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La concurrence dans le ferroviaire: un cas régional

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Première région de gauche à avoir ouvert à la concurrence ses trains régionaux (TER), la Bourgogne-Franche-Comté a différé la mesure "pour des raisons techniques". "Je me dois de reporter d'un an l'ouverture à la concurrence", a lancé la présidente socialiste, Marie-Guite Dufay, lors des débats au conseil régional en début d’année, obtenant largement des élus un soutien en ce sens (seuls les RN et communistes s'y sont opposés).

 

Voici un an seulement, le conseil avait ouvert à la concurrence la totalité des 17 lignes de TER (1.951 km au total) de la région, dès le 1er janvier 2026, afin de respecter le droit européen imposant la mise en concurrence du trafic ferroviaire régional à partir de décembre 2023, comme c'est le cas pour les lignes TGV depuis décembre 2020. Les infrastructures et gares ne sont pas concernées par cette ouverture.

Le report de l'ouverture à la concurrence est dû à "des raisons techniques" : un retard d'au moins un an dans la mise en oeuvre d'un atelier de maintenance pour les nouveaux TER, mais aussi dans la révision nécessaire d'automoteurs.

Ailleurs en France, plusieurs régions ont déjà entamé cette ouverture à la concurrence, organisée comme pour les Intercités par la loi ferroviaire de 2018. La région Provence-Alpes-Côte-d'Azur a déjà attribué deux "lots". D'autres procédures, à des degrés divers d'avancement, sont en cours dans le Grand Est, les Hauts-de-France, les Pays de la Loire et en Ile-de-France. Et l’opérateur historique a pu remporter la mise.

 

Par étapes

En fait, c’est par étape que l’ouverture à la concurrence va être adoptée. D’ici 2032 la Région prévoit de diviser son réseau TER en quatre secteurs différents pour le confier à d'autres opérateurs. La convention prévoit plusieurs lots, ouverts à la concurrence, qui entrera en vigueur le 1er juillet 2023 jusqu'au 31 décembre 2032, date d'extrême limite à laquelle l'ensemble du réseau ferré doit être ouvert à la concurrence. Le premier de ces lots, concernant la “Bourgogne Ouest Nivernais”, a été discuté lors de la plénière du Conseil Régional de Bourgogne-Franche-Comté les 29 et 30 juin 2023. Il interviendra le 12 décembre 2026 et englobera également les offres périurbaines Dijon – Chalon – Mâcon. « Un deuxième sera ouvert en 2029 puis les deux autres en 2033", a précisé Michel Neugnot, premier vice-président en charge des transports.

Des économies à la clé

La Région assure qu'elle va ainsi économiser 30 millions d'euros par an. La concurrence poursuit cet objectif d’économie. Effective depuis l'arrivée de Trenitalia - qui sera rejoint dans quelques jours par Renfe -, la concurrence dans le ferroviaire commence à porter ses fruits sur la grande vitesse. En revanche, le processus ne se déroule pas aussi facilement au niveau régional, autrement dit pour les TER.

A l'occasion d'une étude, l’Autorité de régulation des transports (ART) a publié de premiers chiffres sur les résultats de 2022 avec des tendances positives pour les services librement organisés (SLO), mis en place principalement sur les lignes à grande vitesse et accessibles à tout opérateur demandeur. Ceux-ci ont quasiment retrouvé leur niveau de 2019 (-3%), particulièrement sur les lignes intérieures (-1%). Porté par un taux d'occupation record de 74% des TGV domestiques, ce segment a cumulé 54 milliards de passagers-kilomètre soit 6% de plus qu'avant la crise. L'international est encore un peu en retrait sur l'offre comme la fréquentation (-12 %). Mais quel que soit le segment, la progression est sensible entre 2021 et 2022.

L’ouverture à la ­concurrence des contrats régionaux de transport ferroviaire est une étape clé de la décentralisation ferroviaire, se plaît à souligner cette étude. Et pour cause, ouvrir à la concurrence un secteur qui fonctionne en monopole depuis la fin des années 1930 nécessite au niveau des régions une expertise et une volonté sans faille. Les deux. Du vocabulaire utilisé aux règles applicables, en passant par les recrutements internes, tout ce qui était mis en œuvre est potentiellement amené à être repensé pour que les régions s’emparent pleinement de leur compétence. Cette question revêt une importance toute particulière au moment où le ferroviaire revient en force au centre du débat des politiques de mobilité. Au moment aussi où, le Pass rail aidant, il n’est pas inutile de rappeler que leur compétence s’étend aussi à la tarification et à l’information multimodale.

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Polémique

Faut-il privilégier le rail?

Les régions sont évidemment porteuses de projets ferroviaires ambitieux. Elles doivent assumer des droits de péage importants, tout en héritant d’un réseau et parfois d’un parc qui ne sont pas à la hauteur des enjeux de transfert modal. Plus généralement, on l’a vu avec le Pass Rail ou les RER métropolitains - qui doit agir sur la fréquence et l’interconnexion -, l’Etat n’est pas avare d’initiatives dans le domaine ferroviaire. Une impulsion qui prend les acteurs de cours, les régions au premier chef. De mauvaises langues diront que c’est le but, et qu’occuper le terrain, de l’Elysée, permet de maîtriser l’agenda des discussions plutôt que de les subir dans un contexte où le gouvernement n’est pas assuré d’une majorité à l’Assemblée, ou alors texte par texte, et ce en début de quinquennat.

