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Péages ferroviaires: une hausse trop élevée, oui, mais est-elle insoutenable?

Le Journal de l'économie

Crédit photo La Journal de l'économie

Le sujet n’est pas médiatique. Mais pas moins de huit régions ont engagé un recours auprès du Conseil d’Etat afin de contester les tarifs des péages appliqués par SNCF Réseau pour la période 2024-26. Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté, Centre-Val de Loire, Hauts-de-France, Île-de-France, Occitanie, Nouvelle-Aquitaine et aussi le Grand Est. La Région Sud-Provence Alpes Côte d’Azur a décidé de contester en justice le DRR, sans aller au-delà. Elles jugent «insoutenable» le niveau d’augmentation des péages (8% par an en moyenne) établi par l’établissement public gestionnaire du réseau (voir le document de référence du réseau ferré national (DRR) rendu public en novembre 2022).

Pourquoi?

Les régions lui reprochent aussi un manque de transparence sur le calcul de ces augmentations. Sans doute la critique la plus sévère, car elle touche à la confiance que ces collectivités locales accordent via cet établissement, à l’Etat lui-même. Un dossier de plus qui atterrira sur le bureau du futur ministre des transports, quel qu’en soit le rang protocolaire.

Les régions ont pu exposer les motifs de leur démarche lors d’une audience qui s’est tenue le 10 janvier dernier. Le Haut Conseil rendra sa décision d’ici plusieurs semaines, alors que le dossier des services express régionaux métropolitains (SERM) attendra encore une réponse de financement. Ambiance. « Les péages ferroviaires sont en France deux à trois fois plus élevés que dans certains pays voisins. La crainte, c’est aussi de voir des trains régionaux en moins grand nombre, alors que même les pouvoirs publics veulent développer des RER métropolitains » comme le souligne à juste titre, le sénateur LR Philippe Tabarot, rapporteur de la loi SERM, alors que le député Renaissance Jean-Marc Zulesi, qui a présenté la proposition de loi, ne s’est pas encore exprimé.

Le montant de la facture

A titre d’illustration on peut citer la Région Nouvelle-Aquitaine qui s'est associée aux sept autres régions. «L’horaire de service pour 2024 (lequel) prévoit une augmentation de 5,3% pour la redevance d’utilisation de l’infrastructure ferroviaire, soit 11 M€ de plus», indique Renaud Lagrave, vice-président aux Transports.

« Les augmentations imposées par SNCF Réseau pour les années 2024, 2025 et 2026 pourraient coûter plusieurs millions d'euros à la région Nouvelle-Aquitaine. Car à chaque fois qu’elle fait rouler un TER, la région paye au gestionnaire d’infrastructure une redevance qui se calcule en train/kilomètre. Et la hausse des péages est sévère : en 2022, la Nouvelle-Aquitaine a payé 65 millions d'euros ; en 2023, elle devait débourser 69 millions d'euros ; et SNCF Réseau prévient qu’en 2024, ce sera 82 millions d'euros !Cette hausse des péages ferroviaires va se poursuivre en 2025 avec une augmentation de 4,3% et en 2026 avec 3% ».

Le problème n’est pas nouveau, sauf que là, trop c’est trop. Cela fait en effet des années que les élus régionaux critiques l’évolution des péages, sans apparemment être entendus. « Nous avions adopté un avis négatif en séance plénière début 2023 à ce sujet, et nous avions alors indiqué notre intention de porter l’affaire devant le Conseil d’Etat, poursuit Renaud Lagrave. Nous ne pouvons pas continuer à augmenter l’offre ferroviaire dans ces conditions.»

De son côté, l’Autorité de Régulation des Transports a indiqué que «la soutenabilité des redevances ne pourrait être assurée tant que n’auront pas été réalisés des travaux approfondis sur la structure tarifaire, fondés sur une analyse suffisamment fine du marché aval». Qu’en termes choisis ces choses-là sont dites… Cela revient à envisager de solliciter les régions qui, contrairement aux autorités organisatrices urbaines, ne disposent pas de versement mobilité, alors même que leurs missions pour le développement des mobilités périurbaines et l’intermodalité sont à présent identifiées très clairement par la loi SERM - l’annonce d’un futur « plan national des cars express » venant ajouter un volet routier au volet ferroviaire de ces « RER en régions », selon l’expression de Jean-Caude Degand, porte parole d’Objectif RER métropolitains.

L’avis de l’Autorité de Régulation des Transports qui revient sur les raisons de l’augmentation des péages mérite qu’on s’y arrête. Elles se trouvent dans le contrat de performance conclue par SNCF Réseau et l’Etat. Celui-ci vise une amélioration de la couverture du coût complet, lequel doit passer de 75 % en 2021 à 86 % en 2030. Un objectif qui doit permettre à SNCF Réseau de sortir du rouge (-1,36 Md€ en 2021) et de disposer d’une trésorerie de 70 M€ dès 2024, avant d’atteindre 1,39 Md€ en 2030. Ce retour à l’équilibre repose logiquement sur les régions, comme le souligne d’ailleurs l’avis de l’ART: «s’agissant des services conventionnés de transport ferroviaire de voyageurs, qui représentent les deux tiers des trains-kilomètres circulés sur le réseau ferré national, les autorités organisatrices de transport financent un peu plus du tiers des redevances applicables à ces services».

