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Contre vents et marées, l'Etat entend taxer les sociétés d'autoroute (et les grands aéroports français).

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Financer la transition énergétique exige des moyens que l'Etat n'a probablement pas en totalité. On est tenté de le penser, car la mesure destinée à taxer ce que le ministre de l'Economie appelle les "surprofits" réalisés par certains concessionnaires de transport, dont les sociétés d'autoroute, repose sur un argument facile - quasi démagogique. Plus fondamentalement, le projet de taxation ne tord pas seulement le bras à quels principes, l'argumentation mobilisée semble de circonstance.

Et d'abord, cette question: les « surprofits » existent-ils?

La taxe est animée des meilleures intentions - décarboner la mobilité - et elle repose sur le constat de « surprofits » que les sociétés concessionnaires d’autoroute (SCA) auraient réalisés. On voit l'idée; elle se présente comme une mesure de rééquilibrage. On l'entend de cette façon. 

Depuis plusieurs années déjà, la très forte rentabilité des SCA attise les convoitises, principalement de l’Etat qui a pourtant signé les contrats qui permettent l’exploitation et l’entretien du réseau autoroutier par les dites sociétés. Principalement celles de Vinci et Eiffage. Pas moins de deux autorités importantes, l’Autorité de régulation des transports (ART) en janvier dernier, puis l’Inspection générale des finances (IGF) en février, ont coup sur coup pointé la nécessité d’un rééquilibrage de ces dispositifs contractuels en faveur de l’Etat. Jusqu’au Sénat, qui, deux ans auparavant, s’est intéressé à la question en ouvrant une commission d’enquête parlementaire sur « le contrôle, la régulation et l’évolution des concessions autoroutières », évoquant dans ses conclusions la rentabilité « hors norme » de certains acteurs. Il n’en fallait pas plus pour inciter le gouvernement à imaginer une telle taxe.

Le contrat est la loi des parties.

Premier principe qui ne survit pas aux temps difficiles. Celui selon lequel, le contrat est bien la loi des parties. Elles y ont librement consenties. Vouloir revenir sur sa parole, est toujours gênant. D'autant que le dit contrat semblerait s'opposer à un rattrapage sur les tarifs si la taxe imaginée par l'Exécutif s'avérait trop pénalisante...

Bruno Le Maire, alors directeur de cabinet de Dominique de Villepin, Premier ministre en 2005, a été à la manoeuvre pour mettre en place une réforme - le passage aux concessions - considérée à l’époque comme une privatisation avec toute la connotation négative qui est associée à ce terme dans notre pays. Las. « Nous voulons récupérer les surprofits qui ont été faits par les sociétés d’autoroute. Nous avons bien vu que leurs profits ont été plus élevés que prévu. D’ailleurs, ajoute le ministre, j’en prends toute ma responsabilité puisque j’étais aux affaires, à ce moment-là ». Initialement, l’Etat mise sur les concessions pour se délester de 16,8 milliards de dettes détenus par les sociétés historiques du réseau. Ces concessions arriveront à échéance pour la plupart entre 2031 et 2036.

Pile je gagne, face tu perds.

« Surprofits », le terme n’est pas usuel. Il n’a pas été utilisé par l’ART, en charge de contrôler la rentabilité des SCA par exemple. Parler de surprofits poursuit un objectif de communication : mal vus, les profits le sont encore plus lorsqu’ils dépassent les bornes symboliques au-delà desquelles, ils ne sont pas seulement mal vus, mais jugés inacceptables. Trop, c'est trop. 

Plus prosaïquement l’autorité de contrôle a évoqué « un niveau supérieure aux attentes du marché, mais cohérent avec les aléas normaux d’une concession ». En clair, ce n’est pas pile je gagne, face tu perds. Le propre d’une concession est de profiter au concessionnaire, ou au concédant, lequel dispose toutefois de prérogatives particulières au nom de l’intérêt général (comme le pouvoir de modification unilatérale du contrat, mais motivée et compensée - ce que l’Etat n’a pas voulu dans le cas des concessions, le gain escompté étant largement inférieur au coût d’une telle rupture anticipée).

Le ministre n’a pas donné de détails, notamment quant au montant de cette taxe. Il renvoie naturellement au Parlement, lequel, toutefois, verra ses prérogatives rognées, comme on le sait aujourd’hui, par l’utilisation du 49-3. Le journal les Echos a toutefois évoqué une rentabilité estimée entre 500 et 600 millions d’euros par an, ce qui permettrait à l’Etat de récupérer un peu moins de 8 milliards d’euros sur 13 ans (la durée restant des concessions). Selon une analyse indépendante réalisée à la demande du Sénat, pour la période allant de 2022 à l’échéance des concessions, le montant des dividendes versés par les sociétés pourrait atteindre 40 milliards, dont 32 milliards pour les deux principaux, Vinci et Eiffage.

Selon le rapport sénatorial de 2020, les concessions autoroutières ont commencé à devenir particulièrement rentables pour les actionnaires à partir de 2020, alors que les projections faites au moment de la privatisation tablaient sur une rentabilité - déjà non négligeable - de 8% atteinte à l’orée des années 2030. Un trafic routier plus important que prévu, l’augmentation continue du tarif des péages, en particulier sur les tronçons les plus fréquentés, et plus récemment la baisse des impôts sur les sociétés, estimée à 7 milliards, sont autant d’éléments venus doper la profitabilité des concessionnaires au fil des années.

Un temps envisagé par l’Exécutif, la piste d’un écourtement des durées menaçait d’être frappée d’illégalité. « Le Conseil d’Etat nous a dit que ça n’était pas possible; On a étudie une deuxième voie, qui est de taxer les surprofits ». En ajoutant, « le Conseil d’Etat a dit que c’était possible », le ministre de l’Economie fait une interprétation très libre de l’avis rendu par le Conseil d’Etat. Puisque l’Etat ne peut agir totalement à sa guise en matière fiscale: il lui faut respecter le principe d’égalité devant l’impôt ; une taxe ne peut spécifiquement viser les SCA, mais doit être appliquée à l’ensemble des concessionnaires de l’Etat. Impossible de ne pas viser aussi les sociétés aéroportuaires, et probablement toutes les concessions de transport - jusqu'à celle de la SNCF? A voir...

 

NB: au 1er janvier 2023, l'Etat est autorité organisatrice de 11 lignes Trains d'Equilibre du Territoire (TET). Le statut d'autorité organisatrice signifie que l'Etat conventionne la desserte de ces trains essentiels, et décide des lignes, de leurs gares d'arrêt et de la fréquence de passage des trains. 

 

 

Auteur

  • La Rédaction
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