Certaines positions sont ouvertes hostiles à la route. Surtout sur le segment de la longue distance où, effectivement, le train présente des atouts. L’Association française du rail, (AFRA), plutôt elle-même, favorable à l’ouverture à la concurrence, s’est exprimée récemment à travers son président Alexandre Gallo, également président de DB Cargo France *, en soulignant ce qu’il nomme « l’incohérence » de la politique de transition écologique menée par la France. Cette politique manquerait en outre d’équité et même de pragmatisme à en croire cette association. Pourquoi? Parce que notre pays ne privilégierait pas le rail. Et le président de l’AFRA de donner un premier exemple: la niche fiscale sur le gazole non routier (GNR) qui, selon le lobbying, est édifiant. « Le ministre de l'Economie Bruno Le Maire a annoncé la fin progressive de la défiscalisation du gazole non routier pour l'agriculture et les travaux publics, mais le transport routier de marchandises, lui, conservera adroitement son exonération de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques tout au moins pour 2024 ». Or, ajoutent-ils, ce serait aussi un non sens écologique.

Mais répondent les autres, si le secteur des transports est un secteur émetteur, il faut aussi tenir compte de considérations économiques **. Ne pas sacrifier un peu trop vite un tissu économique dynamique qui, de toute façon, va entamer sa transition énergétique. En effet, et pour ne parler que des marchandises, la France a déjà perdu en trente ans le marché international, il ne faudrait pas qu’elle perde aussi le marché intérieur.

La part modale de la route, dans le transport de marchandises, reste à 89% en France contre 75% en moyenne en Europe, et celle du ferroviaire à 10% contre 18% en Europe. A quoi on peut répondre que la route offre une flexibilité que le ferroviaire n’offre pas, sans même parler des derniers kilomètres et de l’importance des plateformes logistiques. Entre les lignes, on comprend que la SNCF n’a semble t il jamais pris le sujet comme il l’aurait fallu, et que les résultats s’expliquent aussi pour cette raison toute simple. Quant à la transition énergétique du parc routier (versus le ferroviaire, à condition d’être à motorisation électrique), elle devrait peu à peu se mettre en place. Bien sûr, trop lentement. Et surtout à un coût qui exige un soutien de la part de l’Etat. Que ce soit en marchandises d’ailleurs, ou pour les voyageurs. Il faut bien avouer que de ce côté là, les premières annonces du gouvernement ne sont pas de nature à rassurer le secteur. En revanche, du côté du déploiement des infrastructures de charge, on ne peut pas aussi mal augurer de leur déploiement que le fait l’AFRA. Bien sûr, celui-ci se fait par étape. Mais l’évolution est bien enclenchée sur autoroute ou à proximité des faits générateurs de trafic, comme en région Bourgogne Franche Comté par exemple, à proximité d’un corridor clé, au point qu’un maillage en infra se dessinent peu à peu, et à partir de là, sous nos yeux.

*Filiale française du leader européen dans le transport ferroviaire de marchandises DB, l’entreprise a été fondée en janvier 2005.

**La France occupe déjà la 4 e place au niveau européen des pays les plus taxés, et sans la mesure gouvernementale de remboursement partiel, elle se serait à la très peu enviable 1ère place.

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Rappel du cadre juridique

A partir du 25 décembre 2023, les régions auront l’obligation d’organiser une procédure de mise en concurrence pour toute nouvelle attribution d’un ­contrat portant exploitation d’un service ­conventionné de transport ferroviaire de voyageurs.

Le calendrier de libéralisation du secteur prévoit une mise en ­concurrence progressive. Depuis le 3 décembre 2019 et jusqu’au 24 décembre 2023, les autorités organisatrices de transport (AOT) ont la possibilité d’attribuer les ­contrats de service public sans publicité ni mise en ­concurrence à SNCF ­Voyageurs pour une durée maximale de dix ans. Les AOT peuvent également, si elles le souhaitent, organiser, depuis cette première date, des appels d’offres. Mais, à compter du 25 décembre 2023, la mise en concurrence sera la règle. Les AOT devront donc organiser une procédure de publicité et de mise en ­concurrence pour toute nouvelle ­convention, sauf dérogations prévues par le règlement « OSP » (obligations de service public). Ou alors elles peuvent procéder à une attribution directe

Cas particulier: Ile-de-­France Mobilités (IDFM) dispose, quant à elle, d’un calendrier ­particulier en raison de la complexité et de la densité de son réseau.

 

Au 1er  janvier 2023, quelles stratégies régionales ?

On ­constate que les régions ont adopté des politiques d’ouverture à la ­concurrence assez contrastées, qui peuvent s’expliquer, notamment, par une réalité d’exploitation propre à chaque territoire, une ­contrainte budgétaire croissante, mais également par une relation ­contractuelle plus ou moins équilibrée avec l’opérateur historique.