Le recours engagé par les régions trouve son fondement dans une refonte des bases de calcul de ces redevances d’utilisation qui a pour objet d’augmenter la part forfaitaire de ces redevances et d’en réduire la part variable (part de la redevance fixée au sillon/km).

Les requérantes considèrent que ces nouvelles modalités de calcul viennent augmenter considérablement le montant des redevances. Au-delà de l’inquiétude légitime formulée par les régions requérantes (il en manque quelqu’unes à l’appel), ce recours pose une redoutable question de régulation. Aux termes de l’article L 2111-25 du code des transports, le calcul des redevances d’infrastructures doit tenir compte de leur « soutenabilité pour les redevables », soit l’exploitant ou, in fine, l’usager, lequel prend en charge une part limitée de ces coûts. Comment, dans un tel cas de figure, considérer la soutenabilité d’une redevance ?

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Rappel du cadre juridique

a)La directive n° 2012/34/UE du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 établissant un espace ferroviaire unique européen définit le cadre de tarification de l'infrastructure ferroviaire par des redevances, selon des principes énoncés à son article 31. Le paragraphe 3 de cet article prévoit ainsi que : " les redevances perçues pour l'ensemble des prestations minimales et pour l'accès à l'infrastructure reliant les installations de service sont égales au coût directement imputable à l'exploitation du service ferroviaire. ". Par exception à ce principe le 1. de l'article 32 dispose : " Un État membre peut, afin de procéder au recouvrement total des coûts encourus par le gestionnaire de l'infrastructure et si le marché s'y prête, percevoir des majorations sur la base de principes efficaces, transparents et non discriminatoires, tout en garantissant une compétitivité optimale des segments du marché ferroviaire. Le système de tarification respecte les gains de productivité réalisés par les entreprises ferroviaires. ".

b) Selon l'article L. 2111-9 du code des transports : " La société SNCF Réseau a pour mission d'assurer (...): 1° L'accès à l'infrastructure ferroviaire du réseau ferré national, comprenant la répartition des capacités et la tarification de cette infrastructure ; (...) ". L'article L. 2133-5 du même code dispose : " I.- L'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières émet un avis conforme sur la fixation des redevances d'infrastructure liées à l'utilisation du réseau ferré national tenant compte : / 1° Des principes et des règles de tarification applicables sur ce réseau, prévus notamment, dans le cas de SNCF Réseau, à l'article L. 2111-25 ; / 2° De la soutenabilité de l'évolution de la tarification pour le marché du transport ferroviaire, et en considération de la position concurrentielle du transport ferroviaire sur le marché des transports ; / 3° Des dispositions du contrat, mentionné à l'article L. 2111-10, conclu entre l'Etat et SNCF Réseau (...) ".

c)Aux termes du premier alinéa de l'article L. 2111-25 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire, applicable au présent litige, le calcul des redevances d'infrastructure " tient notamment compte du coût de l'infrastructure, de la situation du marché des transports et des caractéristiques de l'offre et de la demande, des impératifs de l'utilisation optimale du réseau ferré national et de l'harmonisation des conditions de la concurrence intermodale ; il tient également compte de la nécessité de tenir les engagements de desserte par des trains à grande vitesse pris par l'État dans le cadre de la construction des lignes à grande vitesse et de permettre le maintien ou le développement de dessertes ferroviaires pertinentes en matière d'aménagement du territoire ; enfin, il tient compte, lorsque le marché s'y prête, et sur le segment de marché considéré, de la soutenabilité des redevances et de la valeur économique, pour l'attributaire de la capacité d'infrastructure, de l'utilisation du réseau ferré national et respecte les gains de productivité réalisés par les entreprises ferroviaires. Tant que le coût complet du réseau n'est pas couvert par l'ensemble de ses ressources, SNCF Réseau conserve le bénéfice des gains de productivité qu'il réalise. Les principes et montants des redevances peuvent être fixés de façon pluriannuelle, sur une période ne pouvant excéder cinq ans. (...) ". Le troisième alinéa de cet article précise que, pour les services de transport ferroviaire faisant l'objet d'un contrat de service public, dits " services conventionnés ", " la soutenabilité des redevances est évaluée selon des modalités permettant de prendre en compte les spécificités de tels services, en particulier l'existence d'une contribution financière des autorités organisatrices à leur exploitation, en vue d'assurer, le cas échéant, que les majorations sont définies sur la base de principes efficaces, transparents et non discriminatoires ".

