’Etat considère que la mesure législative envisagée par le Gouvernement présente un risque important d’inconventionnalité au regard du droit au respect des biens garantis par l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.» Autrement dit, si vous taxez les sociétés concessionnaires d'autoroute (SCA) vous risquez de vous retrouver devant la CEDH (Cour européenne des Droits de l’Homme) ! D'aucuns pourraient penser que c'est un peu trop, mais dans un Etat de droit, l'Etat lui-même n'échappe pas au droit, et la CEDH est là pour le lui rappeler.

Même en matière fiscale, le "fait du Prince a des limites. Ce sont celles de l'Etat de droit. 

Faute de taxation spécifique, reste l’hypothèse d’une taxation générale, à condition de respecter le principe d’égalité devant l’impôt. Viser alors, toutes les délégations de service public, toutes les concessions qui sont, aussi, des délégations de service public ?  Pas si simple… Surtaxer de tels contrats, cela reviendrait à devoir taxer d'autres titulaires de contrats publics (le cas de la SNCF a été évoqué). Et le Conseil d’Etat prévient : on ne peut distinguer les collectivités locales concédantes de l'Etat concédant. Pas de totem d'immunité pour lui, autrement dit. En outre, il déconseille de s'essayer à une distinction périlleuse entre les concessions signées avant 2017 et les autres – autrement dit, les concessions devront toutes être taxées, ou pas. 

En guise de conclusion.

Le Conseil d'Etat estime qu'une résiliation anticipée* requerrait « une préparation sérieuse qui doit être menée avec rigueur », un « délai de préavis » et une « évaluation financière sérieuse » - toutes conditions visiblement non réunies - alors que les concessions arrivent à terme dans un délai relativement court (entre 2031 et 2036). C'est d'autant plus vrai que pour les cinq années à venir, les concessionnaires ont un important plan d'investissement à respecter. C'est l'Etat qui l'a fixé. A quoi joue-t-on? 

 

* le Conseil d'Etat pointe que des clauses de résiliation anticipées existent déjà dans les contrats. Malheureusement pour le gouvernement, elles prévoient une indemnisation des concessionnaires, qui prive la mesure de son intérêt financier.

 

 

https://lnkd.in/eysvsQyM

Auteur

  • Eric Ritter
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