A fin 2022, sur les douze régions concernées par le calendrier progressif d’ouverture à la ­concurrence :

  • seules deux régions n’ont pas encore prévu la possibilité d’ouvrir leur réseau à la ­concurrence : ­Occitanie et ­Bretagne. Les ­conventions TER prévoient une prolongation de l’offre sans mise en ­concurrence jusqu’en 2025 et 2028 ;
  • la région ­Centre – Val de ­Loire prévoit une ouverture progressive possible durant les deux dernières années de la ­convention 2022-2031 ;
  • deux régions, Nouvelle ­Aquitaine et ­Normandie, prévoient une ouverture anticipée de leur réseau à échéances respectives de 2024 et 2029, en intégrant la possibilité de tickets détachables de certaines lignes (3). Aucune activation n’est prévue à ce jour ;
  • six autorités organisatrices se sont lancées dans l’ouverture à la mise en ­concurrence des services conventionnés (Paca, Hauts-de-­France, Pays de la Loire, Grand Est, ­Auvergne – Rhône-Alpes et Ile-de-France Mobilités) ;
  • Bourgogne – Franche-Comté, qui avait initialement prévu une ouverture totale à la ­concurrence pour l’ensemble de son réseau au 1er janvier 2026, y a renoncé en décembre 2022.

Quels enjeux pour préparer la mise en concurrence ?

Le sort du personnel

L’ouverture à la ­concurrence impliquera le transfert du personnel affecté au service de transport ferroviaire de voyageurs de l’exploi­tant historique vers celui nouvellement désigné. La loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire « NPF », a fixé le cadre de ce transfert.

Cependant, la mise en œuvre pratique de ces transferts de personnel impliquera du doigté de la part du nouvel exploitant afin d’éviter les mouvements sociaux qu’IDFM a pu connaître en 2021, lors de l’ouverture des lignes de bus à la ­concurrence. Un sujet qui continue à hanter les esprits un an avant les JO de 2024. Et les régions ne pourront pas complètement rester à l’écart de ces sujets, comme toujours. Ainsi, tirant les leçons de ces grèves, IDFM a mis en place un cahier des exigences sociales que les opérateurs de bus s’engagent à respecter. Ce sujet est suivi de près par l’UTP.

Le sort des biens nécessaires au service public ferroviaire

Une ouverture effective à la ­concurrence suppose que les opérateurs puissent avoir accès aux biens nécessaires au service public tels que le matériel roulant et les ateliers de maintenance. A ce titre, l’article 21 de la loi NPF prévoit, en substance, que les matériels roulants utilisés pour la poursuite des missions, ainsi que les ateliers de maintenance majoritairement utilisés pour l’­exécution de ces services faisant l’­objet d’un tel contrat, en ce compris les terrains y afférents, fassent l’objet d’un transfert à la collectivité ­concernée, à sa demande et dans un délai qu’elle fixe. Ce transfert se fait moyennant le versement d’une indemnité égale à la valeur nette comptable, nette de toutes subventions et à la valeur vénale, nette de toute subvention, pour les terrains afférents aux ateliers de maintenance.

Mais, si la loi « NPF » a prévu les grands principes et les flux financiers, une multitude de sujets émergent en pratique : qui prend en charge les frais d’études ? Comment gérer les interactions entre les différentes filiales de la SNCF ? Comment gérer les opérations de maintenance ?

La transmission des données

Les données ­constituent un enjeu majeur pour que les régions puissent définir clairement leur stratégie d’ouverture à la ­concurrence du secteur ferroviaire.

Et, au-delà, l’accès à l’information permet aux opérateurs ferroviaires, ­concurrents de l’opérateur historique, de ­construire des offres ­compétitives en s’appuyant sur des données d’exploitation financières (le détail des charges et des recettes d’exploitation passées et prévisionnelles, les données de fréquentation de l’opérateur…) ou techniques (l’état des lignes ferroviaires, les caractéristiques des différents types de matériel roulant ou l’historique des opérations de maintenance) ­consolidées.

L’article 2121-9 du code des transports, issu de la loi « NPF », a amélioré l’accès aux données pour les autorités organisatrices. Il oblige l’entreprise ferroviaire à transmettre à l’autorité organisatrice toute information relative à l’organisation ou à l’­exécution du ­contrat de service public, sans que puisse y faire obstacle le « secret des affaires ». Notion curieuse dans un secteur où le public domine.

Si le champ d’application de cette obligation paraît assez contraignant pour l’opérateur ferroviaire sortant, on ­constate, en pratique, le maintien d’une « certaine inertie » dans la transmission des données. Celle-ci est évidemment préjudiciable à l’ouverture de la mise en ­concurrence; elle peut aussi fragiliser ses procédures.

Afin de réduire l’asymétrie d’information, qui demeure, les autorités organisatrices devraient être encouragées à mettre en place des outils de « reporting » ­conventionnels améliorés et à mobiliser des moyens suffisants au sein de leurs services pour traiter les données.

 

 

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  • La Rédaction
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