d)En application de l'article 31 du décret du 7 mars 2003 relatif à l'utilisation du réseau ferroviaire, le gestionnaire d'infrastructure " peut, afin de procéder au recouvrement total des coûts encourus par lui et si le marché s'y prête, percevoir des majorations des redevances d'infrastructure pour des segments particuliers de marché (...). 2° Le gestionnaire d'infrastructure définit la liste des segments de marché. Elle contient au moins les trois segments suivants : (...) services de transport de passagers dans le cadre d'un contrat de service public (...) ". Enfin, il résulte des dispositions des articles 6 et 6-1 du décret du 5 mai 1997 relatif aux redevances d'infrastructure liées à l'utilisation du réseau ferré national perçues par SNCF Réseau que constituent des majorations de redevances d'infrastructure au sens des dispositions de l'article 31 du décret du 7 mars 2003, la redevance de marché due par toute entreprise ferroviaire utilisant le réseau ferré national et la redevance d'accès au réseau ferré national des services publics de transport de voyageurs assurés en exécution d'un contrat conclu par une autorité organisatrice de transports, à la charge d'Ile-de-France Mobilités pour ceux de ces services dont il est l'autorité organisatrice et de l'Etat pour les autres.

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Une facture difficile à acquitter mais pour qui?

L’avis de l’Autorité de Régulation des Transports qui revient sur les raisons de l’augmentation des péages mérite qu’on s’y arrête. Elles se trouvent dans le contrat de performance conclue par SNCF Réseau et l’Etat. Celui-ci vise une amélioration de la couverture du coût complet, lequel doit passer de 75 % en 2021 à 86 % en 2030. Un objectif qui doit permettre à SNCF Réseau de sortir du rouge (-1,36 Md€ en 2021) et de disposer d’une trésorerie de 70 M€ dès 2024, avant d’atteindre 1,39 Md€ en 2030. Ce retour à l’équilibre repose logiquement sur les régions, comme le souligne d’ailleurs l’avis de l’ART: «s’agissant des services conventionnés de transport ferroviaire de voyageurs, qui représentent les deux tiers des trains-kilomètres circulés sur le réseau ferré national, les autorités organisatrices de transport financent un peu plus du tiers des redevances applicables à ces services».

Le recours engagé par les régions trouve son fondement dans une refonte des bases de calcul de ces redevances d’utilisation qui a pour objet d’augmenter la part forfaitaire de ces redevances et d’en réduire la part variable (part de la redevance fixée au sillon/km).

Les requérantes considèrent que ces nouvelles modalités de calcul viennent augmenter considérablement le montant des redevances. Au-delà de l’inquiétude légitime formulée par les régions requérantes (il en manque quelqu’unes à l’appel), ce recours pose une redoutable question de régulation. Aux termes de l’article L 2111-25 du code des transports, le calcul des redevances d’infrastructures doit tenir compte de leur « soutenabilité pour les redevables », soit l’exploitant ou, in fine, l’usager, lequel prend en charge une part limitée de ces coûts. Comment, dans un tel cas de figure, considérer la soutenabilité d’une redevance ?

Dans un arrêt du 27 novembre 2020, le Conseil d’Etat a déjà eu l’occasion de se prononcer. Il convient de s’assurer que la majoration n’est pas « de nature à conduire celles-ci à prendre des mesures susceptibles d'affecter sensiblement l'utilisation de l'infrastructure sur (un) segment ». Et l’ART en a déduit qu’une majoration étant soutenable tant qu’elle n’est pas susceptible de conduire les collectivités à renoncer à tout ou partie des circulations ferroviaires relatives aux services conventionnés », pour considérer que tel n’est pas le cas en l’espèce.

Autant dire que si les recours étaient recevables, il y a fort à parier que sur le fond, l’augmentation risque d’être considérée comme soutenable, le juge ne se substituant nullement en opportunité à la décision publique. Le Conseil d’Etat devra en effet d'abord se prononcer sur la recevabilité des requêtes; puis il lui appartiendra de se prononcer sur le fond courant février.

L’ART a déjà eu l’occasion de dénoncer des incertitudes sur les ressources financières liées aux péages, pesant sur les moyens consacrés à la modernisation du réseau, et un risque d’une forte paupérisation. Voilà un sujet que le président de la République, lors de son allocution, a choisi de ne pas évoquer. Oui, parce qu’un silence n’est jamais involontaire.

Voilà un dossier que le nouveau ministre aura à traiter. Il en va de la crédibilité des annonces faites en termes de soutien au secteur des transports, le ferroviaire au premier chef. La démarche engagée par les régions constitue indéniablement une nouvelle forme de remise en cause du contrat de performance 2021-2030, signé en avril 2022, malgré les critiques, ou les réserves formulées de toutes parts.

 

Auteur

  • La Rédaction
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